AVERTISSEMENT

Ces deux brochures de Mgr Gaume sur le Pape sont très importantes, mais doivent être lues intelligemment.

Plusieurs remarques sont à souligner :

1° Ces deux brochures sont remarquables et auraient dû à leur époque (1861 pour A quoi sert le Pape?, 1875 pour La peur du Pape, soit l'une avant Vatican I, l'autre après Vatican I et la déclaration de l'infaillibilité pontificale) être massivement diffusées. Elles éclairent, éduquent, amis et ennemis de la façon la plus magistrale et la plus efficace. Elles permettent de prouver (s'il en était encore besoin !) combien Mgr Gaume a été l'un des esprits les plus perspicaces et compétents au XIXème.

2° Ces deux brochures sont prophétiques, et pour les ennemis et pour les amis. Plus de cent ans après, Mgr Gaume ayant bien compris les mécanismes du fonctionnement des sociétés secrètes, les événements se sont passés tels qu'il l'avait annoncé.

3° Remarque fondamentale : les directives données par Mgr Gaume ne s'appliquent que dans l'Eglise en ordre. La soumission, l'obéissance, le respect dus au Pape n'obligent que dans l'Eglise Catholique.

Depuis Vatican II nous avons vu l'aboutissement de l'effondrement annoncé par Mgr Gaume et l'avènement de cette "église" conciliaire qui s'est substituée à l'Eglise Catholique. Les "papes" conciliaires ne sont plus catholiques et n'ont qu'une action : la destruction de tout ce qui était et reste catholique. Donc la soumission, l'obéissance, le respect ne leur sont pas dus ; au contraire, pour garder La Foi Catholique, nous devons nous interdire tout contact avec cette "église" et ces "papes" conciliaires.

Les brochures de Mgr Gaume, bien comprises, condamnent tout ce désordre conciliaire.

LA PEUR DU PAPE

ou LE MOT DE LA SITUATION

par

Monseigneur GAUME

Protonotaire apostolique

AVANT-PROPOS

Il est divinement annoncé qu'un jour viendra, où l'esprit de mensonge fera des prestiges tellement séduisants, que les élus eux-mêmes, si cela était possible, seraient induits en erreur : ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, etiam electi (Matth, xxiv, 24).

Au premier rang de ces prestiges sataniques, il en est un qui s'accomplit sous nos yeux et qui, dans l'Europe entière, fait des multitudes de victimes ; ce prestige[1] c'est la peur du Pape.

La dissiper serait le plus grand service rendu au monde actuel, qui ne peut être sauvé que par l'amour du Pape ; attendu que le Pape, et le Pape seul, possède, pour les nations comme pour les individus, les paroles de vie : Verba vitæ æternæ habes (Jean, vi, 69)

Le monde a-t-il peur ?

I

Chacun le sent, chacun le dit, chacun le prouve : le monde actuel est sous l'influence de la peur. Comme un impitoyable cauchemar, ce sentiment pèse sur l'Europe entière. Par sa généralité, par sa profondeur, par sa durée, la peur d'aujourd'hui n'a pas d'analogue dans les siècles passés.

II

Le fait n'est pas contestable : malgré tous les motifs extérieurs de se rassurer, le monde a peur. Les endormeurs ne cessent de le bercer de leurs éloges. «Ton éducation est faite, lui disent-ils, et tu vaux bien tes devanciers. Brise tes lisières ; tu es assez fort pour marcher seul dans la voie du progrès. Jamais siècle ne fut plus éclairé que toi, plus libre, plus prospère. Les agitations que tu éprouves ne sont qu'à la surface. Loin de t'en plaindre, tu dois les bénir. Elles sont les douleurs qui annoncent l'enfantement d'une ère plus brillante que toutes les autres. En aucun temps, l'édifice social ne reposa sur des bases plus solides».

III

A ces assurances répétées sur tous les tons, le monde actuel répond en conjuguant, du matin au soir dans les villes et dans les campagnes, dans les assemblées législatives, à la Bourse et au comptoir, le verbe de la situation : «J'ai peur - tu as peur - il a peur - nous avons peur - vous avez peur - ils ont peur».

IV

En regardant ce qu'il fait, lui-même cherche à se rassurer ; et il n'y parvient pas.

Il prend des villes réputées imprenables (Sébastopol) : et il a peur.

Avec une poignée de soldats, il remporte, aux extrémités de l'Orient, d'éclatantes victoires, qui mettent à la raison le plus grand empire du monde (l'expédition de la Chine) : et il a peur.

Six millions de baïonnettes veillent à sa sécurité : et il a peur.

Avec une facilité prodigieuse, il dompte les éléments, perce les montagnes (le mont Cenis), comble les vallées, supprime les distances : et il a peur.

Rapide comme l'éclair, un feu mystérieux, messager de sa pensée, la fait voyager dans les airs comme dans les profondeurs de l'Océan : et il a peur.

Soumise à sa volonté, la vapeur le transporte, lui-même avec une telle célérité, qu'en six semaines il peut faire le tour du globe : et il a peur.

V

Grâce aux secrets de la nature découverts par son génie, il multiplie les merveilles de ses arts et de son industrie. De ses millions de bras, le commerce embrasse tous les peuples et crée la fraternité universelle des intérêts : et il a peur.

Des mines d'une richesse incalculable lui ont été découvertes, l'or en abondance coule de ses mains (Is, ii, 7) ; dans ses vêtements, la soie a remplacé la bure : la nature entière est devenue tributaire de son luxe ; sa vie ressemble au festin de Balthazar : et il a peur (Dan, v, 5).

Les nations ont peur des nations. Les rois ont peur des peuples ; les peuples ont peur des rois. Les partis ont peur des partis. Le patron a peur de l'ouvrier ; l'ouvrier a peur du patron. Les pauvres ont peur des riches ; les riches ont peur des pauvres. La société entière a peur de quelqu'un ou de quelque chose : peur du présent, plus peur de l'avenir. Le présent n'offre qu'un point d'appui chancelant ; l'avenir est incertain. Plein d'espérance pour les uns, de terreur pour les autres, de mystère pour tous, il est par tous attendu avec anxiété.

Ce sentiment de crainte est trop général pour n'être pas fondé.

Pourquoi a-t-il peur ?

I

La peur provient d'un danger réel ou imaginaire. Elle est personnelle, nationale ou universelle.

Personnelle, elle peut n'être pas fondée ; nationale. elle est moins sujette à l'erreur ; universelle, elle est infaillible. C'est un instinct providentiel qui avertit une époque d'un danger universel ; qui l'invite à se recueillir et à se rendre compte de ses tendances, afin de voir en quoi, sous des apparences de rectitude, ces tendances conduisent aux abîmes.

II

Or, le monde actuel a peur, et il a raison. Pourquoi ? Parce que, malgré toutes les assurances contraires, il sent qu'il n'est pas dans l'ordre ; et, quoi qu'il fasse, il ne peut se dissimuler que le châtiment est le salaire infaillible du désordre.

Pourquoi n'est-il pas dans l'ordre ? Parce qu'il viole la loi fondamentale de son être. Pas plus que l'homme individuel, les nations, qui ne sont que l'homme collectif, ne se sont faites elles-mêmes. Comme les astres qui brillent au firmament, comme les oiseaux qui se jouent dans les airs, comme les plantes qui couvrent la terre, comme les poissons qui peuplent les océans, les nations doivent dire : «Ipse fecit nos, et non ipsi nos ; ce n'est pas nous qui nous sommes donné l'être, ni les lois conservatrices de notre être : nous les avons reçues (I Cor, iv, 7)».

Vouloir vivre sans les observer, ne nous appartient pas plus qu'à l'être animé, de prétendre vivre sans respirer.

III

La violation de ces lois, inévitablement suivie du châtiment qui les sanctionne, produit la peur. Si la violation est d'une loi fondamentale, si elle est universelle et permanente, elle produit la peur profonde, universelle, permanente, inguérissable. Puisque telle est la crainte du monde actuel, il faut que la loi violée, universellement violée, opiniâtrement violée, soit la plus fondamentale de toutes les lois.

Quelle est la loi violée ?

I

Puisque l'homme, individuel ou collectif, ne s'est pas fait lui-même ; puisqu'il n'est ni ne peut être le produit d'atomes fortuitement accrochés les uns aux autres ; ni le perfectionnement d'une carpe, ni le fils d'un singe : il est donc l'ouvrage d'un Être supérieur, existant par Lui-même.

Cet Être qui s'appelle d'un nom au-dessus de tous les noms : Je suis Celui qui suis : Eqo sum qui sum, est le créateur de toutes les choses visibles et invisibles, visibilium omnium et invisibilium.

De Son existence, de Sa puissance, de Sa sagesse, de Sa bonté, sont autant de témoins les créatures qui nous environnent, depuis l'insecte caché sous l'herbe, jusqu'au soleil dont les rayons vivifient, en les éclairant, toutes les parties de l'univers.

Cet Être, principe et fin de tout ce qui existe, pas un peuple qui ne L'ait connu ; qui ne L'ait adoré ; qui ne L'ait invoqué ; qui ne L'ait reconnu comme le suprême Législateur de l'univers (saint Augustin).

II

Avec raison l'absurdité la plus colossale serait de supposer qu'après les avoir tirées du néant, cet Être infiniment puissant, infiniment sage, infiniment bon, aurait abandonné à l'aventure, ces créatures, ouvrage de Ses mains, sans leur faire connaître leur fin, sans leur donner les moyens de l'atteindre.

Cette fin n'est autre que Lui-même : universa propter semetipsum operatus est Dominus (Prov, xvi, 4); en sorte que toute la création, descendue de Dieu, doit remonter à Dieu. Ces moyens sont les lois des êtres. A l'observation de ces lois, sont attachés la conservation des êtres et leur perfectionnement. La violation de ces mêmes lois, constitue le désordre qui conduit au malaise, à la dégradation, à la ruine.

III

Entre toutes les lois divines, quelle est celle dont la violation est le cauchemar du monde actuel ? Nous venons de l'indiquer : c'est la grande loi qui régit l'univers, aussi bien les créatures inanimées que les créatures animées, intelligentes et libres, et en vertu de laquelle toute créature doit tendre à son centre.

La pierre lancée dans les airs redescend vers la terre, centre d'où elle a été tirée et lieu de son repos ; les fleuves, les rivières, les plus faibles ruisseaux tendent aux mers, d'où ils sont venus et au sein desquelles ils trouvent la tranquillité.

IV

Cette loi que les créatures inférieures à l'homme accomplissent nécessairement, l'homme doit l'accomplir librement. Il le doit à cause de la dignité de sa nature ; il le doit à cause de la sublimité de ses fonctions de Roi et de Pontife, au milieu des créatures. C'est par lui qu'elles doivent louer Dieu et retourner à Dieu.

La fin de l'homme est donc Dieu, Dieu seul, et ce ne peut être que Lui. En Lui, connu, aimé et possédé, et en Lui seulement, lumière infinie, amour infini, vie infinie, l'esprit de l'homme, son cœur, son corps, trouvent leur complet épanouissement, l'apaisement de leurs désirs, le repos délicieux affermi de toutes parts.

V

Ainsi, les lois de la logique la plus élémentaire conduisent à cette conclusion, que de toutes les aspirations de l'homme, Dieu est l'objet nécessaire. Que ces aspirations s'égarent dans leur application, il n'importe. Comme la loi universelle des êtres est de tendre à leur centre, pour l'homme tendre à Dieu est sa loi. Boussole intelligente, voilà le pôle qu'il cherche incessamment, et ses oscillations ne cessent qu'après l'avoir trouvé (St Augustin, Conf., c. I).

Cette loi à laquelle il ne peut se soustraire, est ainsi formulés par le Créateur lui-même : «Craindre Dieu et observer Ses commandements : voilà tout l'homme» (Eccl, xii, 13). Entendons-le bien ; oui, tout l'homme, dans ses pensées, dans ses affections, dans ses actes, dans sa vie privée et dans sa vie sociale, dans son présent et dans son avenir.

En quoi consiste la violation de la loi

I

Afin de guérir le monde antique des illusions fascinantes dont il était la victime, et pour préserver le monde nouveau d'en devenir le jouet, la Sagesse éternelle, descendue en personne sur la terre, a formulé de nouveau, en la sanctionnant, la loi fondamentale de l'humanité : «Cherchez d'abord, a-t-elle dit, le royaume de Dieu et Sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît». (Matth, vi, 33).

II

En vertu de l'instinct de conservation que Dieu a donné à tous les êtres, le monde actuel sent que la loi fondamentale de sa vitalité, il la viole radicalement. Séduit par l'esprit de mensonge, il a renversé la maxime évangélique. Par sa conduite, plus encore que par son langage, il dit : «Cherchons d'abord les biens temporels, les richesses, les honneurs, les plaisirs, les jouissances de toute nature, faisons de la terre le ciel. Quant au ciel d'outre-tombe, le règne de Dieu avec les vertus de détachement, de sacrifice, de mortification qui en sont les conditions nécessaires, nous y penserons plus tard... si nous en avons le temps».

Ainsi, dans sa généralité, le monde actuel cesse de tendre à Dieu : telle est la violation de la loi ; et tel est son crime.

III

Le danger d'un pareil désordre, qui bouleverse tout le plan divin, ne lui échappe pas, et le sentiment qu'il en a, produit l'impression dont il ne peut se délivrer : la peur.

Rien de plus logique : plus l'homme s'occupe de ce monde, moins il s'occupe de l'autre. Moins l'homme s'occupe de l'autre monde, plus il s'éloigne de sa fin. Plus un être s'éloigne de sa fin, plus il devient coupable. Plus un être devient coupable, plus grande est la somme de malheurs et de châtiments qu'il appelle sur sa tête.

Comment se manifeste aujourd'hui la violation de la loi ?

I

Quiconque veut se donner la peine de réfléchir, est frappé d'un phénomène inconnu des siècles chrétiens : phénomène effrayant en lui-même, et plus effrayant dans ses conséquences. Le monde actuel obéit à un double mouvement : mouvement accéléré, universel, d'unification matérielle ; mouvement non moins accéléré, non moins universel de dissolution morale.

II

Mouvement d'unification matérielle. Quand on regarde cinquante ans en arrière, on croit rêver, en voyant le prodigieux mouvement d'unification matérielle qui s'est accompli dans le monde.

Autrefois religieuse, philosophique, littéraire et en général spiritualiste, l'activité humaine semble aujourd'hui concentrée tout entière vers la terre et les intérêts matériels. Au lieu de se faire en haut, les mouvements de l'intelligence se font en bas. Avec une ardeur inconnue, les sciences physiques sont étudiées, pour en obtenir des applications variées à l'industrie, et au commerce.

L'Europe est devenue un vaste bazar. Fabriquer, vendre, acheter, importer, exporter est sa vie. Afin de la rendre de plus en plus active et universelle, la locomotion est devenue l'idole du monde actuel. Nuit et jour en mouvement sur terre et sur mer, il ne sait pas tenir en place : on dirait qu'il a du feu sous les pieds.

III

Toujours à la recherche de moyens de communication, il perfectionne les anciens et en invente de nouveaux, qui bientôt lui paraissent trop lents. Les chemins, autrefois assez rares et souvent à peine praticables, sont aujourd'hui remplacés par des routes innombrables, qui sillonnent le sol dans tous les sens, relient les villages aux villages, les hameaux aux hameaux, les fermes aux fermes.

Aux navires à voiles, ont succédé les bateaux à vapeur ; aux anciens télégraphes, les télégraphes électriques, aériens et sous-marins ; aux diligences de jour, les diligences de jour et de nuit ; aux postes hebdomadaires, les postes journalières ; aux postes restantes, les facteurs à domicile ; l'abaissement de la taxe des lettres, les timbres-poste ; les unions douanières ; le libre échange ; la suppression même des passeports.

IV

Tout cela se fait dans un but prévu et dans un but non prévu.

But prévu : la réalisation la plus universelle et la plus rapide possible de la plus grande somme de bien-être matériel ; et, ce qui en est la conséquence, l'attachement de plus en plus passionné de l'homme à la terre et l'oubli de plus en plus profond des réalités futures.

But non prévu : l'extinction de l'esprit de famille, de l'esprit provincial, de l'esprit national, remplacé par une sorte de cosmopolitisme destructeur de toutes les traditions du passé, de tout caractère puissamment original, de toute affection vraie et de toute croyance à vive arête.

Comment se manifeste aujourd'hui la violation de la loi? (Suite.)

I

Mouvement de dissolution morale. Parallèlement au mouvement d'unification matérielle, et avec non moins de rapidité, s'accentue un mouvement de dissolution morale.

Les croyances sont le principe, la règle et le soutien des mœurs : «Dis-moi ce que tu crois, je te dirai ce que tu fais». Le sublime résumé des croyances de l'humanité est le symbole catholique.

Qu'est aujourd'hui le symbole catholique ? Il est brisé comme un verre. A peine en reste-t-il, parmi les nations, même catholiques de nom, quelques débris épars. Quelle est aujourd'hui la nation, comme nation, qui signerait de son sang tous les articles du Credo ?

II

L'égalité de tous les cultes, inscrite dans les codes et réduite en pratique, n'est-elle pas la négation officielle et radicale de toute religion positive ?

Le grand négateur qui signala la fin du monde antique, le rationalisme, n'est-il pas le roi du monde actuel ? Chaque jour et sur tous les points, ne manifeste-t-il pas sa puissance par les sarcasmes, les mépris, les négations impunies de tous les dogmes révélés, depuis l'existence de Dieu, la création du monde, l'origine de l'homme, la spiritualité, l'immortalité, la réalité même de l'âme ; la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, la divine institution du christianisme et des différentes vérités qu'il enseigne ?

En dehors du petit nombre de catholiques tout court, prêts à mourir pour leur foi, nommez les croyances qui restent debout.

III

Si, de l'ordre dogmatique, nous passons à l'ordre moral, qu'est devenu le code des mœurs, le décalogue ? Où sont les nations, les familles, et même les individus, qui l'observent dans son entier ?

L'émancipation des sens, l'insubordination des volontés, peuvent-elles être beaucoup plus complètes et la dissolution morale plus avancée ?

Par les scandales, par les discours, par les livres, par les journaux, par les théâtres, par les arts, par le luxe, par l'indifférence en matière de religion, cette dissolution morale ne s'étend-elle pas comme une lèpre sur le monde actuel ?

IV

Dissolution sociale par le relâchement, afin de ne pas dire par le brisement de tous les liens hiérarchiques du pouvoir et du devoir; par la négation de l'autorité, par l'apologie de la révolte et par la corruption des mœurs publiques.

Dissolution de la famille, par l'abaissement de l'autorité paternelle, par le morcellement incessant de la propriété, par le divorce, par le contrat civil substitué au mariage, par la négation même du baptême, base première de la famille chrétienne.

Combien dans nos grandes villes de France, et en particulier dans les faubourgs excentriques de Paris, ne trouve-t-on pas chaque jour de ces petits de l'espèce humaine, qui n'ont pas reçu le signe du chrétien, et de parents, vrais sauvages de la civilisation, qui s'opposent à ce qu'ils le reçoivent ?

V

Il en est de même en Angleterre, où un évêque anglican a osé nier publiquement la nécessité du baptême. C'est pis encore aux États-Unis d'Amérique, qui, sur trente-six millions d'habitants, en comptent à peine dix millions auxquels on connaît une religion quelconque.

Mais en Europe, le pays qui marcha à la tête de cette dissolution morale, c'est le royaume de Prusse, si fier de ses victoires matérielles. Naguère le pasteur protestant de la paroisse de Saint-Jacques, à Berlin, constatait que dans le mois d'octobre onze couples seulement, sur soixante-trois, lui avaient demandé de bénir leur union ; et que douze enfants seulement, sur cent cinquante, avaient été présentés au temple pour y recevoir le baptême. Si cela dure, Berlin ne comptera bientôt plus qu'une population de païens.

VI

Dissolution morale des individus. Dans ces multitudes d'ouvriers qui peuplent les ateliers, les usines, les manufactures, les grandes et petites gares de chemins de fer ; dans tout ce qu'on appelle les masses populaires, combien de malheureux en qui le sens moral, ou n'a jamais été complètement éveillé, ou se trouve presque entièrement oblitéré !

De là ces grands symptômes d'une dissolution tellement profonde, hélas ! et si générale, qu'elle est sans exemple dans le passé : le nombre des naissances illégitimes et des infanticides ; des cas d'aliénation mentale ; des morts dans l'impénitence, et le suicide, le suicide qui, en moins de quarante ans, a fait en France seulement, plus de cent mille victimes : et sur cette route sanglante, la France ne marche pas la première.

Après dix-huit cents ans de christianisme, voilà où en est le monde actuel !

La violation de la loi conduit-elle au despotisme?

I

Les doctrines sont la semence des faits.

Le siècle des sophistes est toujours suivi du siècle des barbares.

La barbarie dans l'ordre des faits, n'est que l'éclosion de la barbarie dans l'ordre des idées.

Ce qui est, émane de ce qui fut ; ce qui sera, émane de ce qui est.

Avant d'éclore, l'oiseau vit dans l'œuf.

Avant de gronder dans la rue, l'émeute fermente dans les âmes.

II

Si, partant de ces données incontestables, nous considérons, au point de vue social, dans le présent et dans l'avenir, le double mouvement d'unification matérielle et de dissolution morale, auquel le monde actuel obéit, nous nous trouvons en face d'un phénomène de la plus haute gravité.

Dans le présent : quelle sera la résultante des deux mouvements qui viennent d'être signalés ? N'hésitons pas à le dire : ce sera un despotisme tel que jamais un pareil ne pesa sur l'humanité.

Deux forces différentes régissent le monde et le tiennent en équilibre : la force matérielle et la force morale ; la foi et le sabre.

III

Ces deux forces sont entre elles comme les deux bassins d'une balance : quand l'un descend, l'autre monte. Moins la force morale a d'action, plus la force matérielle doit en avoir, autrement les éléments sociaux se désagrégeraient, et le corps social tomberait en poussière.

S'il arrive que la force morale, la foi, la crainte de Dieu, l'espérance des récompenses futures et la certitude des châtiments réservés au crime, ne pèsent pas plus sur une nation, qu'une plume dans le bassin d'une balance : alors il faudra, sous peine d'une dissolution sociale, immédiate et universelle, que la force du sabre s'élève à une puissance sans limites.

IV

Le despotisme le plus dur est donc la résultante inévitable du double mouvement d'unification matérielle et de dissolution morale, dont nous venons tracer le rapide tableau.

Comme ce double mouvement n'est pas particulier à la France ni à une nation isolée, mais qu'il s'étend sur le monde entier, on est forcé de conclure que, si Dieu n'y met la main, le monde entier est menacé d'un despotisme dont la pensée seule effraye l'esprit le moins disposé à s'alarmer.

Quel sera ce despotisme?

I

A raison de sa nature et de son universalité, ce despotisme s'appellera le Règne antichrétien. L'être qui le personnifiera sera le lieutenant de Satan, redevenu le Dieu et le Roi du monde. Voyons avec quelle infernale habileté il recommence l'entreprise qui lui avait si bien réussi dans le monde antérieur à l'évangile.

II

Pendant plus de sept cents ans, l'unique pensée de Lucifer, ou du Daimonion, comme disaient les païens, fut de former Rome. C'est dans ce but que les grandes monarchies des Assyriens, des Perses, des Mèdes, des Égyptiens et des Grecs, vinrent successivement s'engloutir dans le gouffre de la puissance romaine, et constituer le gigantesque empire qui, pendant trois siècles, défia les héroïques efforts du christianisme.

Les armées permanentes, la centralisation universelle, une capitale, reine du monde, la suppression successive de toutes les nationalités ; tels furent les moyens et les éléments de sa formation.

III

Que voyons-nous aujourd'hui, sinon un travail de tout point analogue ? En apportant la liberté au monde, le christianisme chargea les Barbares de détruire tous les éléments de l'ancien despotisme.

Centralisation, armées permanentes, grandes capitales : tout disparut tant que dura le règne social du christianisme, aucun de ces éléments ne put reparaître ; et, quoi qu'on en puisse dire, le moyen âge fut l'époque de l'humanité où il y eut le plus de liberté, le plus de science, et le plus de bien-être.

IV

En éliminant de l'ordre social, le principe chrétien, le monde actuel retombe forcément dans les conditions du monde païen. Quand Jésus-Christ sort par la porte, Satan entre par la fenêtre. Une fois dans la place le démon s'empresse de faire ce qu'il fit dans l'antiquité. Grâce à lui, les armées permanentes sont rétablies, même dans des proportions que l'ancien monde ne connut jamais. Les nations actuelles ne sont plus que des camps armés, dont tous les habitants doivent être soldats.

La centralisation a reparu. Cette puissance anormale qui, faisant des peuples qu'elle étreint, des peuples fonctionnaires aux ordres d'un pouvoir central, met toutes les volontés individuelles dans la volonté d'une espèce d'ogre à sept ou huit têtes, qu'on appelle l'État ; tous les intérêts entre les mains d'un seul, et façonne ainsi les nations à toutes les bassesses de la servitude.

V

Il est remarquable que ce même mouvement d'absorption se manifeste rapidement dans l'ordre industriel et commercial. Que sont les immenses magasins, ou mieux les bazars colossaux, qui s'élèvent aujourd'hui dans les grandes villes de France et de l'Europe, sinon l'absorption de tous les petits magasins, la ruine du petit commerce, le monopole de la vente aux mains de quelques habiles.

Il en est de même des grandes usines, des grandes manufactures qui rendent impossible tout ce qui n'est pas elles. Or, en vertu du mouvement d'unification ou d'absorption, auquel est soumis le monde actuel, grands magasins, grandes usines peuvent être un jour absorbés par d'autres, jusqu'à un dernier et tout-puissant monopole.

VI

Quant aux nationalités de second ordre, nous savons quel cas on en fait depuis quelques années. Qu'est-ce que la guerre d'Italie ? qu'est-ce que la politique prussienne, sinon l'absorption des petites nationalités au profit de nationalités plus grandes ?

Qui peut répondre qu'avant peu ces grandes nationalités ne s'absorberont pas successivement et ne serviront pas à former une nationalité prépondérante, qui finira par être la maîtresse sans rivale de l'humanité ?

Tous les éléments matériels et moraux ne sont-ils pas préparés pour cela ? Est-ce qu'avec la rapidité des communications, un despote tout-puissant ne peut pas envoyer en un clin d'œil ses ordres absolus, d'un bout de son empire à l'autre ; et, au gré de ses caprices, faire manœuvrer des millions d'hommes ? est-ce que l'absence générale de foi, l'abaissement des caractères, le culte de l'intérêt personnel, ne sont pas les tristes garants d'une obéissance passive et sans résistance ?

VIl

Ajoutez que le bien-être matériel et la fièvre de jouissances, joints à l'émancipation de la raison, par la négation de toute croyance ; à l'émancipation de la chair, par l'oblitération du sens moral ; à la tendance visible au despotisme de la part de tous les gouvernements, sont autant de préparations d'un despotisme universel.

N'est-il pas remarquable déjà, que le monde actuel y tend d'une manière incontestable ? Depuis la renaissance du paganisme, la moitié des rois de l'Europe se sont faits papes ; l'autre moitié tend à le devenir. Ainsi, dans des proportions différentes, tous aspirent à réaliser, à leur profit, la devise des Césars païens: Imperator et summus Pontifex, Empereur et souverain Pontife. Cela veut dire : concentration de tout pouvoir spirituel et temporel, entre les mains d'un homme qui s'appela tour à tour Néron, Caligula, Dioclétien, et qui peut s'appeler Robespierre, Bonaparte, Bismarck ou Gambetta.

VIII

Telle est la pente sur laquelle glisse rapidement le monde actuel, et il n'a pas l'air de s'en douter ; que dis-je ? il s'irrite quand on l'en avertit.

Ne s'est-il pas soulevé, et tous ses organes n'ont-ils pas déclamé sur tous les tons, lorsque, pour désillusionner les nations, le Syllabus est venu déclarer que tout ce qu'on appelle progrès, libéralisme et civilisation moderne, est incompatible avec les principes du catholicisme[2] ?

Rien toutefois n'est plus intelligent et plus facile à justifier qu'une pareille condamnation. Entendu dans le sens moderne, le résultat de toutes ces choses est d'amoindrir la tutélaire autorité de l'Église, et d'attacher de plus en plus l'homme à la terre : deux choses essentiellement contraires aux intérêts de la société et aux destinées de l'humanité.

D'où vient la violation de la loi ?

I

La violation de la loi, avec toutes ses conséquences, vient de la peur du Pape. Pourquoi ? Parce que le Pape, étant le Vicaire de Celui qui est, pour les peuples comme pour les individus, la Voie, la Vérité et la Vie, est par le fait l'organe infaillible du vrai et du juste, bases nécessaires de toute société ; conséquemment, l'unique oracle des nations, leur phare, leur boussole, leur étoile polaire.

II

Vouloir la vérité sans oracle qui la donne ; naviguer sans phare, sans boussole, sans regarder l'étoile polaire : c'est marcher à l'aventure, pour finir par se briser contre les écueils. Ainsi ont fait toutes les nations qui ont eu peur du Pape, qui n'ont plus voulu écouter le Pape et qui se sont crues assez sages pour se diriger elles-mêmes.

III

C'est ainsi que fait le monde actuel.

S'il est tombé dans le matérialisme ; s'il est sans cesse agité par des révolutions ; s'il est tour à tour victime de doctrines désastreuses, et d'utopies impraticables ; s'il n'ose plus compter sur le lendemain ; s'il est à la merci du despotisme et du charlatanisme ; s'il est peuplé d'ennemis qui en veulent à sa liberté, à son bonheur et même à son existence sociale ; s'il est enveloppé, comme dans un filet, par les sociétés secrètes : c'est qu'il a eu peur du Pape; qu'il n'a pas voulu écouter le Pape, et qu'il s'est cru assez éclairé, assez fort pour se passer du Pape.

IV

En veut-on la preuve ? Si le monde actuel avait pris au sérieux les avertissements qui, depuis un siècle et demi, lui sont venus du Vatican, sur les dangers des sociétés secrètes, et de ce qu'on appelle les libertés modernes, liberté de conscience, liberté des cultes, liberté de la presse, en serions-nous où nous en sommes? C'est donc la peur du Pape, la désobéissance au Pape qui nous perd.

C'est par conséquent l'amour du Pape, l'obéissance au pape qui seuls peuvent nous sauver. Que le monde actuel cesse d'avoir peur du Pape ; qu'il aime le Pape ; qu'il obéisse au Pape, comme des enfants bien nés obéissent à leur père : à l'instant, toutes les peurs du monde s'évanouissent, et font place à la confiance, à la paix et à la vraie fraternité.

V

Résumant ce qui précède, nous disons : Le monde a peur. Il a peur, parce qu'il n'est pas dans l'ordre. Il n'est pas dans l'ordre, parce qu'il viole opiniâtrement la loi fondamentale de son être, en refusant de tendre à son centre, en mettant la terre avant le ciel, l'homme en haut et Dieu en bas. Cette violation le conduit à des châtiments inévitables, en particulier à un despotisme universel ; et la violation de la loi vient de la peur du Pape, de la désobéissance au Pape, de la haine du Pape.

La peur du Pape est-elle dangereuse ?

I

De ces faits indéniables, il résulte :

1° que la peur des peurs est la peur du Pape ;

2° que de tous les prestiges sataniques, le plus dangereux, le plus absurde, c'est la peur du Pape.

Le plus dangereux; puisqu'il conduit le monde à la mort, en lui faisant tourner le dos à la vie, et qu'il accuse la funeste influence du démon sur le monde actuel : nous allons le montrer.

II

Il est écrit que lorsque les premiers rayons de la lumière évangélique descendirent des collines éternelles sur le monde antique, vaste empire de Satan, un long frémissement parcourut les nations. Tous les hommes au cœur insensé furent profondément troublés. Les rois et les princes prirent les armes et formèrent une ligue universelle, contre le Seigneur et contre son Christ (Ps lxxv, 5 ; Ps ii, 2).

Après dix-huit siècles de christianisme, le monde actuel donne le même spectacle. Trouble, frémissement, ligne générale des gouvernements et des peuples contre le Pape : rien ne manque au tableau. C'est la preuve indiscutable que, dans sa généralité, le monde d'aujourd'hui est redevenu ou redevient le royaume du démon. Comment l'est-il redevenu on le redevient-il ? Nous l'avons dit trop souvent pour le répéter ici : par l'enseignement.

Seule cette situation explique la peur du Pape. Nous disons le Pape, et non pas l'EgIise, parce que le Pape est à l'Eglise ce que la tête est au corps. Le frapper, c'est frapper l'Église ; abattre cette tête, c'est tuer l'Eglise ; renverser cette pierre, c'est renverser l'Église.

La révolution sait ce qu'elle fait. Elle est trop habile pour éparpiller ses coups, en frappant sur les membres inférieurs. Plus prompte est sa victoire, plus sûr est son triomphe, si elle parvient à couper la tête, à percer le cœur, à renverser la pierre, sur laquelle repose tout l'édifice.

III

Tête, cœur, fondement de l'Église : de ces qualités provient la peur du Pape. En effet, le Pape n'est pas seulement la personne trois fois vénérable de Pie IX ; le Pape est la parole de Pie IX, l'autorité de Pie IX, la liberté de Pie IX, la propriété de Pie IX, la souveraineté sociale de Pie IX.

Comme le soleil n'est pas seulement renfermé dans son disque, mais que par les feux qu'il projette, il rayonne sur le monde entier, l'embellit, le féconde et le vivifie ; ainsi la parole, la liberté, l'autorité, la souveraineté du Pape, c'est-à-dire le Pape lui-même, rayonne sur toute l'humanité chrétienne, l'inspire de son esprit, l'éclaire de ses lumières, la soutient de sa force, la dirige dans ses combats, et lui montre dans le lointain les lauriers éternels de ses victoires.

IV

En toute vérité, ce n'est donc pas la personne même du Pape qui fait peur, ce n'est pas non plus sa puissance temporelle. Ah ! si le Pape était un foudre de guerre, vainqueur en cent batailles, un puissant monarque, ayant à ses ordres des armées de quatre ou cinq cent mille hommes, possédant un vaste territoire, hérissé de forteresses, on comprendrait la peur qu'il inspire.

Mais le Pape n'a rien et n'est rien de tout cela. Pie IX est un saint vieillard de plus de quatre-vingts ans, personnification vivante de la bonté et de la douceur de son divin Maître ; sans armées, sans propriétés; prisonnier dans sa demeure ; abandonné de toutes les puissances de ce monde, n'ayant pas un pouce de terre indépendant où reposer sa tête, et tellement dépouillé de tout, qu'il est obligé de tendre la main pour manger son pain de chaque jour.

V

Pourquoi donc fait-il peur ? Pourquoi une seule de ses paroles ébranle-t-elle le monde entier ? provoque-t-elle les sarcasmes des uns, la fureur des autres, la peur de tous ?

C'est que le Pape possède plus qu'un vaste empire, plus que des armées valeureuses, plus que des forteresses redoutables, il possède la vérité : la vérité religieuse et la vérité sociale ; avec la vérité, le droit qui en est inséparable ; et avec la vérité et le droit, la souveraineté morale, sauvegarde de la conscience humaine ; la vérité, protestation vivante contre la violation générale de la grande loi de l'humanité et contre le prestige satanique qui en est la cause ; la vérité, phare inextinguible des nations, reine des intelligences, et reine invincible, dont le trône domine tous les trônes, brave tous les orages et demeure debout, parmi les ruines de tout ce qu'elle ne soutient pas de son immortalité.

VI

Personnification de la vérité, du droit, du juste : voilà, nous le répétons, pourquoi, uniquement pourquoi, le Pape fait peur au monde actuel, peur aux hommes de mensonge, peur aux schismatiques, aux protestants, aux révolutionnaires, aux catholiques libéraux, aux rationalistes, aux matérialistes, à tous les esprits dévoyés, à tous les cœurs insensés, à tous les hommes fascinés par le prestige satanique.

Comme il a été dit, nous revoyons de nos yeux ce que vit, il y a dix-huit cents ans, le monde antique, le trouble, le frémissement, la haine, la ligue universelle contre le Seigneur et contre son Christ, c'est-à-dire, en dernière analyse, contre le Pape, représentant immortel de l'un et de l'autre.

VIl

Il est si vrai que c'est le Pape, et le Pape seul, qui est l'objet central de la peur et de la haine de tout ce qui n'est ni dans la voie de la vérité, ni dans la voie de la ,justice, que les gouvernements et les partis les plus hostiles aux idées religieuses, supportent toutes les sectes qui repoussent le Pape, et persécutent toutes les communautés religieuses qui vivent du Pape.

Ainsi, le Turc a peur du pape et n'a peur que du Pape, puisqu'il supporte les Grecs qui ne reconnaissent pas le Pape ; les schismatiques arméniens qui ne reconnaissent pas le Pape, tandis qu'il persécute à outrance les Arméniens catholiques, qui reconnaissent le Pape, qui vivent du Pape.

VIII

Il en est de même des autocrates russes, des gouvernements d'Angleterre, de Danemark, de Suède, de Norvège, de Prusse, d'Italie, de Suisse et d'autres encore, qui tous laissent vivre paisiblement dans leur sein de nombreuses sectes religieuses qui même les favorisent parce qu'elles sont étrangères au Pape ; tandis qu'ils persécutent toutes les communautés religieuses, petites ou grandes, qui reconnaissent le Pape, qui vivent du Pape.

Malheur même aux sectes et aux sectaires, qui viennent à reconnaître le Pape et à vouloir vivre de sa vie ; non seulement les faveurs, mais encore la tolérance dont ils furent l'objet, se changent aussitôt en vexations et en persécutions.

Ainsi, considérée dans l'ordre religieux, la peur du Pape conduit le monde à la haine de la justice et de la vérité, et le pousse aux abîmes.

La peur du Pape est-elle dangereuse ? (Suite.)

I

Disons-le en passant : ce n'est pas seulement dans l'ordre religieux que la peur du Pape se fait sentir, c'est aussi dans l'ordre politique.

Malgré l'extrême besoin que nous avons de lui, pourquoi ne veut-on pas d'Henri V ? parce qu'il tient du Pape. Dans les élections générales ou municipales, comment fait-on échouer un candidat, d'ailleurs recommandable sous tous les rapports ? en disant que c'est un clérical : c'est-à-dire, en montrant derrière lui, le prêtre ; derrière le prêtre, l'évêque ; derrière l'évêque, le Pape.

Tout cela est si vrai que les protestants, bien que chrétiens, ministres ou non ministres, n'inspirent pas la même crainte et qu'ils peuvent avec succès se présenter aux élections, sans encourir la note de clérical. Quelque chose de plus ; depuis nombre d'années, les élections à la députation dans les différents États de l'Europe, notamment en Prusse, en Autriche, en Italie et en France, apprennent par des chiffres incontestables, qu'à part les exceptions, plus un candidat se montre hostile au Pape, à la parole du Pape, à l'autorité du Pape, plus il est assuré de sortir vainqueur de l'urne électorale.

II

Pour justifier cette haine, parfaitement logique au point de vue révolutionnaire, le monde actuel ne craint pas d'accumuler contre le Pape toute espèce de calomnies.

Croirait-on qu'il en est venu à dire, naguère, que Rome, c'est-à-dire le Pape, fut la cause de la guerre désastreuse entre la France et la Prusse ?

Chaque jour, une certaine presse ne publie-t-elle pas que c'est le Pape et ses adhérents qui mettent le trouble dans les États ?

Cette haine, consciente ou inconsciente, ne conduit-elle pas les gouvernements à prendre contre les catholiques les mesures les plus vexatoires ; tandis qu'ils couvrent de leur protection, encouragent et soudoient les négateurs du Pape, les vieux catholiques et les apostats ? Quelque irrégulière qu'ait été ou que soit encore la conduite de ces derniers, tous les péchés leur sont remis, parce qu'ils ont beaucoup haï.

III

C'est ainsi que sous notre dernier empire, on ne cessait de répéter que l'entêtement du Pape à ne pas vouloir accepter un modus vivendi avec l'Italie, tenait les affaires en suspens, faisait baisser la Bourse et produisait l'inquiétude générale. Hier encore, pour repousser la plus juste de toutes les lois, la loi sur la liberté de l'enseignement supérieur, un député révolutionnaire agitait devant l'assemblée de Versailles le fantôme du Pape, c'est-à-dire un accroissement de la puissance du Pape et les dangers imaginaires qui en seraient la conséquence.

IV

Au dire des modernes païens, le Pape est donc l'auteur de tous les maux. S'il n'était plus, tout serait au mieux dans le meilleur des mondes. Ainsi parlaient aux jours de l'Église naissante leurs cruels devanciers. «Si le Tibre déborde, si le Nil ne féconde pas les prairies, si le ciel refuse la pluie, si la terre tremble, si la famine, si la peste se déclarent, aussitôt le cri : Les Chrétiens au lion : tant pour un (Tertul. Apol, c, xl) !»

Que prouve cette remarquable similitude, sinon l'identité de l'esprit qui souffle sur le monde actuel, comme il soufflait sur le monde païen, et l'armait jusqu'aux dents contre le Pape et les enfants du Pape ?

V

Est-il besoin de le redire ? ce n'est ni la personne du Pape, ni son autorité temporelle qui fait peur et qui arme contre lui : c'est sa parole souveraine ; cette parole qui seule a le droit de dire sans réplique aux coupables, couronnés ou non couronnés : Non licet.

Comme cette parole, semblable aux rayons du soleil, pénètre aujourd'hui dans toutes les parties du monde, trouvant partout des organes et des défenseurs, c'est elle qui fait peur au Turc infidèle, au Russe schismatique, au Prussien protestant, à l'Anglais hérétique, à l'Italien révolutionnaire, au Suisse liberticide, au Français libre penseur, au Catholique libéral, au Franc-maçon conspirateur, au Chinois, au Japonais, à l'Indien, à tous les peuples idolâtres : c'est elle, elle seule qui les fait trembler ; elle, elle seule qu'ils poursuivent.

La peur du Pape est-elle absurde ?

I

Sous une forme ou sous une autre, le Pape est une nécessité sociale de tous les temps et de tous les lieux.

Vous avez peur du Pape de Rome, du Pape en soutane, du Pape vicaire de Jésus-Christ, du Pape infaillible et immortel. Vous ne voulez pas de lui : Nolumus hunc regnare super nos ; pour autant vous n'échapperez pas à la Papauté.

II

Vous ne voulez pas du Pape de Rome ! Vous aurez le pape de Pétersbourg, le pape de Berlin, le pape de Londres, le pape de Berne, des papes partout.

Vous ne voulez pas du Pape en soutane ! Vous aurez des papes en pantalon, galonnés, bottés, éperonnés et sabre au côté.

Vous ne voulez pas du Pape vicaire de Jésus-Christ ! Vous aurez des papes vicaires d'eux-mêmes, vicaires de leur ambition, de leurs caprices, de leurs intérêts, de leur tyrannie et dont les ordres, si aveugles qu'ils soient, deviendront la règle de votre vie.

III

Vous ne voulez pas du Pape infaillible et immortel ! Vous aurez des papes faillibles qui vous égareront dans les voies de l'erreur ; qui se contrediront les uns les autres. Ce qui sera vrai au nord, sera faux au midi, et réciproquement.

Des papes mortels ! qui légueront à leurs successeurs le droit de modifier la doctrine ; et rien n'empêchera de voir, à chaque nouveau règne, paraître un Credo officiel, différent des autres, qu'il faudra signer, ou sinon...

IV

Qu'à la suite de quelque conflit, ces différents papes soient absorbés par un pape plus puissant, comme le sont aujourd'hui les nationalités de second ordre au profit de nationalités plus grandes ; alors le monde reverra, ce qu'il a déjà vu, l'axiome de l'ancien paganisme redevenir la loi brutale du genre humain : «Tout ce qui plaît au prince, a force de loi : Quidquid pIacuit Regi, vim habet legis».

Ce jour-là, aux plus fiers ennemis du Pape de Rome, esclaves tremblants de tous les papes de fabrique humaine, il ne restera qu'à répéter au tyran, qui leur tiendra le pied sur la gorge, ce que disaient les gladiateurs aux Césars païens, assis au Colisée pour jouir de leur mort : «César, ceux qui vont mourir te saluent : Cæsar, morituri te salutant.

V

La peur du Pape, de la part des méchants, produit toutes les frayeurs des gens de bien.

Exemples : pourquoi a-t-on peur de Bismarck ? Parce que Bismarck a peur du Pape, qu'il hait le Pape, qu'il méprise l'autorité du Pape, et qu'il veut se faire pape.

Des rouges ? Parce que les rouges ont peur du Pape, qu'ils détestent le Pape, qu'ils méprisent l'autorité du Pape, et qu'ils veulent se faire papes.

Des athées, des matérialistes, des solidaires, des francs-maçons ? Parce qu'ils ont peur du Pape, qu'ils détestent le Pape, qu'ils méprisent l'autorité du Pape, et qu'ils veulent se faire papes.

Des pseudo-catholiques, appelés catholiques libéraux ? Parce qu'ils ont peur du Pape, qu'ils ne reconnaissent qu'avec restriction l'autorité du Pape, et qu'ils veulent se faire papes.

VI

Si tous ces gens-là n'avaient pas peur du Pape, et ne résistaient pas au Pape, personne n'aurait peur d'eux. Pourquoi ? parce qu'eux-mêmes n'auraient peur ni de la vérité ni de la justice. Comment cela ? parce que c'est le Pape et le Pape seul qui, directement ou indirectement, a promulgué dans le monde et qui maintient intactes les deux invariables lois du vrai et du juste : le symbole catholique et le décalogue.

VII

On le voit, de tel côté qu'on l'envisage, la peur du Pape est la peur des peurs. Les ennemis de la société et de la religion ne craignent que le Pape. Les amis de la religion et de la société ne craignent que ceux qui ne craignent pas le Pape, et qui veulent se faire papes. Ainsi, le monde actuel tout entier est sous l'influence de la peur : les méchants, parce qu'ils ont peur du Pape ; les bons, parce qu'ils ont peur des papes.

Dans des sens très différents, tous ont raison.

Que prouve la peur du pape ?

I

Les ennemis du Pape ont beau nier, se récrier, se moquer, hausser les épaules, en entendant dire qu'ils ont peur du Pape : l'iniquité se ment à elle-même. Comme nous l'avons vu, leur conduite dément leur langage. Mais que prouve leur crainte du Pape ? elle prouve leur foi au Pape.

II

On ne hait que ce qu'on craint, et On ne craint que ce qu'on croit. On ne hait ni ce qu'on aime, ni ce qui ne peut nuire ; nul n'a peur du néant.

Ah ! si le Pape n'était rien, sa parole rien, son autorité rien, ses condamnations rien ; et s'ils le croyaient, les ennemis du Pape n'auraient ni peur, ni haine, ni protestations, ni blasphèmes, ni négations contre le Pape ; ni barrières pour arrêter sa parole, ni éteignoirs pour l'étouffer, ni sophismes pour en fausser le sens, ni distinctions pour en atténuer la valeur.

III

Si même le Pape n'était pas tout, mais seulement quelque chose, la peur qu'il inspire, la haine qu'il excite, se renfermeraient dans des proportions relativement restreintes.

Mais parce qu'il est tout, c'est-à-dire la puissance invincible qui seule les tient en échec, qui seule peut réduire à néant leurs calculs et leurs espérances, la peur qu'il inspire ne connaît pas de bornes.

Ainsi, plus ils se montrent hostiles au Pape, plus ils font profession de reconnaître sa puissante autorité. Or, comme à aucune époque de l'ère chrétienne, la peur du Pape, la haine du Pape, l'opposition au Pape n'ont été si générales, si officielles, si opiniâtres, il en résulte que jamais la proclamation de son autorité ne fut si incontestable et si solennelle qu'aujourd'hui.

La peur du Pape, élevée à sa plus haute puissance, est donc le glorieux couronnement de toutes les preuves de la divinité du christianisme, et de l'inviolable fidélité du Pape à garder le dépôt de la vérité.

IV

Si, à la peur universelle du Pape, dans tout ce qui est, à des degrés différents, hors de la vérité et de la justice, on ajoute un sentiment tout contraire, de la part de tout ce qui est dans la voie de la vérité et de la justice, on arrive par deux voies différentes à la même démonstration de la divine et infaillible autorité du Pape. Parties de deux points opposés, ces deux voies, ou ces deux sentiments sont, d'une part, la peur et la haine du Pape ; d'autre part, la confiance et l'amour du Pape.

V

On se trouve ainsi en présence d'un phénomène, dont le majestueux éclat fait cligner les yeux, comme le disque du soleil en plein midi. Quel est ce phénomène ? De tous les êtres visibles, le pape est le plus haï et le plus aime. Ceci prouve que le Pape n'est pas un homme comme un autre ; mais l'homme supérieur à l'humanité, l'homme nécessaire au monde et le seul nécessaire.

VI

Que le Pape soit de tous les êtres le plus craint et le plus haï, nous en avons donné la preuve. En la donnant sans interruption avec un éclat plus ou moins vif, tous les siècles ont accompli la divine parole : «Le disciple n'est pas au-dessus du Maître ; s'ils M'ont persécuté, ils vous persécuteront».

Qu'en même temps le Pape soit le plus aimé, rien n'est plus visible. Par amour pour sa personne, des milliers d'hommes de toutes les contrées du globe, de tous les rangs, de toutes les conditions, s'associent cordialement à ses souffrances et se succèdent chaque jour au seuil de sa prison lui apportant les témoignages non suspects d'un dévouement filial.

Ce dévouement n'est pas seulement en prières et en larmes. Tous les âges, toutes les fortunes, les plus humbles comme les plus riches, viennent déposer à ses pieds les trésors de leur amour, formés souvent des plus pénibles sacrifices.

VII

Par respect et par amour pour sa parole et pour son autorité, des milliers de prêtres, d'évêques, de vierges chrétiennes, de laïques, hommes et femmes, quittent leur famille et leur patrie et s'en vont par tout l'univers braver la faim, la soif, les fatigues, les feux et les glaces des climats, les prisons, les tourments et même la mort.

D'autres, en nombre incalculable, se dévouent, pour le rétablissement de son règne, aux veilles, aux austérités, aux prières, aux pèlerinages, aux bonnes œuvres quelquefois les plus pénibles à la nature : tel est le spectacle dont nous sommes témoins.

Quel est le monarque au faite des grandeurs, qui ait été et qui soit encore entouré de tant de courtisans désintéressés et fidèles, que ce Roi tombé du trône ?

Où doit conduire la peur du Pape ?

I

Le monde actuel se meurt faute de vérités. En considérant ce qui se passe, en prévoyant ce qui nous menace, chacun peut et doit dire dans l'effroi de son âme : «Seigneur, sauvez-moi ; car les vérités sont diminuées et amoindries parmi les enfants des hommes». Rien n'est mieux justifié que ce cri d'alarme. La vérité est la vie des nations.

Moins il y a de vérités chez un peuple, plus sa décadence est certaine et sa ruine inévitable.

Au contraire, plus grand est le nombre des vérités chez un peuple, plus forte et plus générale est l'acceptation de ces vérités, plus abondante est la vie de ce peuple ; plus affermie sa prospérité, plus certaine sa longévité.

II

Le Pape est le dépositaire infaillible de la vérité. De ses lèvres et de ses lèvres seules, elle découle pure et souveraine sur le monde, comme la rosée du ciel, pour féconder la terre ; comme les rayons du soleil pour illuminer le genre humain et le diriger dans sa marche vers ses destinées éternelles.

Comme Celui dont il tient la place, le Pape peut, bien que dans un sens différent, dire de lui-même : «Je suis la voie et la vérité et la vie ; celui qui me suit ne marche pas dans les ténèbres». Tout ce qu'il y a de civilisation dans le monde, affirme cette parole.

III

Ainsi, tourner le dos au Pape, c'est le tourner à la vérité, à la justice, à la vie ; c'est s'envelopper de ténèbres, marcher d'erreurs en erreurs, de révolutions en révolutions, de précipices en précipices, jusqu'au dernier abîme, au fond duquel est la mort, dans les convulsions de l'agonie. Ainsi ont péri toutes les nations qui ont vécu, ainsi périront toutes celles qui vivent et qui suivent la même voie : Omne regnum quod non servierit tibil peribit (Is. lxxii, 12).

IV

Pour n'en citer qu'un exemple : ainsi finit la nation grecque, le grand empire d'Orient. C'était au milieu du XVe siècle ; le Pape, qui prévoyait sa ruine, fit un dernier effort pour le retenir sur le penchant du gouffre où il allait s'engloutir.

Dans ce but, il lui envoie son représentant, le célèbre cardinal Isidore. Il arrive à Constantinople, au moment où le terrible Mahomet II allait s'emparer de la ville, et donner au monde épouvanté le spectacle d'une catastrophe analogue à la prise de Jérusalem par Titus.

Affolés par la crainte du Pape, qui seul pouvait encore les sauver, les Grecs insultent son représentant, méprisent ses conseils, repoussent ses secours. Dans leur haine aveugle, ils vocifèrent dans les rues de la cité coupable : «Plutôt le turban de Mahomet, que le chapeau d'Isidore !»

Leur cri a été entendu : ils n'ont pas voulu du chapeau, ils ont le turban.

V

Périr pour une nation, surtout pour une nation baptisée, ce n'est pas toujours, comme la nation grecque, s'effondrer dans le sang, c'est perdre sa vie morale, tout en conservant plus ou moins sa vie matérielle, ses progrès matériels, sa tranquillité matérielle, sa puissance et sa richesse matérielles.

Privée de la meilleure partie d'elle-même, cette nation devient l'homme animal, animalis homo, qui ne comprend plus que les quatre besoins de la bête : boire, manger, dormir et digérer.

Tel est le châtiment inévitable de son orgueil. Ce châtiment est écrit en caractères ineffaçables dans le code du Législateur suprême.

Tombée par sa faute des hauteurs de l'ordre surnaturel, des pures régions de la vérité, cette nation ne comprend plus sa dignité d'être raisonnable, moins encore sa dignité d'être chrétien. Aux nobles inspirations de l'être immortel, ont succédé les grossiers instincts des bêtes de somme : Homo cum in honore esset, non intellexit : comparatus est jumentis insipientibus, et similis factus est illis (Ps. xlviii, 13).

VI

Le Pape étant le dépositaire et l'organe nécessaire de la vérité, et la vérité étant la vie et la libératrice des nations, veritas liberavit vos, que penser d'un monde qui a peur du Pape, qui hait le Pape, qui persécute le Pape, qui voudrait anéantir le Pape, qui par ses tendances générales marche aux antipodes du Pape : que doit-il attendre ?

Que doit-on penser d'un malade à l'agonie, qui a peur du médecin possesseur d'un remède infaillible; qui déteste ce médecin ; qui lui interdit l'accès de sa couche ; qui, avec une opiniâtreté stupide, lui ferme l'entrée de sa demeure ? Que ce malade doit-il attendre ?

VII

Nous voudrions être dans l'erreur et n'en croire ni nos yeux, ni nos oreilles, mais tel est, dans notre conviction profondément douloureuse, l'état du monde actuel et telles ses dispositions à l'égard du Pape.

Sans être prophète, ni fils de prophète, on peut affirmer sans crainte que ce monde est menacé d'un effondrement général. Ce qu'il y a de plus clair et qui donne plus tristement raison à ces inductions de la logique chrétienne, c'est l'aveuglement de ce monde, qui non seulement ne comprend plus les lois de sa vitalité, mais qui prend en mépris et en haine ceux qui ont le courage de les lui rappeler.

A quoi nous oblige la peur du Pape ?

I

Nous tous qui avons le bonheur de les comprendre, quels devoirs avons-nous à remplir ?

Le premier, c'est de combattre par tous les moyens à notre disposition, dans la sphère où la Providence nous a placés, la peur du Pape, de sa parole et de son autorité. C'est de montrer et de démontrer, sans jamais nous lasser, que cette peur est non seulement un vain fantôme, mais encore de tous les prestiges sataniques le plus absurde, et le plus dangereux pour les nations comme pour les individus.

Non et mille fois non ; le Vicaire de Jésus-Christ, le Père des chrétiens, n'est ni l'ennemi des hommes et des peuples, ni un Croque-mitaine toujours prêt à dévorer leur liberté, leur bien-être, leur repos. Le Pape est tout le contraire. Le Pape est l'ange gardien du monde. Seul il garde la liberté humaine, la dignité humaine, le coffre-fort du banquier, la borne des champs du propriétaire et le chaume du laboureur[3].

Voilà pourquoi, uniquement pourquoi il est en butte aux attaques de tous ceux qui en veulent à la liberté, à la dignité, à la propriété de leurs semblables.

II

A toutes ces créatures, hommes et femmes, lettrés et illettrés, affolées par la peur du Pape, il faut répéter : vous ne voulez pas du Pape ; eh bien ! sans le Pape le monde redeviendra ce qu'il était avant le Pape ; un bétail, tremblant devant un despote qui lui tiendra le pied sur la gorge ; despote omnipotent qui au gré de ses caprices souverains lui confisquera la liberté, l'honneur, la fortune.

III

Le second, c'est d'aimer le Pape, pour nous et pour ceux qui ne l'aiment pas.

Pour nous : c'est pour nous qu'il souffre. C'est afin de nous conserver intact le plus précieux des biens, le patrimoine de la vérité dont le dépôt lui a été confié, qu'il s'est laissé dépouiller de tout ; qu'il se laisse chaque jour insulter, calomnier, abreuver d'outrages, emprisonner ; et comme son divin Maître, se livre sans se plaindre aux mains de ses ennemis, disposé à boire l'amer calice jusqu'à la lie ; si même, il le faut, à expirer sur la croix pour le salut de ses enfants devenus ses bourreaux.

IV

Ah! si le souverain Pontife avait voulu faire au monde actuel certaines concessions ; consentir à l'abandon de quelques-uns de ses droits ; céder quelque chose du dépôt dont il est le gardien ; discuter ce qu'on intitule le modus vivendi ; accepter ce qu'un parti de loups, cachés dans la peau de brebis, appelle la conciliation de l'esprit moderne avec l'esprit de l'Église : le Saint-Père aurait pu voir pour un temps, peut-être, les Hérodes, les Pilates, les Judas, s'éloigner; ses chaînes s'alléger et sa prison s'élargir.

Mais non, il sait que Pierre doit se laisser crucifier, plutôt que de renier son Maître ; que le bon Pasteur doit donner sa vie pour ses brebis et que, tenant en main le salut du monde, il ne peut ni ne veut à aucun prix le compromettre : telle est la cause de ses souffrances, et c'est pour nous qu'il les endure.

Que notre amour se manifeste tout à la fois par nos aumônes, par nos prières, et surtout par un attachement inébranlable à ce père, trois fois aimable et trois fois vénérable.

Enfants bien nés, que votre règle invariable de penser et d'agir se formule ainsi, dans toutes les circonstances, envers et contre tous : je crois tout ce que croit le Saint-Père ; j'approuve tout ce qu'il approuve ; je blâme tout ce qu'il blâme ; je condamne tout ce qu'il condamne : In pace in idipsum dormiam et requiescam.

Conserver ainsi l'intégrité de notre foi, est le meilleur moyen de consoler le cœur de notre Père, en l'imitant dans son inébranlable fermeté.

V

Pour ceux qui ne l'aiment pas (hélas! ils sont en grand nombre), pour ces malheureux aveugles plus ou moins volontaires, adressons au Père céleste la sublime prière du pardon : «Pater, ignosce illis, non enim sciunt quid faciunt : Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce qu'ils font».

A leurs blasphèmes, répondons par la louange ; à leurs calomnies, par la vérité ; à leurs outrages, par la vénération ; à leurs spoliations, par l'aumône ; à leur haine, par l'amour : amour plus fort que la mort et qui ne recule devant aucun sacrifice, même du sang, pour apporter quelque consolation aux douleurs du vénérable captif du Vatican, notre modèle, notre bienfaiteur et notre père.

VI

Le troisième est de veiller attentivement sur nous-mêmes. Les temps périlleux sont arrivés. L'esprit qui souffle sur le monde actuel et qui fait tant de victimes, bat continuellement en brèche notre foi, nos mœurs, notre vie surnaturelle.

Comme par autant de bouches empoisonnées, le souffle antichrétien sort à chaque heure, dans les villes et dans les campagnes, de myriades de journaux, de livres, de scandales, de discours, de chansons, de gravures, prêchant sur tous les tons la peur du Pape, la haine du Pape, le sensualisme, le matérialisme, l'athéisme, l'ignoble identité de l'homme et de la bête.

Si donc le Saint-Père fait tant pour nous conserver le patrimoine de la vérité, que ne devons-nous pas faire pour le sauvegarder en nous, dans nos enfants, dans tout ce qui nous est cher ?

Dans les circonstances où nous sommes, périlleuses aujourd'hui et demain peut-être désastreuses, sauver en nous la foi, la foi des martyrs, la foi toute d'une pièce, la foi qui a vaincu le monde : voilà le premier de nos soins.

A quoi nous oblige la peur du Pape ? (Suite.)

I

Le quatrième devoir est de demander instamment à Dieu la fin des maux actuels, soit par le triomphe momentané de l'Église, soit par son triomphe éternel.

Je dis momentané, parce que, si brillant qu'on le suppose, ce triomphe subira la loi du temps, et, comme tout ce qui est du temps, sera plus ou moins complet et finira après une durée plus ou moins longue.

Triomphe éternel : c'est celui-là surtout que nous devons demander avec instance, désirer avec ardeur. Nous touchons ici à un des plus profonds mystères de la conscience humaine.

II

Fait pour Dieu, son principe et sa fin, l'homme, comme toutes les créatures, tend vers son centre. C'est la loi de son être, qu'il peut fausser, mais non détruire. De là vient que, dans toute la durée des siècles, le genre humain a eu deux désirs fondamentaux et deux seulement.

Pendant les quatre mille ans de l'antiquité, son invariable désir fut l'avènement du Dieu rédempteur et l'établissement de son règne.

Dans cette descente de Dieu vers lui, l'homme voyait avec raison un grand pas vers son centre, et ce qui en devait être la suite, la cessation de ses maux et de ses agitations sans cesse renaissantes ; ses lumières, sa liberté, son bonheur. Voilà pourquoi le Messie, appelé par tous les vœux, salué d'avance par tous les regards du monde ancien, est divinement nommé : Desideratus cunctis gentibus : Le Désiré de toutes les nations.

III

Venu, non à la fin, mais dans la plénitude des temps, le Verbe incarné a réalisé le premier désir du genre humain. Mais tout en améliorant sous tous les rapports la condition de l'humanité, il l'a réalisé sans ôter à la vie du temps son caractère d'épreuve : ses labeurs, ses obscurités, ses luttes, ses douleurs, ses défaillances.

Ce premier désir à peine satisfait, Dieu a mis au cœur du genre humain un second désir, complément du premier. Avec autant d'ardeur que le premier, il lui fait désirer son second avènement sur la terre et l'établissement de son règne éternel : c'est-à-dire non plus dans les conditions laborieuses, imparfaites et variables du temps, mais dans l'immuable perfection de l'éternité. Ce second désir, est le désir de la fin du monde.

IV

Écoutons la science des choses divines, parlant par l'organe des Pères et des Docteurs.

«De même, dit le Catéchisme romain, que depuis le commencement du monde le grand désir de l'humanité fut l'avènement du Verbe incarné ; ainsi, depuis son retour dans le ciel, l'humanité désire, avec une grande ardeur son second et glorieux avènement».

Et le grand Bellarmin, en expliquant la seconde demande du Pater :

«Nous demandons que le monde actuel finisse bientôt, et que bientôt vienne le jour du jugement dernier. Sans doute les amateurs du monde ne peuvent entendre une nouvelle plus désagréable, que celle du jour du jugement ; néanmoins les citoyens du ciel, maintenant pèlerins sur la terre, n'ont pas de plus grand désir.

«De là cette parole de saint Augustin : avant la venue du Messie, tous les désirs des saints de l'ancienne loi avaient pour objet son premier avènement ; de même aujourd'hui, tous les désirs des saints de la loi nouvelle ont pour objet la seconde venue du même Sauveur, qui élèvera toutes choses à la perfection».

V

Afin d'entretenir ce mystérieux désir, toujours vivant dans le cœur du genre humain, Dieu a voulu que chaque jour il fût exprimé des milliers de fois, sur tous les points du globe, par tout ce qui a l'intelligence de la vie : Adveniat regnum Tuum. Telle est la divine formule de ce désir, dont l'accomplissement, en mettant fin au monde actuel, toujours en travail, sera la régénération de l'univers.

Qu'elle arrive donc, la fin de ce monde, où il n'y a rien de parfait, rien de définitif, où tout est perpétuellement à l'état de formation et de décadence ; que le règne actuel de Dieu, combattu et limité, soit remplacé par Son règne absolu, éternel ; où Dieu, tout en toutes choses, régnera sans opposition sur toutes Ses œuvres régénérées ; sur les bons, dans la plénitude de Son amour ; sur les méchants, dans la plénitude de Sa justice !

VI

Ce désir est tellement dans l'ordre divin, qu'il vit au fond même des créatures insensibles, dont la condition suit toujours la condition de l'homme. «Toutes les créatures, dit saint Paul, attendent avec un grand désir la manifestation des enfants de Dieu, parce qu'elles sont assujetties à la vanité, non pas volontairement mais par Celui qui les y a assujetties, avec l'espérance qu'elles seront elles-mêmes affranchies de cet asservissement à la corruption, pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu.

«Car nous savons que jusqu'à présent toutes les créatures gémissent et sont dans les douleurs de l'enfantement ; et non seulement elles, mais aussi nous-mêmes, qui possédons les prémices de l'esprit, nous gémissons au-dedans de nous, attendant l'adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre corps. En effet, nous ne sommes encore sauvés qu'en espérance». (Rom., viii, 19-24)

CONCLUSION

Ce que Moïse disait aux Israélites après la promulgation de la loi ; ce que le prophète Ézéchiel leur répétait au milieu des épreuves de la captivité, il faut le dire au monde actuel :

«J'en prends aujourd'hui à témoin le ciel et la terre ; j'ai mis devant vos yeux la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisissez donc la vie». (Deuter, xxx, 19)

«...Abjurez vos préjugés ; faites-vous un cœur nouveau et un esprit nouveau : et pourquoi voudriez-vous mourir, maison d'Israël ?» (Ezech, xx, 31)

Aimer le Pape, obéir au Pape, rendre au Pape son autorité tutélaire : c'est la vie.

Avoir peur du Pape, s'éloigner du Pape, désobéir au Pape, combattre le Pape, abandonner le Pape : c'est la mort.

Ni les révoltes de l'orgueil, ni les sophismes de l'impiété, ni les subtilités de la diplomatie, ni les combinaisons des politiques, ni les expédients des législateurs ne trouveront un salutaire milieu, entre les deux termes de cette impitoyable alternative : la vie avec le Pape, ou la mort sans le Pape.

Elle reste donc debout, entière et invincible, la vérité établie dans cet opuscule, savoir que de tous les prestiges sataniques, le plus absurde et le plus funeste au monde actuel, c'est la peur du Pape.



[1] Prestige : illusion opérée par artifice. Illusion en général.

[2] C'est la 80ème proposition condamnée par le Syllabus, et qui est ainsi conçue : "Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, avec le libéralisme et avec la civilisation moderne".

[3] Nous l'avons montré dans un petit opuscule intitulé : A quoi sert le Pape ?