SERMON IX.

L’INFAILLIBILITÉ DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE ROMAINE EN MATIÈRE DE FOI ET DE MOEURS.

Par Mr l’abbé Mercier

Orateurs sacrés, par M. l’Abbé MIGNE, T. 67, 1855, pp. 1064-1073

Qui vos audit me audit, et qui vos spernit me spermit

(Luc., X, 16.)

Qui vous écoule, m’écoute; qui vous méprise, me méprise.

Ainsi parlait Jésus-Christ à ses apôtres.

Oui, mes frères, écouter le pasteur de l’Eglise romaine, c’est écouter Jésus-Christ lui-même; mépriser ce successeur des apô­tres, c’est mépriser Jésus-Christ; et mépriser cet Homme-Dieu, c’est mépriser son Père céleste qui l’a envoyé sur la terre pour sauver les hommes en mourant pour eux et en fondant une société toute spirituelle qui continuât, après son ascension glorieuse, son divin ministère. Ce ministère indes­tructible que le Rédempteur confia tout d’abord à ses douze premiers disciples, ce sont les évêques, leurs successeurs, qui ont seuls le droit de l’exercer par eux-mêmes ou par des prêtres qu’ils consacrent à cet effet et qu’ils envoient en leur nom. C’est entre les mains de ce pontife que l’Homme ­Dieu a remis le précieux dépôt de sa reli­gion, le soin de la prêcher aux nations, de leur en dispenser la grâce et les consola­tions. Par lui ces chefs du troupeau ont été exclusivement chargés de fixer à jamais le vrai sens des saintes Ecritures et de la tra­dition que l’hérésie s’efforce d’empoisonner et que l’impiété voudrait détruire, Donc désobéir aux évêques et mépriser leur en­seignement, c’est désobéir à Dieu et mépri­ser sa doctrine : Qui vos spernit, me spernit. Mais, me dira-t-on sans doute, si ces pas­teurs se trompent dans les choses qu’ils nous enseignent et nous commandent ! Chré­tiens, c’est précisément pour éclairer votre foi sur ces deux points importants que j’en­treprends ce discours dont voici le dessein: l’Eglise romaine. C’est-à-dire le corps des évêques catho1iques, présidée par le Pape, est infaillible soit en matière de foi, soit en matière de mœurs. D’où je conclurai néces­sairement que nous devons croire avec une entière sécurité tout ce qu’elle enseigne, et pratiquer tout ce qu’elle ordonne.

PREMIÈRE PARTIE.

L’Eglise de Jésus-Christ ne peut ensei­gner, comme article de foi, que ce qui est la parole même de Dieu. Etablissons ce principe fondamental et par les simples lumières de la raison et par les oracles de la sou­veraine Vérité. Et d’abord, Dieu, étant la suprême sagesse, a dû, en établissant son Eglise, employer tous les moyens de la maintenir et de l’éterniser dans sa pureté primitive. Or, mon cher frère, de tous ces moyens, le plus indispensable, c’est incon­testablement l’infaillibilité dans ses ensei­gnements; et sans ce caractère essentiel la religion du Christ n’aurait pu manquer de périr avec ses fondateurs. Pour s’en con­vaincre, il suffit de se reporter par la pen­sée au moment de la mort du dernier des apôtres. Quel sort va être celui de l’Evangile qu’ils ont annoncé au monde? Qui veillera désormais au dépôt sacré de la révélation? Qui le conservera dans toute son intégrité? Il est consigné, répond-on, dans les livres des prophètes, des apôtres, des évangélistes: je le sais; qui me garantira l’authenticité de ces livres inspirés, qui m’assurera que ces divines productions contiennent réellement la parole même de Dieu et rien que cette parole? Qui en écartera enfin les erreurs et toutes les fautes graves qui pourraient s’y glisser par la négligence ou la mauvaise foi des copistes et des imprimeurs? Ces écrits célestes ayant été traduits si souvent et en tant de langues diverses, qui m’affirmera que toutes ces traductions sont exactes et fidèles? Comment, en un mot, distingue­rai-je la vérité du mensonge, si une autorité vivante ne me la montre infailliblement ?

Ce n’est pas tout encore: j’ouvre la Bible et j’en lis attentivement plusieurs passages difficiles à comprendre. Comment saurai-je que j’en saisis le vrai sens? Car ce livre qui est muet par lui-même paraît susceptible d’explications différentes et diamétralement opposées. Eh bien! S’il était permis à cha­que lecteur d’interpréter, suivant son intel­ligence, ses penchants, ses caprices, l’An­cien et le Nouveau Testament, n’en sortirait-il pas autant de doctrines, autant de re­ligions qu’il y a de familles, qu’il y a d’indi­vidus ? Et alors à quoi aurait servi, je vous le demande, que Jésus-Christ fût descendu parmi les hommes pour leur apprendre la véritable et unique science du salut?

Ah! Mes frères, ne craignons pas un dé­sordre si indigne de la prescience et de la bonté de Dieu; un désordre qui ne trouve pas même d’exemple parmi les faibles mor­tels. Quel est, en effet, le gouvernement qui abandonne l’interprétation de ses lois à l’ignorance et aux passions de la multitude. Quel est le monarque qui n’établisse des tribunaux composés de magistrats habiles, et expérimentés, pour en manifester le vé­ritable esprit et en faire une juste application? Comment se termineraient les nom­breux procès où chaque piailleur prétend avoir le Code pour lui, si une autorité souveraine n’était exclusivement chargée de par le roi d’en promulguer le véritable sens et de juger en dernier ressort qui a tort et qui a raison? Quoi! Ce moyen de sagesse et de conservation qui n’a été oublié par aucun législateur humain, aurait échappé au suprême Législateur de l’univers!

Vous le voyez clairement, mon cher auditeur; dans l’ordre spirituel où rien ne se fait par contrainte, où tout au contraire s’accomplit par conviction et par persuasion, il était absolument nécessaire que le Dominateur du temps et de l’éternité insti­tuât au milieu des générations, une cour infaillible et universelle pour constater irrévocablement l’authenticité, l’intégrité et la vérité de ses dogmes divins; pour confondre le criminel orgueil de l’hérésie et de l’incrédulité qui essayeraient de les altérer et de les détruire dans le cœur de l’homme; pour tranquilliser, en l’instruisant d’une manière sûre, la conscience des fidèles; pour perpétuer enfin, pour immortaliser sa religion dans la société des intelligences.

Mais hâtons-nous de prouver plus victorieusement encore par les oracles mêmes de l’Evangile cette infaillibilité si consolante de l’Eglise romaine.

Jésus-Christ nous ordonne d’écouter son Eglise sous peine d’être traités par lui comme les païens et les publicains. Or, mes frères, le Fils de Dieu nous impose­rait-il une obligation aussi redoutable dans ses conséquences, s’il n’avait doué cette Eglise du don de l’infaillibilité? Quoi ! D’un côté, le corps épiscopal pourrait nous en­seigner une fausse doctrine, et, de l’autre, le sublime Précepteur du genre humain nous commanderait impérieusement, sous peine de réprobation, de recevoir cette doctrine mensongère comme révélée d’en haut ! Quel blasphème!... Voici, chers frères, une autre promesse d’infaillibilité bien plus précise et bien plus solennelle encore. Sur le point de remonter vers son Père, Jésus-Christ veut revêtir la faiblesse de ses apôtres de toute la vigueur de son bras: de toute la plénitude de son sacerdoce; il veut leur communiquer ses immenses pouvoirs ! Quel va être son langage dans une circons­tance si touchante, si mémorable, si décisi­ve? Ecoutons : Toute puissance m’a été donnée au ciel et sur la terre; je vous envoie comme mon Père m’a envoyé; allez, enseignez toutes les nations, et voici que je suis avec vous, tous les jours, jusqu’à la consomma­tion des siècles. (Matth., XXVIII, 18-20;Joan., XXI, 21.) Est-il clair, maintenant, mon cher auditeur, que cette magnifique promesse du Sauveur d’être continuellement  avec les disciples pour les aider à enseigner, à ex­pliquer sa foi, regarde non seulement les apôtres qui ne devaient vivre que quelques années, mais aussi les évêques leurs succes­seurs? Or, mes frères, si Jésus-Christ assiste, tous les jours, les successeurs des apôtres, peuvent-ils enseigner autre chose que la vé­rité? Car s’ils venaient à prêcher l’erreur, l’Eglise ne succomberait-elle pas sous le coup de l’enfer, en dépit de la promesse faite à Pierre, que les portes, que la puissance de l’enfer ne prévaudront jamais contre cette Eglise? Donc l’Eglise de Jésus-Christ est évi­demment infaillible en matière de foi.

En faut-il davantage, mon cher auditeur, pour éclairer et affermir votre foi? Hé ! Qu’est-ce qui pourrait donc, je vous prie, l’alarmer, l’ébranler? La profondeur des mystères du christianisme? Mais que nous importe de la comprendre ici-bas, puisque nous savons indubitablement que c’est Dieu lui-même qui nous l’a révélée, et qui n’exi­ge de notre raison un sacrifice si passager et si légitime que pour nous en récompen­ser magnifiquement un jour. Serait-ce l’obs­curité que présentent assez souvent les Livres sacrés? Cette difficulté, je l’avoue, est écrasante pour nos frères égarés qui, pour ce point fondamental, n’admettent d’autre autorité que la raison individuelle; car ce jugement particulier, en présentant à chacun d’eux, sur le même objet, les opi­nions les plus variées, les doctrines les plus contradictoires, les jette nécessairement dans une confusion et les divise presqu’en autant de sectes qu’il y a de protestants. Mais cette difficulté de comprendre les écrits inspirés peut-elle troubler un seul instant les catholiques, qui en reçoivent le vrai sens de la bouche d’une Eglise que Jésus-Christ leur ordonne expressément d’écouter comme lui-même? Oui, mon cher frère, la parole de Jésus-Christ et l’expé­rience de dix-huit siècles doivent rassurer la croyance du fidèle romain au milieu même du plus grand danger. Le serpent de l’hérésie vient-il à dresser, du fond de l’abîme, sa tête altière, et faire entendre ses sifflements et ses blasphèmes, l’évêque dio­césain sonne aussitôt de la trompette évan­gélique et s’arme de sa verge pastorale pour avertir et défendre son troupeau, et son exemple est bientôt suivi par les évêques de sa province. Si leurs efforts réunis ne suffisent pas pour arrêter la contagion, ils implorent le secours puissant du chef de l’Eglise qui convoque un concile national ou universel, si les circonstances le permet­tent et l’exigent, ou qui prononce lui-même du haut de la Chaire de Pierre, avec tout le poids de sa souveraineté apostolique, et sa décision solennelle étant approuvée de tous les évêques, ou de la grande majorité des évêques, les esprits inquiets ou indécis re­couvrent soudain leur tranquillité. C’est alors qu’on entend le savant Augustin s’é­crier avec action de grâces : Rome a parlé, la cause est terminée. C’est alors qu’on voit le pieux Fénelon condamner avec empres­sement son propre ouvrage; et s’il se rencontre parfois des hérétiques insoumis et audacieux, bientôt confondus et foudroyés par l’Eglise entière, quels que soient leur puissance et leur génie, ils sont effacés avec opprobre du registre de ses enfants,

Que les évêques unis au Pape, réplique­-t-on, soient infaillibles en matière de foi, nous n’en pouvons plus douter. Mais, comme il est d’expérience que l’évêque pris en par­ticulier peut aussi bien se tromper que le simple prêtre envoyé par lui, qui nous as­surera que nos pasteurs et nos missionnaires ne nous prêchent que la vraie doctrine? Je vous l’ai déjà dit, mes frères: si un confesseur ou un prédicateur était assez ignorant ou pervers pour enseigner l’hérésie, son évêque qui ne tarderait pas à en être instruit l’obli­gerait aussitôt à se rétracter et à faire amende honorable de son impiété, et si par malheur, ce qui n’est pas sans exemple, cet évêque manquait à son premier devoir ou propageait lui-même l’erreur, les évêques, ses voisins, se hâteraient de venir au secours du dogme attaqué. Je vous le demande, cher frère, si j’osais vous soutenir en ce moment que Jésus-Christ n’est pas Dieu, qu’il n’est pas réellement présent dans l’Eucharistie, et autres blasphèmes semblables, quel est parmi vous celui qui ne me repousserait pas avec indignation et ne me dénoncerait pas à mes supérieurs ecclésiastiques? Lorsque Nestorius ne rougit pas de prêcher publique­ment que Marie n’était pas Mère de Dieu, ne fut-il pas contredit sur-le-champ par un simple laïque qui se leva du sein de l’au­ditoire pour venger l’honneur de la sainte Vierge, dont le plus sublime privilège fut bientôt solennellement proclamé dans le concile général d’Ephèse?

Soyez béni, Ô mon Dieu ! D’avoir procuré à tous les hommes, aux ignorants et aux savants, un moyen sûr et facile de connaître votre religion et par elle la route du ciel ! Je me repose donc avec une entière sécurité sur une Eglise que vous éclairez sans cesse, que vous gouvernez vous-même du haut des cieux ! Je lui expose mes doutes et me sou­mets d’avance à toutes ses décisions; tout ce qu’elle professe, je le professe; tout ce qu’elle condamne, je 1e condamne; et trop heureux si, j’accomplissais tout ce qu’elle prescrit !... Il ne me reste plus, mes frères, qu’à vous démontrer son infaillibilité en matière de mœurs.

DEUXIÈME PARTIE

Mes frères, c’est une vérité de foi enseignée par le grand Apôtre, que le Saint-Esprit a chargé les évêques, les évêques seuls, de gouverner l’Eglise de Dieu, et que, par une conséquence nécessaire, il les a investis du pouvoir de faire des lois et d’en punir les violateurs: Posuit episcopos regere Ecclesiam Dei. (Act., XX, 28.)

Mais quelles lois, me demanderez-vous? Toutes celles qu’ils jugeront essentielles et convenables au maintien de la foi et de la morale évangélique, à la prédication des vérités saintes, à l’administration des sacrements, à la décence et à la majesté du culte, à l’ordre et à la police dans les temples, à la pureté des mœurs, à la correction des abus, à la suppression du scandale, à la prohibition des mauvais livres et des enseignements corrup­teurs et subversifs, et, en un mot, à tout ce qui peut intéresser la gloire de Dieu, et la sanctification des âmes. Or, mon cher audi­teur, quand nous disons que l’Eglise est infaillible en matière de mœurs, nous en­tendons qu’elle ne se peut tromper dans l’exercice de son autorité législative; ou, en d’autres termes, qu’elle ne peut faire et ne fera jamais que des lois sages, utiles, conformes à la volonté de son fondateur et au bien spiri­tuel de ses enfants; qu’enfin, dans ses con­seils, ses approbations et ses improbations, elle ne mésusera point de la grande puis­sance que le Sauveur lui a confiée par ces mémorables paroles : Allez, enseignez toutes les nations, et apprenez-leur à observer toutes les choses que je vous ai prescrites. (Matth., XXVIII, 19, 20.)

Vous comprenez, mes frères que cette infaillibilité de l’Eglise en matière de mœurs repose sur les mêmes fondements que son infaillibilité en matière de foi. Et en effet, est-il donc moins nécessaire pour le salut des âmes d’ordonner et de faire ce qui est bon, que d’enseigner et de croire ce qui est vrai? Si l’Eglise, par ses commandements et ses conseils pouvait nous égarer en nous don­nant des leçons de vertu, ne cesserait-elle pas d’avoir cette sainteté et cette sagesse que son divin époux lui a acquises au prix de tout son sang? Dans ce cas les portes de l’en­fer n’auraient-elles pas prévalu contre elle ? Le grand Apôtre aurait-il eu raison de l’appe­ler (1 Tim., III, 15) le firmament et la colonne de la vérité? Car, vous ne l’ignorez pas, la vérité, base immuable et absolue de l’ordre, n’a pas moins pour objet de régler le cœur que d’éclairer l’esprit. Je ne craindrai pas même d’avancer ici que si l’homme, placé par Dieu et réinstallé par Jésus-Christ dans la société, devait être réduit à ne jouir que des facultés de l’esprit ou du cœur, il vau­drait cent fois mieux qu’il brillât par le cœur que par l’intelligence.

Que signifie donc ce langage si étrange? Après tout ce n’est là qu’un commandement de l’Eglise ! Ne savez-vous pas, mon cher auditeur, que les préceptes de l’Eglise se confondent in­timement avec les préceptes de Dieu même, et qu’ils n’en sont que l’indispensable dévelop­pement? Jésus-Christ nous a dit : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, vous n’au­rez point la vie éternelle (Joan., VI), et l’Eglise ajoute : Ton Créateur tu recevras au moins à Pâques humblement. Jésus-Christ nous a dit : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous (Luc., X III , 5), et l’Eglise ajoute : Quatre-Temps, vigiles jeûneras et le carême entièrement. Vendredi chair ne man­geras, ni le samedi mêmement. En deux mots, mes frères, en parcourant tous les préceptes, tous les règlements de l’Eglise, nous nous convaincrions que bien loin d’être des lois nouvelles et vexatoires, ce ne sont au contraire, que des lois précieuses, des lois identiques et explicatives des commande­ments du Seigneur, et que, sans ces lois d’une admirable sagesse, d’une prévoyance consommée, nous ne pourrions nous accor­der et nous entendre sur l’accomplissement des préceptes divins. D’une autre part, auriez vous déjà oublié que désobéir à 1’Eglise, c’est désobéir à Jésus-Christ lui-même, qui l’a établie pour enseigner la morale aussi bien que pour enseigner le dogme ? Sans doute, s’il en était du gouvernement des évêques comme de tout gouvernement humain, il nous serait permis d’interroger notre conscience avant de nous soumettre à toutes ses exigences, car, malgré le profond respect que nous professons pour toute puissance temporelle, pour la puissance royale, par exemple, nous proclamerons hardiment l’incomparable su­périorité de l’Eglise de Jésus-Christ sur l’autorité si chancelante et si précaire des maîtres du monde. L’infaillibilité qui par nature n’appartient qu’à Dieu seul, n’a été accordée par privilège qu’à Pierre, aux apôtres et aux évêques, leurs successeurs réunis en concile par la volonté du pape. A eux seul il a été dit : Tous les jours, jusqu’à la fin des siècles, je serai avec vous, avec vous gou­vernant mon Eglise, avec vous administrant mes sacrements, avec vous enseignant aux générations la doctrine et la morale que j’ai apportées du haut des cieux. Oui, mon cher auditeur, vous êtes à l’abri de toute inquiétude, en suivant les lois générales de l’Eglise et même les ordonnances particu­lières de votre évêque; pourquoi? Parce que si les mandements de ce prélat contenaient des hérésies, des erreurs, quelques dispositions législatives ou administratives qui fussent contraires aux règles antiques et universelles de l’Eglise catholique, ces mandements se­raient aussitôt foudroyés par la plume in­flexible des autres évêques et par l’irréfragable sentence du Siège apostolique.

La puissance des souverains d’ici-bas, elle aussi, relève du Très-Haut, nous le sa­vons, nous le confessons, et voilà pourquoi, pourquoi seulement, nous leur devons tous consciencieusement obéissance dans les choses temporelles qui sont de leur res­sort et de leur compétence, pourvu, toute­fois que les lois qui émanent de leur autorité secondaire ne soient pas en opposition avec la doctrine et la morale évangélique, expression immédiate et permanente de l’éternelle Vérité : car s’il en était autre­ment, nous serions tous, prêtres et laïques, obligés de leur répondre, à l’exemple des apôtres (Act., V, 29) : Nous ne pouvons faire ce que vous nous commandez : votre juge, qui est le nôtre, nous le défend sous peine des plus redoutables anathèmes; et nous devons préférer la volonté de ce grand  Dieu, à celle des hommes.

Résumons, mes frères, ce que naguère et aujourd’hui nous avons prêché concernant l’Eglise romaine et son infaillibilité en matière de foi et de mœurs.

A l’aspect du camp d’Israël, noble figure de l’Eglise de Jésus-Christ, et de la belle et imposante harmonie qui régnait parmi les douze tribus de Jacob et les réunissait sous le double commandement d’Aaron et de Moïse, leurs illustres chefs, Balaam, pro­phète de l’armée ennemie, que l’on voulait contraindre de maudire le peuple chéri de Dieu, ne pouvant résister à l’Esprit de vérité plus fort que celui du mensonge, s’écria dans un transport d’admiration : Que tes tentes sont belles, ô Jacob! Que tes pavillons sont magnifiques, ô Israël: « Quam pulchra ta­bernacula tua, Jacob, et tentoria tua, Is­rael! » (Num., XXIV, 5.)

Quelques siècles plus tard, jetant un coup d’œil prophétique sur le règne du Messie et sur les triomphes de son Eglise, Isaïe s’é­criait dans un même transport: Qu’ils sont beaux les pieds de celui qui annonce et qui prêche la paix sur les montagnes, les pieds de celui qui annonce la bonne nouvelle, qui prêche le salut, qui dit à Sion : Votre Dieu va régner! (Isa., LII, 7.)

L’Eglise à laquelle, chers auditeurs, nous avons le bonheur d’appartenir, c’est un corps enseignant ce qu il faut croire, pres­crivant ce qu’il faut faire, dispensant les secours spirituels et les grâces pour notre régénération morale en Jésus-Christ. Elle se compose du Pape, qui en est le chef suprême, - du collège des cardinaux, qui en sont les princes électeurs,- des évêques, qui sont les gouverneurs ecclésiastiques, - des prêtres, qui sont les dispensateurs immédiats de la religion aux fidèles, - et des fidèles eux-­mêmes, qui par leur foi pratique partici­pent, de tous les points de l’espace et du temps, à l’unité souveraine qui se résume dans la papauté !

Que j’aime, chers auditeurs, à contem­pler, en esprit, tous les évêques du monde chrétien, avec tous les prêtres et tous les fidèles confiés à leurs soins, écoutant avec un profond respect et une entière soumis­sion la voix majestueuse et imposante du Souverain Pontife de Rome qui, comme chef visible et père commun de cette innombrable famille, lient ici-bas la place de Jésus-Christ, ce roi immortel de tous les peuples et de tous les siècles !

O Eglise romaine, que tu es brillante et invincible tout à la fois par cette merveilleuse alliance qui unit la terre au ciel, l’homme à la Divinité; qui comprend, dans une seule et même société, Dieu et ses perfections infinies; Jésus-Christ et le chef­ d’œuvre de la rédemption, l’homme et ses impérissables espérances !

Le Très-Haut, en jetant les immuables fondements de celle société éternelle, pou­vait-il offrir au monde un spectacle plus ravissant, pouvait-il lui donner une preuve plus étonnante du sa puissance et de sa miséricorde ! Je viens de vous donner en quelques mots une idée aussi exacte que lumineuse de notre sainte religion, en vous nommant les trois principaux et indispen­sables objets du culte catholique, savoir : Dieu, créateur des mondes, souverain des cieux qui racontent éloquemment son éter­nelle omnipotence: Jésus-Christ, son Fils unique, dont la divinité est si évidemment démontrée par l’accomplissement, en sa per­sonne sacrée, de toutes les prophéties con­cernant les moindres circonstances de sa naissance, de sa vie et de sa mort; par ses propres miracles, par les incalculables pro­diges opérés en son nom depuis dix-huit siè­cles, et surtout par l’établissement de sa reli­gion qui est, à la fois, le plus étonnante et la plus incontestable de toutes ces merveilles: l’homme enfin, que Jésus-Christ a mis en relation immédiate avec le paradis par son union hypostatique, c’est-à-dire en réunis­sant dans sa personne adorable la nature divine et la nature humaine !

Tels sont, mes frères, les inamissibles et inviolables titres de notre dignité, de notre noblesse, de notre avenir. Oui, voilà notre inaltérable et immuable Symbole, à nous catholiques ! Oui, nous adorons Dieu, Père tout-puissant, et nous nous agenouillons très humblement devant sa suprême majesté, trop fiers et trop joyeux de l’avoir pour monarque et pour ami ! Nous adorons Jésus­ Christ, la splendeur même du Père, auquel, de toute éternité, il est uni par le lien d’un amour infini qui est le Saint-Esprit, troisième personne de la Trinité adorable, qui pro­cède éternellement du Père et du Fils; et nous acceptons, avec autant de confiance que de gratitude, sa doctrine, sa morale, ses sacrements, son Evangile, en un mot, parce que nous savons d’une science cer­taine qu’il est Dieu, et que comme Dieu il n’a pu nous enseigner que la vérité et la vertu ! Oui, nous vénérons l’homme, mais l’homme parvenu à la plénitude et à la per­fection de son être; l’homme sanctifié et occupant dans le ciel un trône inébranlable. Le héros catholique qui, guidé en toutes ses actions par l’Eglise romaine, a passé sur la terre en faisant le bien, et qui n’est par­venu à la gloire de la vraie patrie qu’à force de bonnes oeuvres et de sacrifices, comme Jésus-Christ, son unique modèle, ne mérite-t-il pas incomparablement mieux nos hommages que les prétendus grands hom­mes auxquels les enfants du siècle ne rougissent pas d’offrir de l’encens et des cou­ronnes? Ainsi donc Dieu créateur et l’homme créature, Dieu infiniment parfait, infiniment offensé par l’homme infiniment imparfait et infiniment coupable, ces deux extrêmes unis et réconciliés ensemble en Jésus-Christ, médiateur: voilà, je le répète, les trois principaux objets du culte catholique, et c’est là que se trouve la religion tout entière ; religion que l’homme ne s’est pas donnée lui-même, mais qu’il a reçue toute faite telle qu’elle est descendue des cieux avec Jésus­ Christ, son fondateur, telle que l’Eglise romaine seule nous l’enseigne depuis 1800 ans !

Sainte Eglise romaine, mère des Eglises et mère de tous les fidèles, Eglise choisie de Dieu pour unir ses enfants dans la même foi et dans la même charité, nous tiendrons toujours à ton unité par le fond de nos entrailles. Si je t’oublie, Eglise romaine, puissé-je m’oublier moi-même ! Que ma langue se sèche et demeure immobile dans ma bouche, si tu n’es pas toujours la pre­mière dans mon souvenir, si je ne te mets pas au commencement de tous mes canti­ques de réjouissance: Adhœreat lingua mea faucibus meis si non meminero tui, si non proposuero Jerusalem in principio lœtitiœ meœ !!! (Psal. CXXXVI, 6.)