Lettre de Mgr Lefebvre au cardinal Seper

26 février 1978

FRATERNITE SACERDOTALE ST PIE X

1908 Ecône — RIDDES

+ Rome, le 26 février 1978

Eminence,

En réponse à votre lettre du 28 janvier, veuillez trouver ci-joint les documents qui, je l'espère, apporteront la preuve que c'est par attachement à la doctrine infaillible de l'Eglise et aux successeurs de Pierre que nous nous voyons contraint d'exprimer des réserves dans nos paroles et dans nos actes vis-à-vis de la nouvelle et singulière orientation prise par le Saint-Siège à l'occasion du Concile Vatican II et après le Concile.

Demeurant à votre disposition pour tout supplément d'information oral ou écrit, je vous prie, Eminence, d'agréer mes sentiments respectueux et entièrement dévoués en Jésus et Marie.

Marcel Lefebvre.

Réponse à la Sacrée Congrégation pour la Doctrine de la Foi

Concernant la première question : la Liberté Religieuse

A) — Prologue.

Les paragraphes 1 et 2 du document sont en contradiction avec le paragraphe 3, et c'est un fait qui se constate dans les documents conciliaires assez fréquemment, d'une manière assez explicite dans le document D.H., d'une manière implicite dans d'autres, ce qui est une source de confusion.

En effet, s'il est vrai que l'Eglise catholique est l'unique et vraie religion, toutes les personnes et toutes les sociétés en particulier la famille et la société civile doivent reconnaître pour unique et vraie religion l'Eglise catholique.

Dans la mesure où les autorités constituées par Dieu et par Notre Seigneur Jésus-Christ sont catholiques, elles ont le devoir d'exercer leur autorité selon la fonction qui leur est donnée, en faveur de l'unique et vraie religion. A cet effet elles ont le devoir et le droit d'édicter des lois, des règlements, des prescriptions qui favorisent la connaissance et l'exercice de la vraie religion, et qui la défendent contre ce qui lui est opposé. Toute autorité catholique a le devoir d'agir ainsi dans sa sphère, concourant ainsi à l'application de la loi éternelle de Dieu, dont la loi naturelle n'est que le reflet.

Cette application doit se faire selon la vertu de prudence et le don de conseil, et par conséquent suivant les cas agir avec plus ou moins de tolérance, mais aussi avec une certaine exigence, et nécessairement appliquer les sanctions que comporte toute loi juste. Il n'existe pas de loi sans sanction pour les contrevenants. Dieu en donne l'exemple. Si Notre Seigneur a parlé de la patience et de la miséricorde de Son Père, Il a aussi parlé de Sa justice et des châtiments.

B) — Analyse de l'Article I.

Première raison :

Monseigneur Lefebvre lit D.H. avec un préjugé défavorable ; or il suffit de lire quelques passages-clefs, pour voir que le «contexte» de la déclaration ne permet pas une interprétation critique.

Ainsi dans «Lumen Gentium» :

«C'est là l'unique Eglise du Christ dont nous professons dans le Symbole l'unité, la sainteté, la catholicité et l'apostolicité, cette Eglise que notre Sauveur, après sa résurrection, remit à Pierre pour qu'il en fût le Pasteur (Jean xxi, 17)... Cette Eglise, comme société constituée et organisée en ce monde, c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve, gouvernée par le successeur de Pierre et les évêques qui sont en communion avec lui, bien que des éléments nombreux de sanctification et de vérité se trouvent hors de sa sphère, éléments qui, appartenant proprement par don de Dieu à l'Eglise du Christ, appellent par eux-mêmes l'unité catholique». (n. 8)

Ainsi de même dans D.H. :

«Cette unique vraie religion, nous croyons qu'elle subsiste dans l'Eglise catholique et apostolique...» (n. 1)

REPONSE.

1. Dans L.G. le texte cité a bien sa place ; il importait en effet d'enseigner que l'Eglise, dont on affirme l'institution par le Christ, n'est autre que l'Eglise catholique, que l'on peut facilement reconnaître à «des preuves très nombreuses et éclatantes» (Léon XIII, Immortale Dei, «Paix Intérieure des Nations» - Documents Pontificaux, Desclée - n. 132) et à ses quatre «notes» qui font d'elle-même un grand et perpétuel «motif de crédibilité» (Vatican I, «Dei Filius», Dz 1793-1794). De même dans D.H. il importait avant tout d'enseigner que Dieu ne veut être honoré que dans l'unique vraie religion qu'Il a fondée Lui-même, et qui est la religion de l'Eglise catholique. (Cf. Pie IX, Lettre Apostolique «Multiplices Inter» du 10.VI.1851, et Syllabus, prop. 21, Dz 1721.) On peut citer surtout de Pie IX en ce sens, son allocution au Consistoire, du 18.III.1861

«Il n'y a en effet qu'une seule religion vraie et sainte, fondée et instituée par le Christ, Notre Seigneur, mère et nourrice des vertus, destructrice des vices, indicatrice du vrai bonheur, elle s'appelle catholique, apostolique et romaine». («L'Eglise», même collection, n. 230.)

2. Si donc l'opportunité de ces deux textes de Vatican II est indéniable, leur clarté l'est moins :

«Cette (unique) Eglise (du Christ), c'est dans l'Eglise catholique qu'elle se trouve» (L.G. 8).

«Cette unique vraie religion, nous croyons qu'elle subsiste dans l'Eglise catholique et apostolique». (D.H-1.)

Voilà des locutions nouvelles ! Pourquoi ne dit-on pas tout simplement avec la tradition que cette unique Eglise du Christ, c'est identiquement l'Eglise catholique ? On dit plus loin que des éléments de sanctification se trouvent hors des limites visibles de l'Eglise, qui appartiennent en droit à «l'Eglise du Christ» ; pourquoi ne dit-on pas : «à l'Eglise catholique» ? On dit enfin que ces éléments «appellent par eux-mêmes l'unité catholique» ; pourquoi ne dit-on pas, beaucoup plus clairement, qu'ils sont par eux-mêmes pour ceux qui en usent un appel au retour à l'unité catholique ! ?

Ainsi, dès le départ, le «contexte» de Vatican II dans la question de la liberté religieuse n'est pas aussi «clair» qu'on veut bien le dire !

C) — Analyse de l'Article II.

Seconde raison :

Vatican II n'enseigne nullement l'indifférentisme religieux condamné par les Papes, il enseigne au contraire : Tous les hommes ont l'obligation morale de chercher la vérité, d'y adhérer (dès qu'ils la connaissent) et de régler leur vie selon ses exigences.

Le devoir des fidèles, de l'apostolat missionnaire. Le devoir des fidèles de se former la conscience par la doctrine «sainte et certaine» de l'Eglise catholique «maîtresse de vérité de par la volonté du Christ». (D.H. 2 et 14.)

REPONSE.

Il est heureux que Vatican II n'enseigne pas l'indifférentisme individuel de la personne humaine vis-à-vis de la vraie religion ; c'est-à-dire la liberté morale, ou le droit de chacun, «d'embrasser la religion qu'il préfère, ou de n'en suivre aucune si aucune ne lui agrée» (Immortale Dei, P.I.N. 143) !

Mais ce que Vatican II enseigne, c'est l'indifférentisme de l'Etat[2] vis-à-vis de la vraie religion ; qui aura à son tour comme conséquence à plus ou moins brève échéance l'indifférentisme individuel en matière religieuse. (C'est ce que l'expérience de nos Etats et sociétés modernes laïcisées nous montre.)

Montrons donc :

1) Ce qu'enseigne Vatican II (D.H. 13).

2) Que cela est contraire au «Droit public» de l'Eglise.

1. Ce qu'enseigne Vatican II ex professo, sur le Droit public de l'Eglise, c'est-à-dire sur ses rapports avec l'Etat et la Société civile.

       «La liberté de l'Eglise est un (ou «le») principe fondamental dans les relations de l'Eglise avec les pouvoirs pu     blics et tout l'ordre civil». (A)

       «Dans la société humaine et devant tout pouvoir public, l'Eglise revendique la liberté au titre d'autorité spirituelle             instituée par le Christ Seigneur et chargée par mandat divin d'aller par le monde entier prêcher l'Evangile à toute             créature». (B)

       «L'Eglise revendique également la liberté en tant qu'association d'hommes ayant le droit de vivre, dans la Société             civile, selon les préceptes de la loi chrétienne». (C)

       «Dès lors là où il existe un régime de liberté religieuse... là se trouvent enfin assurées à l'Eglise les conditions, de             droit et de fait, de l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de sa divine mission». (D)

       «En même temps, les fidèles du Christ, comme les autres hommes, jouissent, au civil, du droit de ne pas être             empêchés de mener leur vie selon leur conscience. Il y a donc bon accord entre la liberté de l'Eglise et cette li            berté religieuse qui, pour tous les hommes et toutes les communautés, doit être reconnue comme un droit et             sanctionnée dans l'ordre juridique». (E) (D.H. 13.)

2. Ces propositions sont contraires à l'enseignement traditionnel de l'Eglise sur le Droit public de l'Eglise.

1) «Libertas Ecclesiae est principium fundamentale».

Non ! La liberté n'est pas le principe fondamental ni un principe fondamental en la matière. Le Droit public de l'Eglise est fondé sur le devoir de l'Etat de reconnaître la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ[3]. Le principe fondamental qui gouverne les relations entre l'Eglise et l'Etat est donc le «oportet ilium regnare» de S. Paul (I Cor xv, 25) ; ce règne ne regardant pas seulement l'Eglise, mais devant être le fondement de la cité temporelle ; ainsi l'enseigne l'Eglise, voici ce qu'elle revendique comme son premier et principal droit dans la cité :

«On ne bâtira pas la cité autrement que Dieu ne l'a bâtie ; on n'édifiera pas la société, si l'Eglise n'en jette les bases et ne dirige les travaux ; non, la civilisation n'est plus à inventer ni la cité nouvelle à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est ; c'est la civilisation chrétienne, c'est la cité catholique. Il ne s'agit que de l'instaurer et le restaurer sans cesse sur ses fondements naturels et divins contre les attaques toujours renaissantes de l'utopie malsaine, de la révolte et de l'impiété : OMNIA INSTAURARE IN CHRISTO». (S. Pie X, Lettre sur le Sillon, du 29.VIII.1910, n. 11.)

Cette doctrine, Léon XIII l'enseignait avant S. Pie X :

«Les chefs d'Etat doivent tenir pour saint le nom de Dieu et mettre au nombre de leurs principaux devoirs celui de favoriser la religion, de la protéger de leur bienveillance, de la couvrir de l'autorité efficace des lois, et ne rien statuer ou décider qui soit contraire à son intégrité». (Immortale Dei, P.I.N. 131 ; cf. aussi Libertas, P.I.N. 203.)

Et cette religion est bien sûr la seule vraie :

«Puisque est donc nécessaire la profession d'une seule («unius religionis») religion dans la cité, il faut professer celle qui uniquement est la vraie, et que l'on reconnaît sans difficulté... » (Libertas, loc. cit.)

Léon XIII, comme ses successeurs, et comme déjà saint Thomas d'Aquin, voit un double fondement au devoir de l'Etat envers la religion : 1) l'origine divine de la société civile (Immortale Dei, P.I.N. 130), 2) la fin de l'Etat lui-même, le bien commun temporel, qui doit faciliter positivement aux citoyens l'accès du Ciel !

«La société civile... doit, en favorisant la prospérité publique, pourvoir au bien de citoyens de façon non seulement à ne mettre aucun obstacle, mais à assurer toutes les facilités possibles à la poursuite et à l'acquisition de ce bien suprême et immuable auquel ils aspirent eux-mêmes. La première est de faire respecter la sainte et inviolable observance de la religion, dont les devoirs unissent l'homme à Dieu». (Immortale Dei, P.I.N. 131.)

On trouve déjà ceci chez saint Thomas :

«Donc, puisque la fin de cette vie qui mérite ici-bas le nom de vie bonne est la béatitude céleste, il appartient à ce compte à la fonction royale (lisons «à l'Etat») de procurer la vie bonne de la multitude selon ce qu'il faut pour lui faire obtenir la béatitude céleste ; c'est-à-dire qu'il doit prescrire (dans son ordre qui est le temporel) ce qui y conduit et, dans la mesure du possible, interdire ce qui y est contraire». (De Regimine Principum, L 1, ch. XV.)

Enfin, chez Pie XII :

«Or ce bien commun, c'est-à-dire l'établissement de conditions publiques normales et stables, telles qu'aux individus aussi bien qu'aux familles il ne soit pas difficile de mener une vie digne régulière, heureuse, selon la loi de Dieu, ce bien commun est la fin et la règle de l'Etat et de ses organes». (Alloc. au Patriciat romain, du 8.1.1947, P.I.N. 981.)

Et qu'est-ce que la loi de Dieu, sinon celle de son Eglise ? Une lettre de la Secrétairerie d'Etat à l'Archevêque de Sao Paulo, du 14.IV.1955, résume bien cette doctrine :

«Le devoir de rendre à Dieu le tribut d'hommages et de gratitude pour les bienfaits reçus, se rapporte non seulement aux individus, mais aussi aux familles, aux nations et à l'Etat comme tel. L'Eglise, dans sa sagesse et sa maternelle sollicitude, a toujours inculqué ce devoir. Les Quatre-Temps entre autres fins en sont, dans leur langage liturgique, une preuve éloquente. Une fois affaibli ou presque perdu dans la société moderne le sens de l'Eglise, et vu les conséquences de l'agnosticisme religieux des Etats, la nécessité s'impose de rebrousser chemin, de façon à ce que toutes les nations, fraternisant au pied de l'autel, réaffirment publiquement leur croyance en Dieu et élèvent la louange due au suprême souverain des peuples».

Quel est donc le «suprême souverain des peuples», sinon Notre Seigneur Jésus-Christ ? Quelle est cette louange de l'autel, sinon le Saint Sacrifice de la Messe, acte religieux par excellence de l'Eglise catholique ?

On est loin, on le voit, de la seule «liberté de l'Eglise» que se borne à revendiquer Vatican II, qui prend une partie de la doctrine pour abandonner l'autre à un silence scandaleux. L'Eglise de Vatican II affirmait bien sa volonté de ne revendiquer que la «liberté» et d'oublier le Droit public de l'Eglise et le règne social de Notre Seigneur Jésus-Christ, dans son message de clôture «aux gouvernants» (8.XII.1965) :

«Dans votre cité terrestre et temporelle, (le Christ) construit mystérieusement Sa cité spirituelle et éternelle, Son Eglise. Et que demande-t-elle de vous, cette Eglise, après deux mille ans bientôt de vicissitudes de toutes sortes dans ses relations avec vous, les puissances de la terre ; que demande-t-elle de vous aujourd'hui ? Elle vous l'a dit dans un de ses textes majeurs de ce Concile : elle ne vous demande que la liberté. La liberté de croire et de prêcher sa foi, la liberté d'aimer son Dieu et de Le servir, la liberté de vivre et de porter aux hommes son message de vie»[4].

2. Continuation du même propos.

Le passage de D.H. cité plus haut en (B) reproduit en substance un beau passage de «Quas Primas» de Pie XI, que nous nous devons de citer :

«...L'Eglise, en tant que constituée par le Christ comme société parfaite, revendique, en vertu d'un droit naturel qu'elle ne peut abdiquer, pleine liberté et immunité de la part du pouvoir civil, dans l'exercice de la charge qui lui a été confiée d'enseigner, de diriger et de conduire à la béatitude éternelle tous ceux qui appartiennent au royaume du Christ...» (Quas Primas, in fine.)

Mais Pie XI se garde bien de dire que l'Eglise ne réclame que cela ! S'il est donc indéniable que la liberté de l'Eglise par rapport au pouvoir civil est un de ses droits, et non des moindres, il n'est cependant pas le seul, loin de là ! La «liberté de l'Eglise» pourra bien être revendiquée comme un droit imprescriptible, contre les pouvoirs civils totalitaires régalistes (jadis) ou antichrétiens (actuellement) qui y attentent ; mais on ne peut la présenter, sans amputer gravement la doctrine, comme le «principe fondamental» du Droit public de l'Eglise ! Pie XI lui-même voit bien comment une assertion du «droit à la liberté» pour l'Eglise demande à être complétée par la revendication de ce qu'on peut appeler la «primauté» de l'Eglise, qui est une conséquence de celle de son chef, Notre Seigneur Jésus-Christ (cf. Mt xxviii, 18) :

«Aux Etats, la célébration annuelle de cette fête (du Christ-Roi) rappellera que les magistrats et les gouvernants sont tenus, tout comme les citoyens, de rendre au Christ un culte public et de lui obéir... Car Sa royauté exige que l'Etat tout entier se règle sur les commandements de Dieu et les principes chrétiens aussi bien dans la législation que dans la façon de rendre la justice et que dans la formation de la jeunesse à une doctrine saine et à une bonne discipline des mœurs». (Ibid. loc. cit.)

On ne saurait être plus fort et plus explicite !

Une objection peut surgir :

Oui, disent certains, le Pape Pie XI est très explicite ; mais le Pape n'écrirait plus cette encyclique aujourd'hui ! Les temps ont changé, nous sommes au pluralisme ! Ou encore :

«De notre temps, il n'y a plus intérêt à ce que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de tout autre culte». (Proposition 77, condamnée dans le Syllabus, Dz 1777.)

«Aussi doit-on des éloges à certains pays de nom catholique, où la loi a pourvu à ce que les étrangers qui viennent s'établir puissent jouir de l'exercice public de leurs cultes particuliers». (Ibid. prop. 78 condamnée.)

Ou encore :

«L'Eglise de Vatican II, par la Déclaration sur la liberté religieuse, par Gaudium et Spes, l'Eglise dans le monde de ce temps (titre significatif !), s'est nettement située dans le monde pluraliste d'aujourd'hui, et sans renier ce qu'il y a eu de grand, a coupé les chaînes qui l'auraient maintenue sur les rives du Moyen-Age. On ne peut demeurer fixé à un moment de l'Histoire !» (Père Congar, La crise dans l'Eglise et Mgr Lefebvre, p. 52 sq.)

Répondons :

C'est vouloir faire plier le Droit public de l'Eglise devant l'état de fait. C'est même pire que cela, c'est faire de l'apostasie des nations une nécessité inéluctable de l'Histoire. Or l'Eglise enseigne depuis dix-neuf siècles que son Droit public est aussi immuable que sa foi, parce qu'il est fondé sur elle ; et que la seule nécessité inéluctable de l'Histoire de l'humanité, c'est que Jésus-Christ doit régner.

Par conséquent l'Eglise (de Vatican II, comme de Vatican I, comme de Nicée ; ou alors «l'Eglise de Vatican II» n'est pas l'Eglise de Vatican I ni de Nicée, ni l'Eglise du Christ) a le devoir de proclamer son Droit dans toute sa plénitude et toute sa force, à la face du monde même laïcisé, matérialiste, libéral, indifférent, agnostique ou athée ; et avec d'autant plus de force qu'il est plus laïcisé, matérialiste, libéral, indifférent, agnostique ou athée ! C'est une question de Foi ! L'Eglise peut-elle renoncer, hésiter à proclamer sa foi en la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ ? qui est bien une vérité de foi catholique ! Pas davantage elle ne doit hésiter à proclamer son Droit public, c'est-à-dire sa primauté, sa souveraineté dans la cité humaine ! Bien loin de nous faire l'écho de cette phrase apostate : «le Pape n'écrirait plus cette encyclique aujourd'hui», nous sommes persuadé que c'est aujourd'hui plus que jamais que le monde a besoin de cette encyclique ; que c'est de cette vérité fondamentale que les hommes ont soif : «oportet illum regnare» ! C'est enfin pour cette raison que nous affirmons que la bouche du prêtre, de l'évêque, ne doit avoir aujourd'hui une plus grande vérité de foi à clamer que celle-ci : «oportet ilium regnare». Nous en sommes persuadé, nous fondant sur cette parole de Dom Guéranger :

«Il y a une grâce attachée à la confession pleine et entière de la Foi. Cette confession, nous dit l'Apôtre, est le salut de ceux qui la font, et l'expérience démontre qu'elle est aussi le salut de ceux qui l'entendent». (Dom Guéranger, Le sens chrétien de l'Histoire.)

3. Vatican II revendique la «liberté de l'Eglise en tant qu'association d'hommes dans la société civile»[5].

Voilà une seconde raison, selon Vatican II, de revendiquer la liberté de l'Eglise : elle a ce droit comme toute association d'hommes dans la cité ; au même titre que les autres associations de la société civile, elle a le «droit de vivre» (selon ses principes, qui sont en l'occurrence les préceptes de la loi chrétienne).

C'est donner une idée tout à fait fausse de l'Eglise ! Ne la considérer que comme une association légitime parmi d'autres au sein de la société civile ! La doctrine de l'Eglise est autre : l'Eglise n'est pas seulement une société légitime, elle est aussi une société parfaite et suprême, qu'on ne peut assimiler sans blasphème et grave injustice aux «autres associations de la société civile»

Si de fait, dans les régimes laïcisés ou athées, l'Eglise est réduite au rang d'une association parmi d'autres dans la société, elle ne pourra guère espérer et revendiquer dans l'immédiat qu'un statut de «droit commun» aux autres associations de la cité[6] ; mais cette solution précaire, due à cette situation très particulière (même si elle est de fait très répandue), ne peut aucunement être considérée comme la doctrine générale et intégrale qui est tout autre, et la voici :

L'Eglise, société parfaite au même titre que l'Etat, a par elle-même tous les moyens de subsister de façon stable et d'atteindre sa fin de manière indépendante. (Cf. Immortale Dei, P.I.N. 134.)

«Et comme la fin à laquelle tend l'Eglise est de beaucoup la plus noble de toutes, de même son pouvoir l'emporte sur tous les autres et ne peut en aucune façon être inférieur ni assujetti au pouvoir civil». (Ibid.)

Donc présenter l'Eglise comme une «association d'hommes... au sein de la société civile», c'est la ranger au rang des sociétés imparfaites qui, chacune à leur place secondaire et subordonnée, concourent à procurer dans la cité le bien commun temporel ; c'est par conséquent lui aliéner son rang de société parfaite, et de société suprême en raison de la supériorité de sa fin (la béatitude éternelle) sur la fin de l'Etat (le bien commun temporel). On peut à cet égard citer une belle page de Jacques Maritain (avant sa «conversion» au libéralisme) :

«Nous devons affirmer comme une vérité supérieure à toutes les vicissitudes des temps la suprématie de l'Eglise sur le monde et sur tous les pouvoirs terrestres. Sous peine d'un désordre radical, il faut qu'elle guide les peuples vers la fin dernière de la vie humaine, qui est aussi celle des Etats, et pour cela qu'elle dirige au titre des intérêts spirituels qui lui sont confiés les gouvernements et les nations». (Primauté du spirituel, Pion, 1927, n. 23.)

Au lieu de réduire honteusement l'Eglise au régime du «droit commun» à toutes les associations de la cité, la doctrine catholique proclame la «primauté», c'est-à-dire précisément, en termes classiques, le «pouvoir indirect» de l'Eglise sur l'Etat en raison de la subordination indirecte des fins des deux sociétés. C'est ce que montrent à la suite de saint Thomas (déjà cité) Jacques Maritain (Primauté du spirituel) et le Cardinal Journet (La juridiction de l'Eglise sur la cité), et avant eux les grands docteurs romains récents, avant Vatican II.

Ainsi, le Cardinal Billot s.j., «De Ecclesia Christi», T II : «De habitudine Ecclesiae ad civilem societatem », q.XVIII,§5:

«Quod Ecclesia accepit a Christo plenam auctoritatem super baptizatos in ordine ad finem salutis æternæ, et quod idcirco, in societatibus christianorum, potestas sæcularis iure divino indirecte subest iurisdictionis ecclesiasticæ».

L'auteur se réfère à Suarez, «Defensio Fidei», L 3, ch. 22 ; et aux condamnations des idées gallicanes par Innocent XI, Alexandre VIII et enfin Pie VI dans sa bulle «Auctorem fidei» contre le Synode de Pistoie, dans laquelle est réprouvée l'opinion suivante :

«Reges... et principes in temporalibus nulli ecclesiasticae potestati, Dei ordinatione subiici... directe vel indirecte... Eamque sententiam publicae tranquillitati necessariam, nec minus Ecclesiae quam Imperio utilem, ut Verbo Dei, Patrum traditioni, et sanctorum exemplis consonam, omnino retinendam».

De même le P. Garrigou-Lagrange o.p., «De revelatione», T II, ch. 15, a4 :

«De officio divinam revelationem sufficienter propositam suscipiendi, pro civili auctoritate et societate».

L'auteur se réfère à saint Thomas et à Léon XIII (déjà cité) et, répondant à une objection opposée au pouvoir indirect en question, écrit :

«Bonum temporale non est quidem medium proportionatum ad consecutionem finis supernaturalis, sed est ei subordinatum, nam «temporalibus adjuvamur ad tendendum in beatitudinem ; inquantum scilicet per ea vita corporalis sustentatur, et inquantum nobis organite deserviunt ad actus virtutum» (II II q83 a6). Imo, hac subordinatione sublata, temporalia desiderarentur principaliter, ut in eis finem constitueremus, quod accidit in societate irreligiosa seu athea».

Et répondant enfin à une autre objection qui disait que dans la liberté des religions est suffisamment défendue la liberté de la vraie religion (ce que dit Vatican II : cf. notre passage «D»), le P. Garrigou expose la doctrine catholique :

«Possumus... ex libertate cultuum arguere ad hominem, contra illos nempe qui libertatem cultuum proclamant et tamen veram Ecclesiam vexant (sociétés laïques et socialisantes), eiusque cultum prohibent directe vel indirecte (sociétés communistes). Haec argumentatio ad hominem recta est, et Ecclesia catholica eam non dedignatur, sed eam urget ut jura suae libertatis defendat. Sed ex hoc non sequitur quod libertas cultuum, in se spectata, possit defendi absolute a catholicis, quia in se absurda est et impia ; veritas enim et error non possunt eadem jura habere».

Enfin les manuels classiques de théologie enseignent le pouvoir indirect de l'Eglise sur l'Etat : Zubizarreta, T I, n. 568 ; Hervé, T I, n. 537 :

«Status Ecclesiae subordinari debet, negative quidem et positive, sed indirecte : Doctrina catholica».

Du reste le Syllabus condamne cette proposition (n. 24) .

«Ecclesia vis inferendae potestatem non habet, neque potestatem ullam temporalem directam vel indirectam». (Dz 1724.)

Concluons : La «liberté de l'Eglise en tant qu'association d'hommes au sein de la société civile» est une argumentation ad hominem face aux pouvoirs qui attentent à ce point à son droit public, qu'elle en est réduite à ne pouvoir attendre d'eux dans l'immédiat que le droit commun à l'existence pour toutes les associations légitimes, c'est-à-dire conformes à la loi naturelle[7]. Mais c'est un blasphème et une apostasie que de faire de cet argument un principe absolu et fondamental du Droit public de l'Eglise ! Les Papes ont eux-mêmes formellement condamné l'attitude d'Etats même catholiques de nom, qui réduisent ainsi l'Eglise au régime du droit commun :

«En somme ils traitent l'Eglise comme si elle n'avait ni le caractère ni les droits d'une société parfaite, et qu'elle fût simplement une association semblable aux autres qui existent dans l'Etat». (Immortale Dei, P.I.N. 144.)

Pie VII avant Léon XIII écrivait en son temps à l'évêque de Boulogne en France, au sujet de la Charte de 1814 :

«Il n'est certes pas besoin de longs discours, Nous adressant à un évêque tel que vous, pour vous faire reconnaître clairement de quelle blessure mortelle la religion catholique en France se trouve frappée par cet article (l'article 22) ; par cela même qu'on établit la liberté de tous les cultes sans distinction, on confond la vérité et l'erreur, et l'on met au rang des sectes hérétiques et même de la perfidie judaïque, l'Epouse sainte et immaculée du Christ, l'Eglise hors de laquelle il ne peut y avoir de salut». (Lettre «Post tam diuturnitas», du 29.IV.1814, P.I.N. 19.)

Que diraient ces Papes, en voyant que Vatican II attribue à l'Eglise elle-même de telles conceptions, et les met même sous leur patronage [8] :

4. «Là où existe un régime de liberté religieuse..., là se trouvent enfin fermement assurées à l'Eglise les conditions, de droit et de fait, de l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de sa divine mission».

Selon D.H., donc, si l'Eglise a cette liberté commune aux autres religions dans l'Etat, elle a l'indépendance nécessaire. Cette thèse manifeste toujours la même «partialité» dans la doctrine et en plus une vue irréelle de l'efficacité de la «seule liberté» pour l'accomplissement de sa mission par l'Eglise.

a) La partialité de la doctrine de D.H. apparaît au fait que ce document n'aspire pour l'Eglise qu'à l'indépendance (vis-à-vis de l'Etat). Or la doctrine catholique ne se borne pas à cela : elle expose aussi que l'Eglise a le droit à l'aide de l'Etat en tout ce par quoi, dans son domaine, ce dernier peut faciliter positivement la mission de l'Eglise. Cette aide, l'Etat la doit à l'Eglise à cause de sa subordination indirecte à celle-ci en raison de la fin de l'Eglise. (Cf. supra «C».) Cette aide n'est pas seulement négative («ne pas empêcher»), elle est surtout positive («favoriser de toutes manières»), comme le disent Léon XIII (Immortale Dei, P.I.N. 131) et le théologien Hervé (supra).

D.H. a une conception tout à fait partielle et injuste de l'Etat : ce document ne voit en l'Etat qu'un antagoniste, face auquel l'Eglise ne doit et ne peut réclamer que son indépendance. Il n'imagine même pas qu'un régime d'union et de concorde puisse exister, par lequel ces deux sociétés établies par Dieu se prêtent une aide intime et mutuelle, chacune dans leur domaine : l'Eglise favorisant le respect des citoyens envers l'autorité «qui vient de Dieu» ; l'Etat aidant et protégeant l'Eglise par des institutions publiques fondées sur les principes catholiques, telle que les ont vécues encore récemment (avant leur abrogation en application de Vatican II) des pays entièrement catholiques, comme la Colombie, l'Espagne et les Etats suisses de Fribourg, du Tessin et du Valais.

Ce régime «d'union entre l'Eglise et l'Etat» est bien celui que l'Eglise a toujours considéré comme le plus capable de réaliser la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ, et d'être par conséquent le plus favorable à l'épanouissement de l'une et l'autre société : temporelle et spirituelle. C'est ce qu'enseignent les Papes et les théologiens que nous avons déjà cités ; c'est une doctrine catholique, que l'union des deux sociétés est le meilleur régime. Ainsi l'expose Léon XIII

«Il est donc nécessaire qu'il y ait entre les deux puissances un système de rapports bien ordonné, non sans analogie avec celui qui dans l'homme constitue l'union de l'âme et du corps». (Immortale Dei, P.I.N. 137) ; cf. Libertas, P.I.N. 200 : «...et cela pour le plus grand avantage des deux conjoints, car la séparation est particulièrement funeste au corps puisqu'elle le prive de la vie».

b) C'est un grave irréalisme, que de croire que la vérité catholique, en droit et en fait, fera plus de chemin par la seule force de son efficacité intrinsèque et de sa «liberté», qu'avec l'aide d'un Etat respectueux du Christ.

S'il est vrai qu'en pays non catholique, le régime du droit commun ou de la «seule liberté» fournit en fait à l'Eglise des conditions minimums d'action, suffisantes à son développement, ce régime cependant ne peut être revendiqué par l'Eglise d'une manière générale et en toute hypothèse ; et il est même à brève échéance inefficace et désastreux, puisqu'il présuppose la laïcité de l'Etat et aboutit par conséquent tôt ou tard à la laïcisation générale des institutions et des mœurs : c'est l'expérience actuelle de tous les anciens pays catholiques ou simplement «chrétiens», maintenant en voie de laïcisation et d'athéisme avancés ![9]

A la suite de Lamennais, de Montalembert (au siècle) et du Jacques Maritain converti au libéralisme, le P. John Courtney Murray, expert au Concile et spécialiste de la question, voyait la prospérité actuelle et future de l'Eglise dans le régime de la «liberté seule» (qu'elle connaît aux Etats-Unis), et non dans le régime d'union, qu'il qualifiait de «chrétienté médiévale», régime auquel Léon XIII, disait-il, «ne renonça pas totalement», mais qui pour lui «ne fut jamais plus qu'une hypothèse»[10]. Le P. Yves Congar, de son côté, partage les mêmes vues quand il écrit :

«Déjà au XIXè siècle, des catholiques avaient compris que l'Eglise trouverait un meilleur appui pour sa liberté dans la conviction affirmée des fidèles que dans la faveur des princes». (op. cit., p. 51.)

Or ces «catholiques» sont les catholiques libéraux dont les thèses furent réprouvées en leur temps. Et dire que Léon XIII n'exposait sa doctrine que comme une «hypothèse»[11] c'est ne pas savoir lire les textes, qui sont sans équivoque !

5. «Cette liberté religieuse pour tous les hommes et toutes les communautés doit être reconnue comme un droit et sanctionnée dans l'ordre juridique».

D.H. dit explicitement ici (comme ailleurs) que l'Etat doit accorder la liberté des religions (bien qu'on évite avec soin d'employer ce terme pour le moins téméraire depuis sa condamnation par Pie IX ; mais qu'importe ? la réalité est la même !). Or ce prétendu droit est condamné par les Papes comme contraire au Droit public «imprescriptible» de l'Eglise. Donc sa condamnation demeure, malgré les vicissitudes des temps ou les «changements de contexte historico-social», et donc quelles que soient les motivations nouvelles qu'on s'efforce de lui apporter pour le justifier à notre époque.

Une objection se présente immédiatement :

Elle est présentée par divers auteurs modernes, en passant sans changement de l'un à l'autre : ainsi le P. Congar (op. cit.), le P. André-Vincent (La liberté religieuse droit fondamental, Téqui, 1976) et avant eux le P. Jérôme Hamer (Histoire du texte de la Déclaration, in Vatican II, la liberté religieuse, Cerf, 1967, p. 66) ; la voici en substance :

La liberté des religions fut condamnée par les Papes du XIXè siècle en raison de ses motivations historiques à l'époque, à savoir l'individualisme des droits de l'homme érigé en absolu. Et l'on donne comme référence : Léon XIII, Immortale Dei (P.I.N. 143) et Pie IX, Quanta Cura (P.I.N. 39-10). Au XXè siècle, dit-on alors, Vatican II arrive et peut proclamer cette même liberté des religions, baptisée liberté religieuse, parce que le «contexte historico-social» a changé et qu'il y a d'autres motifs, comme la dignité de la personne humaine, presqu'ignorée des Papes du XIXè siècle, qui la justifient aujourd'hui !

Répondons :

1. Si des motifs justifient aujourd'hui la liberté religieuse, peut-être que demain, le contexte historico-social ayant encore changé, ces motifs ne vaudront plus, tandis que d'autres viendront au contraire réprouver ladite liberté religieuse ; alors, de deux choses l'une, ou bien c'est la doctrine de l'Eglise qui doit perpétuellement changer pour s'adapter ; ou bien c'est la doctrine de «l'Eglise de Vatican II» qui est condamnée à être inadaptée, et qui est sans doute déjà «dépassée». La première solution est absurde, la seconde est intéressante...

2. Si l'on veut aller plus profondément que l'argument ad hominem et par l'absurde, on montrera la spéciosité de l'argument : en fait, la liberté des religions n'est pas condamnée, par les Papes du XIXè siècle, à cause de son motif ou de sa «prémisse» qu'est l'individualisme, etc. ; mais c'est bien plutôt l'individualisme des droits de l'homme, qui est condamné en raison de ses conséquences, dont l'une est la liberté des religions, qui, elle, est condamnée en elle-même comme :

1) contraire à la vraie dignité de la personne humaine : chacun serait libre d'adhérer à l'erreur (Immortale Dei, P.I.N. 143), et ainsi, de déchoir de sa dignité (ibid., P.I.N. 149) ;

2) contraire au Droit public de l'Eglise, que l'on «relègue injustement» ou injurieusement au rang d'une «association semblable aux autres qui existent dans l'Etat» (ibid., P.I.N. 144). Cf. plus haut, notre analyse des textes.

L'argument du P. Jérôme Hamer, reproduit par d'autres, est donc entièrement cousu de fil blanc et faux de fond en comble ! Mais qui a l'idée de se reporter aux textes et de les lire attentivement ? En réalité Vatican II, dans D.H., et tous ses coryphées en la matière, rejettent le droit public de l'Eglise.

Un historien du Concile, Ralph Wiltgen, expose très bien les deux positions qui se sont opposées au Concile, et dont l'une a triomphé aux dépens de l'autre qu'il qualifie de «plus traditionnelle»[12] :

«La thèse fondamentale du Secrétariat pour l'union des chrétiens était que la neutralité de l'Etat (ne reconnaissant aucune religion plus qu'une autre) devait être considérée comme constituant la condition normale (la «thèse»), et qu'il ne devait y avoir de coopération entre l'Eglise et l'Etat (régime d'union des deux pouvoirs, ou de «l'Etat confessionnel catholique») que dans des circonstances particulières[13].

«C'était là un principe que le «coetus Internationalis» (groupement de cinq cents Pères conciliaires dont Mgr Lefebvre fut l'un des chefs) ne pouvait accepter. Pour justifier son attitude, le groupe citait une déclaration de Pie XII, selon qui l'Eglise considérait comme «normal» le principe de la collaboration entre l'Eglise et l'Etat, et tenait «comme un idéal l'unité du peuple dans la vraie religion et l'unanimité d'action» entre l'Eglise et l'Etat». (Cf. Pie XII, Allocution au congrès des sciences historiques, 7.IX.1955.)

Il est vrai que Pie XII poursuivait ainsi :

«Mais elle (l'Eglise) sait aussi que depuis un certain temps les événements évoluent plutôt dans l'autre sens, c'est-à-dire vers la multiplicité des confessions religieuses et des conceptions de vie dans une même communauté nationale, où les catholiques constituent une minorité plus ou moins forte.

«Il peut être intéressant et même surprenant pour l'Histoire, de rencontrer aux Etats-Unis d'Amérique un exemple, parmi d'autres, de la manière dont l'Eglise réussit à s'épanouir dans des situations les plus disparates». (Ibid.)

Mais cette précision ne change rien à ce que l'Eglise considère comme «normal» et comme «l'idéal», par rapport à ce qu'elle tient pour l'exception liée à des «circonstances particulières». Un état de fait qui tend de plus en plus à être contraire à l'état de droit laisse néanmoins intact cet état de droit ! Le Pape Pie XII constate simplement la laïcisation progressive et générale des nations où le Christ régnait auparavant de droit et de fait, et il note ensuite que paradoxalement, dans certains pays où le Christ n'avait jamais régné parfaitement selon la «thèse» catholique, l'Eglise réussit à s'épanouir. Le succès relatif de l'Eglise dans ces pays, qui vingt ans après nous semble bien éphémère, surtout depuis le Concile à partir duquel on enregistre au contraire un arrêt spectaculaire des conversions au catholicisme, ce succès relatif n'infirme nullement la «thèse» catholique, non plus que ne l'infirme l'échec religieux des anciennes nations catholiques, sous le coup de l'assaut concerté et constant des forces de la Contre-Eglise, notamment de la Franc-Maçonnerie et du Communisme internationaux ! Quoi d'étonnant au recul de la religion catholique, puisque l'Eglise de Vatican II n'enseigne plus que Notre Seigneur Jésus-Christ doit régner ? «Quoniam diminutae sunt veritates a filiis hominum» (Ps x, 11) !

On assiste donc à Vatican II à un renversement complet des conceptions, par rapport à la doctrine catholique ; le droit et l'état normal (l'Etat confessionnel catholique) deviennent les «circonstances particulières», tandis que l'exception (le pluralisme) devient le droit et doit être sanctionné dans l'ordre juridique de la cité.

Ajoutons une remarque sur un texte parallèle (de D.H.) à notre passage «D» :

Il s'agit de D.H. («Liberté des groupes religieux»), qui reconnaît à tous les «groupes religieux» une fonction et deux droits :

a) La fonction d'honorer d'un culte la divinité suprême : «Numen supremum». Cela sonne mal : le culte de l'Etre suprême…! Et puis ainsi l'Eglise de Vatican II reconnaît à toutes les religions sans distinction le pouvoir d'honorer Dieu, pouvoir qui n'appartient pourtant qu'à la seule religion catholique ! En somme l'Eglise de Vatican II confond Bouddha, le Dieu de Mahomet et Notre Seigneur Jésus-Christ en une seule «Divinité suprême», ou du moins elle pense que l'Etat satisfait à son devoir religieux par cet indifférentisme.

b) Le droit d'exercer leur culte publiquement.

c) Les autres droits requis à leur existence et à leur prorogation, tel celui de «manifester leur foi publiquement». Vatican II proclame donc le droit au scandale et le droit de propager l'erreur.

En guise d'épilogue :

CE A QUOI L'EGLISE DE VATICAN II NE CROIT PLUS :

«Scelesta turba clamitat

Regnare Christum nolumus,

Te nos ovantes omnium

Regem supernum dicimus. (St. 2)

Te nationum praesides

Honore tollant publico

Colant magistri, judices

Leges et artes exprimant. (St. 6)

Submissa regum fulgeant

Tibi dicata insignia,

Mitique sceptro patriam

Domosque subde civium». (St. 7)

«Une foule scélérate vocifère

Du Règne du Christ nous ne voulons,

Mais c'est Toi que nos ovations

Proclament souverain Roi de tous.

Qu'à Toi les chefs des nations

Apportent public hommage !

Que T'honorent maîtres et juges

Que lois et arts Te manifestent

Que brillent par leur soumission

Des rois les étendards à Toi consacrés

Et qu'à Ton doux sceptre se soumettent

Des citoyens la patrie et les foyers».

Strophes truquées ou supprimées intégralement de l'hymne des 1ères Vêpres de la Fête du Christ-Roi, dans «l'Office Divin». «Ex decreto sacrosancti oecumenici Concilii Vaticani II instauratum, auctoritate Pauli PP. VI promulgatum».

Une lecture attentive des textes

Léon XIII.

Immortale Dei (P.I.N. 143-144)

1) Condamnation du rationalisme individualiste indifférentiste, et de l'indifférentisme et du monisme étatique.

«Tous les hommes... sont... égaux entre eux, chacun relève si bien de lui seul qu'il n'est soumis d'aucune façon à l'autorité d'autrui, il peut en toute liberté penser sur toute chose ce qu'il veut, faire ce qui lui plaît...

L'autorité publique n'est que la volonté du peuple... dès lors le peuple est censé la source de tout droit... il s'ensuit que l'Etat ne se croit lié à aucune obligation envers Dieu, ne professe officiellement aucune religion, n'est pas tenu... d'en préférer une aux autres...»

2) Conséquence : le «droit à la liberté religieuse» dans l'Etat :

«...mais qu'il doit leur attribuer à toutes l'égalité de droit, du moment que la discipline de la chose publique n'en subit pas de détriment. Par conséquent chacun sera libre de se faire juge de toute question religieuse, d'embrasser la religion qu'il préfère ou de n'en suivre aucune si aucune ne lui agrée...»

3) Conséquence de ce «droit nouveau» : atteinte au Droit public de l'Eglise.

«Etant donné que l'Etat repose sur ces principes aujourd'hui en grande faveur, il est aisé de voir à quelle place on relègue injustement l'Eglise. Là en effet où la pratique est en accord avec de telles doctrines, la religion catholique est mise dans l'Etat sur le même pied d'égalité, ou même d'infériorité, avec les sociétés qui lui sont étrangères... En somme, ils traitent l'Eglise comme si elle n'avait ni le caractère ni les droits d'une société parfaite ; et qu'elle fût seulement une associa­tion semblable aux autres qui existent dans l'Etat».

Pie IX.

Quanta Cura (P.I.N. 39-40)

1) Dénonciation du naturalisme et de son application à l'Etat :

«Beaucoup aujourd'hui appliquent à la société civile le principe impie et absurde du naturalisme, et osent enseigner que le meilleur régime politique et le progrès de la vie civile exigent absolument que la société humaine soit constituée et gouvernée sans plus tenir compte de la religion que si elle n'existait pas, ou du moins sans faire aucune différence entre la vraie et les fausses religions. »

2) Conséquence : le droit à la liberté religieuse dans l'Etat :

«Et contre la doctrine de la Sainte Ecriture, de l'Eglise et des Saints Pères, ils affirment sans hésitation que «la meilleure condition de la société est celle où on ne reconnaît pas au Pouvoir le devoir de réprimer par des peines légales les violateurs de la religion catholique, si ce n'est dans la mesure où la tranquillité publique le demande»...

Et : «La liberté de conscience et des cultes est un droit propre à chaque homme. Ce droit doit être proclamé et garanti dans toute société bien organisée...»

3) Conséquence de ce «droit nouveau» : Atteinte à l'Eglise.

Pie IX dénonce la dernière «opinion», citée ici en (2), comme :

«opinion erronée, funeste au maximum pour l'Eglise catholique et le salut des âmes».

II n'en dit pas plus, mais ajoute plus loin que tout cela aboutit à :

«mettre la religion à l'écart de la société ».

Conclusion : le «droit nouveau», ce «droit à la liberté religieuse dans l'Etat» est condamné par ces deux Papes essentiellement parce qu'il a pour conséquence ou même pour corollaire immédiat l'atteinte au Droit public de l'Eglise ; et nullement en raison de sa motivation historique du moment, à savoir le rationalisme individualiste et le monisme étatique.

D) — Analyse de l'Article III.

Troisième raison :

Le document D.H. a omis toutes les distinctions nécessaires pour qu'il soit admissible : Qu'entend-on par la liberté religieuse lorsque l'on dit que la personne humaine a le droit à la liberté religieuse. Déjà telle quelle, cette phrase est ambiguë, on ne peut avoir de droit moral que pour la vérité et non pour l'erreur. A supposer qu'il s'agisse d'un droit civil, il ne peut être que l'expression d'une tolérance et non d'un droit strict. C'est ce que dit le Pape Léon XIII dans son Encyclique Libertas.

Les raisons données pour ce droit de la personne humaine confondent la liberté naturelle ou psychologique et la liberté morale. Les débuts de l'Encyclique Libertas sont très clairs à ce sujet. La liberté naturelle est la liberté considérée dans son essence sans la considération de la fin qu'elle doit poursuivre. Dès lors qu'elle entre en exercice, elle accomplit des actes humains qui tombent sous la loi et ont un aspect moral qui place la liberté sous une autorité, qui n'est autre que celle de Dieu à laquelle participent toutes les autorités humaines, chacune dans ses limites.

L'exercice de cette liberté s'étend à des actes divers, que le document D.H. passe sous silence. On doit distinguer les actes internes et les actes externes, les actes externes privés et les actes externes publics.

Tous ces actes tombent sous l'autorité de Dieu. Pour les catholiques l'Eglise a un pouvoir soit au for interne soit au for externe selon ce qu'exprime le Droit Canon. La famille a un droit sur les actes externes privés et publics des enfants avant leur majorité. L'Etat a un devoir et un droit sur les actes externes publics, dans leur rapport avec le bien commun, qui ne peut se concevoir sans relation avec la seule vraie religion.

De nombreux documents du Saint-Siège expriment ces devoirs et ces droits, la pratique de l'Eglise le confirme par les concordats, par le rappel constant des devoirs des Chefs d'Etat vis-à-vis de la seule et unique vraie religion.

Ce paragraphe 3 implique la neutralité de l'Etat, si celui-ci doit admettre «la profession même publique d'une religion». Cette affirmation est inconcevable car cela signifie la profession publique de l'erreur. Le document D.H. est très explicite en effet sur ce sujet. Le paragraphe 4 de D.H. est absolument scandaleux et contredit tout l'enseignement de l'Eglise. «La liberté religieuse demande en outre que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l'efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l'activité humaine». (D.H. 4.)

Aucun catholique, digne de ce nom, ne peut souscrire une pareille infamie.

Citation de Grégoire XVI «Inter praecipuas» - 8 mai 1844 :

«Il nous est prouvé par des messages et des documents reçus il y a peu de temps que des hommes de sectes diverses se sont réunis l'an dernier à New-York en Amérique et à la veille des ides de juin, ont formé une nouvelle Association dite de l’«Alliance Chrétienne», destinée à recevoir dans son sein des membres de tous pays et de toute nation et à se fortifier par l'adjonction ou l'affiliation d'autres Sociétés établies pour lui venir en aide, dans le but commun d'inoculer aux Romains et aux autres peuples de l'Italie, sous le nom de Liberté Religieuse, l'amour insensé de l'indifférence en matière de Religion... Résolus donc de gratifier tous les peuples de la liberté de conscience ou plutôt de la liberté de l'erreur,... ils croient ne rien pouvoir, si d'abord ils n'avancent leur œuvre auprès des citoyens Italiens et Romains, dont l'autorité et l'action sur les autres peuples leur serait un secours tout puissant».

Qu'entend-on par «coercitio» ?

Il y a la contrainte physique et la contrainte morale.

Ces contraintes sont toujours employées dans toute société pour ceux qui s'opposent à l'application des lois. Si les lois sont justes et conformes au droit divin naturel et positif, il est juste que le législateur fasse observer la loi par la contrainte morale d'abord, la crainte des châtiments et ensuite par la contrainte physique, ceci à l'image de Dieu lui-même.

Si les gouvernements catholiques accomplissent leur devoir, comme l'ont demandé tous les Papes, ils ont le devoir de favoriser la religion catholique et donc de la protéger, dans toute la mesure du possible, contre les fausses religions, contre l'immoralité, le scandale des moeurs de ces religions dépravées, et cela non seulement dans l'intérêt de la religion catholique, mais de leur propre unité et subsistance.

C'est ce que l'Eglise et les gouvernants catholiques ont toujours compris et professé. Il serait injurieux pour l'Eglise et les gouvernants qui ont mis ces principes en pratique de faire croire qu'ils ont ignoré la «transcendance de la personne, le mode connaturel de tendre à la vérité et la liberté de l'acte de foi». Le document D.H. appelle cela la dignité humaine.

E) — Jugement au sujet de cet article III.

1.L'article III est contraire aux documents du Magistère de l'Eglise.

Ces conclusions sont celles qui sont constamment affirmées dans les Documents Pontificaux. Nous donnons quelques références, ci-après :

Articles 77 et 78 du Syllabus.

77 — Il n'est plus utile, à notre époque, que la religion catholique soit considérée comme l'unique religion de l'Etat, à l'exclusion de tous les autres cultes.

78 — Aussi c'est avec raison que dans quelques pays catholiques, la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s'y rendent y jouissent de l'exercice public de leurs cultes particuliers.

Les Propositions IV et V du Synode de Pistoïe condamnées par Pie IX dans la Bulle Auctorem Fidei.

Références nombreuses à ce sujet dans le Recueil des Documents Pontificaux de Solesmes : «La Paix intérieure des Nations», en particulier à la table logique : «Le Libéralisme Politique» et «La Cité chrétienne».

2. — L'article III est contraire à la pratique constante de l'Eglise.

D'autre part si le paragraphe 3 est vrai, il condamne le Saint-Office «Sanctum Officium Inquisitionis» qui a été fondé pour la défense de la foi catholique et qui n'a jamais hésité à faire appel au bras séculier contre les hérétiques notoires et scandaleux.

L'affirmation de ce N° 3 qui résume en effet le document D.H. est donc contraire non seulement à toute pratique séculaire du Saint-Office dont le Pape a toujours été personnellement le Préfet, et à tout le Droit public de l'Eglise, théorique et pratique.

Voici aussi des références à ce sujet :

Voir : Fontes selecti Historiae juris publici ecclesiastici — Ecclesia et Status de Lo Grasso — Romae — Universitas Gregoriana — N° 26 — N° 52 (St Augustin sur la coaction) N° 53, 54.

Bulle Inter Coetera Alexandre VI N° 559 — N° 707, 708.

Devoirs des Princes N° 710 — Devoirs de l'Etat envers Dieu et envers l'Eglise 793. 4. 825.

3. — L'article III est contraire au Droit public de l'Eglise.

Silvio Romani — Elementa juris Ecclesiae publicis fondamentalis — De Ecclesia et civitate, page 252 — ainsi que toute la bibliographie au début de l'ouvrage.

Le Droit public de l'Eglise fondé sur les principes les plus élémentaires de la Révélation et de la théologie, exige des Etats païens qu'ils admettent la Mission de l'Eglise et la liberté de son enseignement, et des Etats catholiques qu'ils aident l'Eglise dans son devoir de sanctifier et gouverner les fidèles et de protéger leur foi contre les scandales des erreurs de l'hérésie et de l'immoralité.

Demander aux gouvernants de laisser la liberté de l'erreur, la liberté des cultes, c'est leur imposer la neutralité, le laïcisme, le pluralisme qui finit toujours par profiter à l'erreur. Les Documents Pontificaux sont formels à ce sujet.

F) — Conséquences désastreuses de l'abandon de la doctrine traditionnelle de l'Eglise concernant les devoirs de la cité par rapport à l'Eglise.

— Interventions du Saint-Siège pour la liberté des fausses religions, par la suppression dans les Constitutions des Etats catholiques du premier article exprimant que seule la Religion catholique est officiellement reconnue comme religion de l'Etat.

Exemples de la Colombie, de l'Espagne, de l'Italie, des Etats suisses du Valais et du Tessin, où les Nonciatures ont encouragé ces Etats à supprimer cet article de leurs Constitutions.

— Intervention du Saint-Père lui-même dans le discours après le Concile et à l'occasion de la réception officielle au Vatican du Roi d'Espagne s'appuyant sur le document de la Liberté Religieuse :

«Que vous demande l'Eglise aujourd'hui ? Elle vous l'a dit dans un des textes majeurs du Concile : elle ne vous demande que la liberté».

On ne peut s'empêcher d'y voir un écho aux affirmations de Lamennais lors de la fondation de son journal «L'Avenir» (Dictionnaire de Théologie Catholique, L. 9 — 1ère colon. 526-527) :

«Beaucoup de catholiques en France aiment la liberté. Que les libéraux s'entendent donc avec eux pour réclamer la liberté entière, absolue d'opinion, de doctrine, de conscience, de culte, de toutes les libertés civiles sans privilège, sans restriction. D'un autre côté que les catholiques le comprennent aussi la Religion n'a besoin que d'une chose : la Liberté».

Il suffit de lire le livre de Marcel Prélot «Le Libéralisme catholique» édité en 1969 pour voir le parti qu'ont tiré les libéraux de ces affirmations.

La condamnation de Lamennais par le Pape Grégoire XVI dans son Encyclique Mirari vos manifeste l'opposition entre les prédécesseurs de Paul VI et Paul VI lui-même.

A ces déclarations font écho les paroles du Cardinal Colombo de Milan. «Lo Stato non puo essere altro che laïco». Je n'ai pas entendu dire que la Congrégation pour la foi l'ait réprimandé.

— La logique de cet abandon entraîne les Etats même catholiques à adopter des lois contraires au Décalogue, sous la pression des fausses religions, sous le prétexte de ne pas les brimer dans leur morale.

Conclusion.

Ce point est d'une importance majeure. S'il s'agissait simplement de constater l'obligation imposée par les faits d'une tolérance religieuse, on pourrait encore l'admettre.

Mais admettre que cette liberté religieuse est basée sur un droit naturel, cela est absolument contraire à la nécessité du salut éternel fondé sur la foi catholique, sur la Vérité.

Enlever au législateur le moyen d'appliquer Sa loi, surtout lorsqu'il s'agit de ce qui importe le plus au salut des âmes, c'est rendre la foi inefficace. Admettre qu'on puisse impunément braver la loi du salut des âmes, la mettre en échec, c'est l'anéantir, c'est rendre impuissants les gouvernements catholiques dans l'accomplissement primordial de leur tâche.

«Allez trouver le Roi (Louis XVIII), dit le Pape Pie VII à Monseigneur de Boulogne, Evêque de Troyes, dans sa Lettre Apostolique Post tam diuturnas, faites-lui savoir la profonde affliction... dont notre âme se trouve assaillie et accablée par des motifs mentionnés. Représentez-lui quel coup funeste pour la religion catholique, quel péril pour les âmes, quelle ruine pour la foi serait le résultat de son consentement aux articles de la dite Constitution (22è, 23è art. Liberté des cultes et de presse)... Dieu Lui‑même aux mains de qui sont les droits de tous les royaumes et qui vient de lui rendre le pouvoir... exige certainement de lui qu'il fasse servir principalement cette puissance au soutien et à la splendeur de son Eglise».

Ce n'est malheureusement pas ce langage que le Pape Paul VI a tenu au Roi d'Espagne.

C'est donc en définitive parce que nous croyons à l'infaillibilité des Papes lorsqu'ils proclament des vérités maintes fois affirmées par leurs Prédécesseurs que nous ne pouvons pas admettre le paragraphe N° 3 de la Liberté Religieuse tel qu'il est rédigé dans l'Annexe.

G — Analyse de l'Article IV.

Quatrième raison :

«L'affirmation de ce droit à la liberté religieuse est dans la ligne des documents pontificaux antérieurs (Cf. D.H. 2, note 2) qui, face aux excès de l'étatisme et au totalitarisme, ont affirmé le droit de la personne humaine» (ou «droits fondamentaux»).

REPONSE.

Il suffit de se reporter aux textes cités dans la note en question et à l'intéressante thèse du P. André-Vincent (op. cit.) qui est en substance la «quatrième raison» apportée pour défendre l'orthodoxie de D.H. Nous prendrons les textes dans l'ordre chronologique.

1. Léon XIII, Encyclique Libertas, du 20.VI.1888.

Effectivement, Léon XIII proclame certains droits de la personne humaine, encore qu'implicitement :

a) Droit de la personne à exiger de l'Etat une protection efficace contre la propagation de l'erreur, notamment en matière religieuse.

Léon XIII expose la doctrine catholique, qui, on le verra, est tout à fait opposée à la liberté de propagation de l'erreur proclamée par Vatican II[14]. Laissons le P. André-Vincent exposer les choses comme il les voit :

«C'est pour la nécessaire protection des personnes que Léon XIII revendique pour l'Eglise la sauvegarde de l'Etat : par égard à la faiblesse humaine. Et quand il affirmait le devoir de l'Etat de réprimer les excès des "libertés nouvelles", c'était à une époque où la masse des fidèles apparaît comme un peuple d'enfants : les êtres humains ont besoin (pourquoi ne pas dire même : ont droit ! ?) de protection contre l'erreur : le contrôle des idées subversives n'est pas moins nécessaire que celui des stupéfiants.

«Les écarts d'un esprit licencieux qui, pour la multitude ignorante, deviennent facilement une véritable oppression doivent justement être punis par l'autorité des lois, non moins que les attentats de la violence commis contre les faibles». (Libertas, n. 39, P.I.N. 207.)

La liberté des forts était l'oppression des faibles. Léon XIII reprenait l'idée de Lacordaire : "entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit". L'intervention de l'Etat était donc la nécessaire protection des personnes. Le mot "droit des personnes" n'est pas prononcé par Léon XIII, mais il suffit de presser un peu sa notion du bien commun (incluant les devoirs de l'Etat envers la Religion, et par conséquent les droits de la Religion et des fidèles à l'aide de l'Etat) pour l'en faire sortir».

Tout cela est vrai, mais pourquoi le relativiser en parlant à l'imparfait historique ? «La masse des fidèles... peuple d'enfants» est toujours la grande réalité : nos contemporains sont plus que jamais abandonnés sans défense à l'agression perpétuelle des mass media qui propagent avec une efficacité incroyable la corruption des esprits et des mœurs voulue par la Contre-Eglise.

Léon XIII définit donc dans Libertas un premier vrai droit de la personne humaine, dont les composantes sont les suivantes :

1) C'est un droit naturel, car fondé (au moins implicitement ici) sur la dignité humaine qui doit éviter sa déchéance par adhésion à l'erreur (cf. Immortale Dei, P.I.N. 149)[15].

2) Un droit non seulement naturel, mais civil : qui doit être sanctionné par «l'autorité des lois».

3) Un droit individuel (au moins implicitement : ce n'est pas, dans le contexte immédiat, un droit de la société qu'est l'Eglise, mais un droit de la personne humaine en tant que telle).

4) Un droit «positif» : droit d'être protégé (c'est quelque chose de positif) contre la séduction de l'erreur.

b) Droit de la personne, dans l'Etat, à accomplir les préceptes de Dieu sans que rien ne puisse l'en empêcher ...mais on peut l'entendre aussi [la liberté de conscience et de culte] en ce sens que l'homme a dans l'Etat le droit de suivre, d'après la conscience de son devoir, la volonté de Dieu, et d'accomplir Ses préceptes sans que rien ne puisse l'en empêcher» (Libertas, n. 19, P.I.N. 215).

Il s'agit donc ici du droit à la liberté de conscience et de religion, mais précisons bien ses quatre composantes, dont la première est fondamentale, nous avons affaire à :

1) La liberté de LA VRAIE RELIGION : car les préceptes de Dieu dont il est fait mention ne sont accomplis que dans la religion que Dieu Lui-même a instituée en Se faisant homme et en inaugurant à la Cène et à la Croix le Sacrifice sacramentel de la Nouvelle et Eternelle Alliance.

2) Un droit non seulement naturel (fondé sur la nature humaine et sa perfection opérative), mais aussi un droit «devant l'Etat» donc un droit civil.

3) Un droit individuel : c'est, encore, un droit de l'homme ou de la personne humaine, et non un droit de la société religieuse qu'est l'Eglise.

4) Un droit «négatif» cette fois. C'est un droit «de ne pas être empêché» dans l'exercice du vrai culte ; droit qu'il faut bien distinguer d'un autre : le droit à ne pas être contraint à pratiquer le vrai culte (ou tout autre culte) ; ce dernier droit, Léon XIII ne l'envisage pas car ce n'est pas sa perspective, mais Vatican II en parlera (sans le distinguer suffisamment du premier, et sans le nuancer comme il faudrait, car certaines contraintes sociales peuvent être admises, comme stimulants à embrasser la vraie religion).

Une difficulté se présente : l'incise «d'après la conscience de son devoir». Donnons pour la résoudre le texte latin :

«Sed potest etiam in hac sententiam accipi, ut homini EX CONSCIENTIA OFFICII Dei voluntatem sequi et jussa facere nulla re impediente, in civitate liceat».

Nous voyons alors que l'incise «ex conscientia officii» a un sens explicatif et non pas restrictif. Le sens restrictif serait le suivant : «L'homme a le droit de suivre, selon ce qu'en perçoit sa conscience, la volonté de Dieu». Dans ce cas, même une conscience erronée sur la nature de la vraie religion aurait ce droit civil ; ce serait alors accepter qu'il y ait un droit (d'abord naturel, puis civil) à l'erreur, ce qui n'est manifestement pas l'avis de Léon XIII qui disait plus haut dans la même Encyclique :

«Le droit est une faculté morale, et, comme nous l'avons dit, et comme on ne saurait trop le redire, il serait absurde de croire qu'elle appartient naturellement et sans distinction à la vérité et au mensonge, au bien et au mal». (N. 39, P.I.N. 207, AAS 20, 605.)

C'est donc le sens explicatif qui est le vrai : «l'homme a le droit de suivre, étant donné la conscience de son devoir, la volonté de Dieu».

La difficulté est donc écartée ; voyons comment Léon XIII va maintenant rapprocher cette liberté de conscience ou liberté religieuse, droit naturel et civil, individuel, négatif, relatif à la seule vraie religion, de la notion de dignité humaine, que Vatican II n'a pas découverte, mais a plutôt pervertie (en disant qu'elle appartient aussi bien à celui qui est dans la vérité qu'à celui qui est dans l'erreur). Voici les paroles du Pontife :

«Cette liberté, la vraie liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la DIGNITÉ DE LA PERSONNE HUMAINE, est au-dessus de toute violence et de toute oppression». (N. 49, P.I.N. 215.)

Voilà donc définis par Léon XIII deux droits de la personne humaine :

1) le droit d'exiger de l'Etat une protection contre l'erreur (religieuse en particulier) ;

2) le droit, dans l'Etat, d'accomplir les préceptes de Dieu (en particulier celui de l'honorer du culte de la vraie religion), sans que rien ne puisse l'en empêcher.

Que trouve-t-on en parallèle dans D.H. ? On trouve également deux droits, mais fort différents des premiers :

1°) Le droit, garanti par l'Etat, de propager l'erreur :

«Aux groupes religieux appartient, de même, le droit de ne pas être empêchés d'enseigner et de manifester leur foi publiquement, de vive voix et par écrit». (D.H., n. 4.)

2°) Le droit de «ne pas être empêché d'agir selon sa conscience en matière religieuse, en privé comme en public». (D.H., n. 2.) (Toujours «dans de justes limites» qui ne le sont pas !) — Et ceci, même s'il s'agit d'une religion autre que la vraie religion !

CONCLUSION : Loin de découvrir la «continuité» qu'on espérait y voir, on doit constater au contraire une évidente contradiction entre Libertas et D.H.

2. Pie XI, Encyclique Mit brennender Sorge, du 14.III.1937.

«...L'homme, en tant que personne, possède des droits qu'il tient de Dieu et qui doivent demeurer vis-à-vis de la communauté hors de toute atteinte qui tendrait à les nier, à les abolir ou à les négliger». (P.I.N. 677.)

«...Le croyant a un droit inaliénable à professer sa foi et à la revivre comme elle veut être vécue. Des lois qui étouffent ou rendent difficiles la profession et la pratique de cette foi sont en contradiction avec le droit naturel...» (D.C. n. 837-838 du 10-17.IV.1937, col. 915 ; cité par André-Vincent, op. cit. p. 252.)

De quel croyant et de quelle foi s'agit-il ? La réponse est donnée : 1) par le sens obvie des mots «croyant» et «foi» qui désignent le fidèle et la foi catholiques ; 2) par le contexte : cette lettre est adressée aux évêques d'Allemagne, donc destinée à défendre les droits des catholiques allemands, et, en tant qu'encyclique, les droits de tous les catholiques qui se trouveraient dans une situation analogue (devant un régime totalitaire opposé à la religion catholique), et qui verraient leur droit même simplement «naturel», comme dit Pie XI, menacé ou bafoué.

Vatican II, lui, utilise le mot «foi» pour désigner indifféremment la foi catholique et les superstitions des autres religions ! (cf. D.H. n. 4, déjà cité.) Et D.H. accorde ce droit inaliénable aux «croyants» de toutes les religions !

Où se trouve la continuité de doctrine qu'on prétend voir entre Pie XI et Vatican II ?

2 bis. Encore Pie XI, Encyclique Non abbiamo bisogno, du 29.VI.1931.

(Texte non cité par D.H., mais souvent présenté à l'appui de la thèse de la continuité.)

«...Les droits sacrés et inviolables des âmes et de l'Eglise. Il s'agit du droit qu'ont les âmes de se procurer le plus grand bien spirituel sous le magistère et l'œuvre éducatrice de l'Eglise, divinement constituée unique mandataire de ce magistère et de cette âme, en cet ordre surnaturel fondé dans le sang du Dieu Rédempteur, nécessaire et obligatoire pour tous, afin de participer à la divine Rédemption. Il s'agit du droit des âmes ainsi formées, à communiquer les trésors de la Rédemption à d'autres âmes, en collaborant à l'activité de l'apostolat hiérarchique. (Pie XI a en vue l'Action Catholique.)

C'est en considération de ce double droit des âmes que Nous Nous disions récemment heureux et fier de combattre le bon combat pour la liberté des consciences, non pas (comme certains, par inadvertance peut-être, Nous l'ont fait dire) pour la liberté de conscience, manière de parler équivoque et trop souvent utilisée pour signifier l'absolue indépendance de la conscience, chose absurde en une âme créée et rachetée par Dieu...» (D.C. n. 574 du 18.VII.1931, col. 82, cité par André-Vincent, op. cit., p. 251-252.)

Pie XI prend bien garde : il ne proclame pas la liberté de conscience, «chose absurde», mais la liberté des consciences des âmes chrétiennes : cette «liberté des enfants de Dieu» dont nous parle saint Paul et que Léon XIII définissait si bien :

«La liberté consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle». (Libertas, n. 17, P.I.N. 185.)

Et Léon XIII la défendait en ces termes :

«Cette liberté, la vraie liberté digne des enfants de Dieu, qui protège si glorieusement la dignité de la personne humaine, est au-dessus de toute violence et de toute oppression». (Ibid., n. 49, P.I.N. 215.)

Pie XI proclame donc cette liberté de conscience des âmes chrétiennes, et non pas, comme Vatican II, le «droit à ne pas être empêché d'agir... selon sa conscience» en matière religieuse, sans distinction d'une conscience vraie ou d'une conscience erronée !

Pie XI définit de plus deux droits :

1) «Droit des âmes de se procurer le plus grand bien spirituel, sous le magistère et l'œuvre éducatrice de l'Eglise».

On est loin de la «libre recherche» proclamée par Vatican II et qui existe, selon le Concile, aussi bien dans «l'enseignement et l'éducation» que dans «l'échange et le dialogue»... (D.H., n. 3). Au contraire, on se sent en pleine continuité avec l'enseignement de Léon XIII sur le droit de la personne à la protection de l'Etat contre la diffusion de l'erreur.

2) «Droit des âmes catholiques à communiquer le trésor de la Rédemption à d'autres âmes» sous la direction de la hiérarchie.

On est loin du droit accordé par Vatican II «aux groupes religieux [sans distinction] de ne pas être empêchés d'enseigner et de manifester leur foi publiquement de vive voix et par écrit» ! Vatican II mêle à plaisir le trésor de la Rédemption et les superstitions étrangères à la vraie foi !

Où se trouve la continuité qu'on prétend voir entre Pie XI et Vatican II ?

3. Pie XII : Radio-message de Noël : 24.XII.1942.

Le Pontife, «en plein enfer de la guerre, ose jeter les bases de la paix... Après avoir marqué le lien entre les deux phénomènes de la prolétarisation et du totalitarisme d'Etat, Pie XII indique la direction de l'effort à poursuivre pour renverser le processus de dissolution» (André-Vincent, op. cit., p. 114-115) :

«Promouvoir le respect et l'exercice pratique des droits fondamentaux de la personne, à savoir : le droit à entretenir et à développer la vie corporelle, intellectuelle et morale, en particulier le droit à une formation et à une éducation religieuse ; le droit au culte de Dieu privé et public, y compris l'action charitable religieuse...»

Pie XII revendique ici les «droits fondamentaux» de la personne humaine, c'est-à-dire des «droits naturels» qui doivent devenir des droits civils. La difficulté est l'interprétation de l'expression «droit au culte de Dieu, privé ou public». Est-ce demander, comme Vatican II, le droit d'honorer d'un culte public la divinité suprême» (D.H. n. 4) ? Nous devons répondre, non !

- L'expression «culte de Dieu» est simplement, dans la bouche de Pie XII, une ABSTRACTION DE LA VRAIE RELIGION, qui inclut implicitement la vraie religion et exclut, toujours implicitement, sans le faire explicitement, les autres religions, en tant qu'elles seraient directement opposées aux actes de la simple religion naturelle, base sous-jacente de toutes les religions positives[16].

Car il s'agit, selon nous, de défendre «in directo» les droits des âmes catholiques (Cf. Pie XI), et aussi «in obliquo» de réprouver les exactions des régimes totalitaires (athées notamment), qui atteignent aussi injustement catholiques et acatholiques[17].

— Le texte de D.H. au contraire, parle d'emblée explicitement de «liberté des groupes religieux» : l'expression «honorer la divinité suprême» doit donc être comprise, dans ce contexte, comme une ABSTRACTION DE TOUTES LES RELIGIONS, qui inclut toutes celles-ci implicitement au même degré. Elle ne respecte pas, par conséquent, le caractère de la seule vraie religion, de la religion catholique.

Il y a donc un abîme entre le Radio-message de Noël 1942 et D.H. ; les expressions le font pressentir, le contexte de chaque document est là pour l'expliciter.

4. Jean XXIII. Encyclique Pacem in terris du 11.I V.1963.

Citons le texte dans sa traduction courante :

«Chacun a le droit d'honorer Dieu suivant la juste règle de la conscience et de professer sa religion dans la vie privée et publique».

Suivent une citation de Lactance, et une de Léon XIII : Libertas, (N. 39, P.I.N. 215), texte que nous avons cité ci-dessus à propos de Non abbiamo bisogno.

Dans cette version française, Jean XXIII semble revendiquer pour la personne humaine le droit de professer sa religion quelle qu'elle soit (indifférentisme de l'Etat, donc !). Or il n'en est rien ; la traduction est défectueuse ; le texte latin contient ceci :

«In hominis juribus hoc quoque numerandum est, ut et deum, ad rectam conscientiae suae normam, venerari possit, et religionem privatim publice profiteri...»

«Il faut inscrire aussi au nombre des droits de l'homme, celui de pouvoir vénérer Dieu, selon la droite norme de sa conscience, et de professer la religion en privé comme en public...» (A.A.S. 259, 55, 1963.)

On peut donc interpréter ce texte dans le sens des «droits fondamentaux» de Pie XII par une «abstraction de la vraie religion» qui donne le «droit de professer la religion» ; l'incise «selon la droite norme de sa conscience» peut aussi être interprétée en un sens traditionnel : «selon la conscience de chacun, rectifiée par la vertu de prudence, et adhérant au vrai». (On peut aussi interpréter en ce sens la même expression dans Gaudium et Spes, n. 16.)

Dans cette hypothèse Pacem in terris manifeste le même hiatus que les textes antérieurs, avec Vatican II.

Mais un auteur autorisé, qui participa à la rédaction de l'Encyclique[18], Mgr Pietro Pavan[19] fait un aveu révélateur, que nous expose René Laurentin, qui parlant de D.H., écrit :

«Ce «droit de la personne» n'est pas une acquisition conciliaire. Le décret (D.H.) l'a repris de Pacem in terris et les formules de cette encyclique, qui avait d'abord été assumée telle qu'elle, n'a pu être maintenue qu'au prix d'atténuations. Pourtant, la déclaration (D.H.) prise dans son ensemble n'est pas un retrait, et lève même certaines ambiguïtés qui avaient été volontairement maintenues dans Pacem in terris». (R. Laurentin, Bilan du Concile, Paris, Seuil, 1966, pp. 329-330.)

En quoi pouvait donc consister l'ambiguïté volontaire ? Sinon en ce que les rédacteurs se sont arrangés à conserver la possibilité de l'interprétation traditionnelle par des expressions «atténuées» («professer la religion», «selon la droite norme de sa conscience») qui néanmoins préparaient, en ne l'excluant pas, la conception nouvelle de D.H.

En tout cas, dans l'hypothèse de cette ambiguïté calculée, Pacem in terris ne mérite, au moins en la matière, aucunement l'assentiment dû aux documents du Magistère ordinaire de l'Eglise, et sa citation, à l'appui de D.H., est sans valeur, ni force aucune.

Nous croyons avoir ainsi suffisamment montré que D.H. ne s'inscrit pas comme on le prétend dans la ligne des documents pontificaux antérieurs que l'on peut alléguer en la matière.

Concernant la deuxième question :

l'Ordo Missae promulgué par le Pape Paul VI

La nouvelle conception du monde et des relations de l'Eglise avec ce monde devait nécessairement atteindre les moyens par lesquels l'Eglise exprime sa foi et la vit : la Liturgie, école de la foi, sera donc elle aussi transformée sous l'effet de cet esprit œcuménique libéral, qui voit dans les protestants des frères séparés et non plus des hérétiques imbus de principes radicalement contraires à la doctrine de l'Eglise.

On ne cherchera plus à convertir mais à unir, d'où l'effort de synthèse de la Liturgie catholique et du culte protestant.

La présence de six pasteurs protestants à la Commission de la Réforme Liturgique est éloquente.

Le Pape lui-même (allocution du 13 janvier 1965) parlera de la «rénovation liturgique» comme «d'une nouvelle pédagogie religieuse» qui va prendre «la place de moteur central dans le grand mouvement inscrit dans les principes constitutionnels de l'Eglise» principes rénovés du Concile.

Monseigneur Dwyer, membre du Consilium de Liturgie, archevêque de Birmingham, reconnaît l'importance de cette Réforme (conférence de presse, 23.10. 67) :

«C'est la Liturgie qui forme le caractère, la mentalité des hommes affrontés aux problèmes... La Réforme liturgique est dans un sens très profond la clé de l'aggiornamento, ne vous y trompez pas, c'est là que commence la Révolution...»

On insistera sur l'esprit communautaire, la participation active des fidèles, on ne peut s'empêcher de penser à l'esprit qui anima Luther et ses premiers disciples (voir le livre de Cristiani, Du Luthéranisme au Protestantisme ), (voir les Institutions Liturgiques de Dom Guéranger, extraits édités par la Diffusion de la Pensée Française, spécialement les chapitres 14 et 23). Dom Guéranger en révélant tous les efforts des hérétiques contre la Liturgie Romaine jette une lumière singulière sur la Réforme Liturgique du Concile (et post-conciliaire).

De plus si l'on étudie tous les détails de la nouvelle Réforme de la Messe en particulier, on est stupéfait d'y retrouver les Réformes que Luther, les Jansénistes et le Concile de Pistoïe préconisaient.

Comment concilier cette Réforme de la Messe avec les canons du Concile de Trente et les condamnations de la Bulle Auctorem fidei de Pie VI ?

Nous ne jugeons pas des intentions[20] ; mais les faits (et les conséquences de ces faits, semblables d'ailleurs à celles qui se sont produites dans les siècles passés là où ces Réformes ont été introduites) nous obligent à reconnaître avec les Cardinaux Ottaviani et Baggi (Bref examen critique remis au Saint-Père le 3 septembre 1969) «que le Nouvel Ordo s'éloigne d'une manière impressionnante, dans l'ensemble, comme dans le détail, de la Théologie catholique de la Sainte Messe, définie à jamais par le Concile de Trente».

D'ailleurs la «Messe normative» présentée par le Père Bunigni en 1967 au Synode des Evêques à Rome, a été très contestée par les Evêques. A la conférence qu'il fit aux Supérieurs généraux en octobre 1967, à laquelle j'assistais, nous avons été stupéfaits de la manière dont le passé liturgique de l'Eglise était traité. J'étais personnellement indigné des réponses faites aux objecteurs et je ne pouvais croire que le conférencier était la personne à qui l'Eglise confiait sa réforme liturgique. Les Cardinaux Cicognani et Gut m'ont fait part de leur immense douleur devant cette incompréhensible réforme. — Un autre Cardinal encore de ce monde me disait que l'article 7 de l'Instruction première rédaction était hérétique.

Les explications, au dire de Monseigneur Bugnini lui-même, n'ont rien changé à la doctrine exprimée auparavant. En tout cas, la Messe nouvelle n'a pas été modifiée, elle est demeurée une synthèse catholico-protestante. Les Protestants eux-mêmes l'ont reconnu publiquement.

Si la Congrégation de la Foi me le demande, je puis faire une étude approfondie et très précise avec références sur les similitudes de la Nouvelle Messe avec le culte protestant et la similitude des expressions employées désormais pour les réalités divines de la Messe avec les expressions protestantes.

En conclusion, il est certain, au dire même de ceux qui célèbrent selon le Nouvel Ordo Missae, que la nouvelle Messe représente une dévalorisation très sensible du mystère sacré aussi bien dans l'expression de la foi catholique dans les réalités divines de ce mystère : expression des paroles, des gestes, des actes, de tout ce qui donne un caractère de sublimité à cette réalité qui est le cœur de l'Eglise.

Bien plus, de nombreuses suppressions et attitudes nouvelles finissent par engendrer le doute dans l'esprit des fidèles et les amènent à adopter une mentalité protestante, sans s'en rendre compte.

L'œcuménisme libéral produit ses effets peu à peu et diminue la foi des fidèles. Beaucoup abandonnent l'Eglise, surtout les jeunes.

Comment le Saint-Siège a-t-il pu engager une telle Réforme sans se soucier des actes du magistère, et en reprenant à son compte les errements des protestants, des jansénistes, du Concile de Pistoïe ?

C'est le motif de notre attachement à la Messe Romaine de toujours, qui ne peut être abolie et ne peut être l'objet de censures selon le jugement infaillible de saint Pie V ; nous voulons garder la foi catholique par la Messe catholique, non par une Messe œcuménique, quand bien même valide et non hérétique, mais «favens haeresim».

C'est ce qui me fait dire que je ne vois pas comment on peut former des clercs avec la nouvelle Messe ; le prêtre et le sacrifice ont une relation quasi transcendantale ; rendre le sacrifice douteux c'est rendre le sacerdoce douteux.

Confirmation de la protestantisation de l'Eglise par la liturgie

(Extraits de «Ce qu'il faut d'amour à l'homme» de Julien Green de l'Académie Française. Plon, Paris, 1978. J. Green s'est converti de l'Anglicanisme en 1916.)

- «La première fois que j'entendis la messe en français, j'eus peine à croire qu'il s'agissait d'une messe catholique et ne m'y retrouvai plus. Seule me rassura la consécration, bien qu'elle fût mot pour mot pareille à la consécration anglicane». (p. 135)

- «Un jour que j'étais à la campagne avec ma sœur Anne, nous assistâmes à une messe télévisée... Ce que je reconnus, comme Anne de son côté, était une imitation assez grossière du service anglican qui nous était familier dans notre enfance. Le vieux protestant qui sommeille en moi dans sa foi catholique se réveilla tout à coup devant l'évidente et absurde imposture que nous offrait l'écran, et cette étrange cérémonie ayant pris fin, je demandai simplement à ma sœur : «Pourquoi nous sommes-nous convertis ?» (p. 138)

- «Je compris d'un coup avec quelle habileté on menait l'Eglise d'une façon de croire à une autre. Ce n'était pas une manipulation de la foi, mais quelque chose de plus subtil. A ceux qui m'eussent objecté que le sacrifice était mentionné au moins trois fois dans la nouvelle messe, je pouvais répondre qu'entre mentionner une vérité et la mettre en lumière la différence ne laissait pas d'être forte. Que la messe fût le mémorial de la Cène, nous le savions bien. Que l'Eucharistie fût aussi la mise en croix du Seigneur, sans quoi point de salut, on ne nous le disait plus. Or cette réalité du sacrifice propitiatoire de la messe est en train de s'effacer discrètement de la conscience des catholiques, laïcs ou prêtres...

- «Les vieux prêtres qui l'ont, si je puis dire, dans le sang, ne sont pas près de l'oublier et disent par conséquent des messes conformes aux intentions de l'Eglise, mais que dire des jeunes prêtres ? Que croient-ils ? Que croient-ils encore et qui osera dire ce que vaut leur messe ?» (p. 143)

- «Les encycliques du Pape ne changeront rien au fait que le monde rationaliste moderne refuse le miracle. On ne peut faire admettre la messe que si l'on en supprime l'élément miraculeux. Retaillée aux dimensions protestantes, elle aura quelques chances de survivre dans la chrétienté d'aujourd'hui, mais ce ne sera plus la messe». (p. 144)

- «Dans une Eglise en désordre s'élevèrent des remous quand Mgr Lefebvre prit position contre la messe de Paul VI et le Concile. L'histoire de son interminable controverse avec le Vatican est trop connue pour que je la raconte ici. Des millions de catholiques se sentirent touchés et je fus de ceux-là. La question que je posai à des prêtres conciliaires était simple : «Que reproche-t-on à l'ancienne messe ?» Réponse : «Elle est surannée». Par ailleurs, on nous disait que la nouvelle messe s'inspirait des sources plus anciennes et se rapprochait d'autant des premières messes que l'Eglise avait dites. Il fallait des spécialistes pour voir clair dans ces problèmes obscurs. De véhémentes discussions eurent lieu au sujet de l'effacement du sacrifice de la Croix. Cette Croix dans la nouvelle messe n'était plus qu'un fantôme. Nous étions au Cénacle, le soir du Jeudi-Saint, alors que nous étions à la fois à la Cène et au Calvaire dans la messe abandonnée de saint Pie V. L'écart était énorme et permettait à l'Eglise Anglicane d'entrevoir une union possible et ardemment désirée dès avant la guerre de 14. La réponse de la nouvelle Eglise fut vive. Le sacrifice était nommé trois fois au moins dans la nouvelle messe. Nommé, oui, mais c'était tout, alors que l'Eucharistie était très abondamment expliquée aux fidèles. De toute évidence nous étions en présence de ce que les théologiens appellent un obscurcissement d'une partie capitale de la messe. Protester fut considéré comme un acte de rébellion. Les évêques français laissèrent dire que la messe de saint Pie V était désormais interdite, ce qui était une contre-vérité formelle. Et la déchirure se fit.

- «Pour ma part j'en fus très affecté, car j'avais à l'âge de seize ans juré fidélité à la messe du Concile de Trente et aujourd'hui il m'était enjoint de n'y plus assister. Quelle que soit l'opinion que l'on ait de certaines prises de position de Mgr Lefebvre, nous devons à ce prélat français d'avoir courageusement réveillé la conscience de toute une partie du monde catholique en l'obligeant à s'interroger sur sa foi. Croyons-nous ou ne croyons-nous pas à la réalité du sacrifice de la messe ? Dans quelle mesure sommes-nous catholiques romains ou inclinons-nous vers une foi prête à faire des concessions au protestantisme ? Je reconnais l'autorité du Pape et l'idée de quitter l'Eglise me ferait proprement horreur, mais je reste fidèle à ma profession de foi de 1916 et n'en bougerai pas d'une ligne. Dire que préférer la messe de saint Pie V est un acte de rébellion ne peut se défendre». (p. 150-151)

Réponse concernant le Sacrement de Confirmation

La transcription faite à ce sujet dans une conférence à Florence a dû être incomplète, car j'ai coutume de dire que la formule nouvelle est la formule d'un rite oriental et qu'elle est certainement valide, quand elle est traduite correctement.

Mais elle est fréquemment mal traduite ou écourtée. Elle se réduit souvent à : «Reçois l'Esprit Saint». Parfois elle est totalement omise puisqu'on a déjà fait appel à l'Esprit Saint. Quant aux Saintes huiles, on peut se demander si les consécrations sont valides. Dans un certain nombre de diocèses on ne confirme plus. On estime que le baptême suffit.

C'est devant cette désastreuse situation pour leurs enfants que les parents insistent afin que je vienne donner le sacrement de confirmation à leurs enfants. J'accepte à contrecœur et préférerais ne pas me rendre à ces invitations si j'apprenais que l'administration de ce sacrement était réalisée normalement.

Réponse concernant le Sacrement de Pénitence

Je pense que le document suivant donnera une réponse suffisante ; si j'ai affirmé la non-sacramentalité de l'absolution collective, c'est qu'en fait l'esprit dans lequel la plupart des prêtres la donnent fait fi de la notion de jugement qu'est le sacrement de pénitence et de la nécessité de l'intégrité de la confession.

Faire de l'exception la règle, c'est risquer de modifier essentiellement la loi.

Mais j'ai bien la conviction que le sacrement donné dans l'esprit des exceptions autrefois autorisées est valide.

Le Sacrement de Pénitence

1. Le  «Nouvel Ordo Poenitentiae».

- Le 16 juin 1972: De la S.C. pour la Doctrine de la Foi, des «Normes pastorales pour l'administration de l'absolution sacramentelle générale».

- Le 2 décembre 1973: De la S.C. pour le Culte Divin, le «Novus ordo Poenitentiae», c'est-à-dire le nouveau rituel de la Pénitence. Ce dernier document prévoit trois modes d'absolution sacramentelle.

       - Mode traditionnel : confession et absolution individuelles.

       - Confession et absolution individuelles à l'issue d'une cérémonie pénitentielle.

       - Pour certains cas précis («pro certis casibus»), confession et absolution générales.

C'est ce dernier mode qui porte à de graves abus du sacrement, en ce qui concerne l'intégrité de la confession.

Le N.O.P. précise les conditions de validité du troisième mode d'absolution de la part des fidèles :

       - repentir des péchés commis,

       - ferme propos de ne plus y retomber,

       - ferme propos de réparer les scandales et dommages éventuellement commis,

       - et enfin, ce qui est particulier à la discipline en question, l'intention de confesser chacun de ses péchés graves             dans une confession individuelle qui doit être faite dans l'année.

On ajoute qu'on n'a pas le droit (sub validitate ?) de recevoir une nouvelle absolution collective sans une confession auriculaire préalable des péchés graves non encore confessés.

2. Discipline antérieure de l'Eglise. (Rien à ce sujet dans le Rituel ni le Droit Canon.)

- Benoît XV : S. Pénitencerie (6 février 1915) : L'absolution collective est autorisée lorsque les soldats sont appelés au combat, quand leur nombre est tel qu'on ne peut les entendre un à un et quand ils ont fait un acte de contrition.

- Pie XII : S.C. Consistoriale (1 décembre 1939) : extension de la concession précédente à tous les fidèles en danger de mort durant les raids aériens.

- 10 décembre 1940 : Réponse à un doute : permission non seulement quand le combat est imminent, mais dès qu'on le jugera nécessaire.

- 1940 : Indult accordé au Cardinal Bertram : Absolution collective autorisée pour les fidèles travaillant dans les usines de guerre et les prisonniers qui ne peuvent se confesser individuellement (ici, ce n'est plus le prochain danger de mort), ainsi que pour les travailleurs étrangers et les captifs en commandos.

- 25 mars 1944 : La S. Pénitencerie fait une synthèse de tout cela, et fixe nettement la doctrine et la pratique à suivre en ce qui concerne l'absolution collective. Elle semble de plus étendre à toute l'Eglise l'indult accordé au Cardinal Ber-tram :

«En dehors des cas où intervient le danger de mort, il n'est pas permis de donner l'absolution sacramentelle à plusieurs fidèles à la fois et en même temps. Il n'est pas permis non plus d'absoudre sacramentellement chaque fidèle qui, à cause seulement du grand nombre de pénitents - comme cela par exemple peut arriver au jour d'une grande fête ou d'une indulgence à gagner -, ne s'est confessé qu'à moitié (cf. Proposition 59, parmi celles condamnées par Innocent XI le 2 mars 1679, Dz 1209) ; cela serait permis cependant, s'il survient une nécessité tout à fait grave et urgente, proportionnée à la gravité du précepte divin de l'intégrité de la confession, par exemple si les pénitents, sans qu'il y ait aucunement de leur faute, étaient réduits à être privés longtemps de la grâce du sacrement et de la Sainte Communion».

Le texte des Normae Pastorales de 1972 se réfère dans une note à celui de la S. Pénitencerie de 1944 ; voici ce qu'il dit :

«En dehors des cas de péril de mort, il est permis d'absoudre sacramentellement de façon collective des fidèles qui se sont confessés seulement de manière générale, mais qui ont été convenablement exhortés au repentir, s'il survient une grave nécessité, c'est-à-dire lorsque, vu le nombre des pénitents, il n'y a pas assez de confesseurs à disposition pour entendre comme il faut la confession de chacun dans les limites de temps convenables, en sorte que les pénitents seraient contraints de demeurer longtemps privés, sans faute de leur part, de la grâce sacramentelle ou de la Sainte Communion. Cette conjoncture peut se produire surtout dans les territoires de mission, mais aussi en d'autres lieux, ou encore pour des groupes de personnes, lorsque se vérifie une telle nécessité. Par contre, lorsque des confesseurs sont à disposition, cela n'est point rendu licite par le seul fait d'un grand afflux de pénitents, comme il peut arriver par exemple pour quelque grande fête ou quelque grand pèlerinage».

3. Comparaison des deux textes.

Absolution collective :

Non permise, sauf si : nécessité grave et urgente (S. Pen. 1944)

= privation longue et non coupable de l'absolution sacramentelle et de la communion.

Permise, si : grave nécessité (S.C. Doc. F. 1972)

= Pas assez de confesseurs pour confesser tout le monde dans le temps convenable ; de telle sorte que privation longue et non coupable d'absolution sacramentelle et de la Sainte Communion.

On peut donc faire les remarques suivantes :

a) Les deux textes abordent la question avec des optiques opposées : le premier parle d'abord de l'interdiction, le second, de permission.

b) Dans le premier cas, il faut «une nécessité tout à fait grave et urgente», dans le second, il suffit d'une «grave nécessité».

c) Mais surtout, ce qui dans le premier texte était la grave nécessité, n'est plus dans le second qu'une conséquence («en sorte que...»), la «nécessité» devenant le nombre insuffisant de confesseurs et le manque de temps ! S'il en est bien ainsi, on contredit l'esprit du premier texte, et l'on tombe sous le coup de la condamnation d'Innocent XI !

On peut mettre en évidence le déplacement d'accent entre les deux textes par le schéma suivant :

S.Pen. 1944

1) L'absolution collective n'est pas permise.

2) L'afflux des pénitents ne la légitime pas.

3) Sauf si privation trop longue de la grâce sacramentelle.

S.C. Doc. F. 1972

1) L'absolution collective est permise.

2) L'afflux des pénitents la légitime.

3) Parce que sans elle, privation trop longue de la grince sacramentelle.

Cette dernière confrontation des textes est plus parlante que la précédente ; il en ressort avec évidence :

1) Ce qui n'était pas permis devient permis désormais.

2) Ce qui ne légitimait pas la pratique incriminée la légitime désormais.

3) Ce n'est plus la privation trop longue de la grâce sacramentelle qui est la «nécessité tout à fait grave et urgente», mais le simple afflux des pénitents relativement au nombre de confesseurs et au peu de temps.

Les faits étant donc ainsi établis, nous pouvons montrer que la pratique nouvelle s'oppose et dans l'esprit et dans les faits à la pratique antérieure, et ceci par trois arguments : le premier est spéculatif, le second est pratique, le troisième est «per absurdum».

Premier argument.

Le texte de 1972 se réfère lui aussi à la proposition condamnée par Innocent XI, qui, avec le mot «seulement» ajouté en 1944, s'énonce ainsi :

«Il est permis d'absoudre sacramentellement chaque fidèle qui, à cause seulement du grand nombre de pénitents, - comme cela peut arriver au jour d'une grande fête ou d'une indulgence à gagner - ne s'est confessé qu'à moitié».

Les laxistes, qui soutenaient cette proposition, ne l'auraient tout de même pas soutenue si, un jour de fête, il y avait eu autant de confesseurs que de pénitents : il est donc clair qu'ils pensaient qu'on avait le droit d'absoudre ceux qui, alors, ne s'étaient confessés qu'à moitié, pour cette raison que sans cela, on n'aurait pas pu les confesser tous dans le temps convenable.

C'est donc dire une sottise et retomber dans l'erreur laxiste, que d'appeler «grave nécessité» le fait qu'on ne puisse pas confesser tous les pénitents dans le temps convenable !

Or le texte de 1972 est rédigé en ce sens : l'afflux des pénitents devient la «grave nécessité», et la privation trop longue des fidèles de la grâce sacramentelle, qui est la seule «grave et urgente nécessité», n'est présentée que comme une conséquence habituelle de l'autre. Le texte étant ainsi rédigé, il incite à ne pas tenir compte de la suite de la phrase : «de telle sorte que les pénitents seraient contraints...»

Ainsi, le seul motif qui puisse vraiment légitimer le cas est pratiquement éliminé, soit qu'on n'en tienne pas compte, placé qu'il est en bout de phrase, soit qu'on le considère comme une conséquence habituelle du motif nouvellement et frauduleusement introduit par la torsion du texte ! Et ce nouveau motif n'est autre que celui que rejetait Innocent XI !

Deuxième argument.

Certains objecteront sans doute que le texte de 1972 n'est pas formellement hétérodoxe, et que son ambiguïté même permet de l'entendre dans le sens traditionnel. Les «Normes Pastorales» de 1972 s'efforcent même de restreindre l'interprétation «large» du texte, dans un paragraphe où il est dit

«Les prêtres doivent enseigner aux fidèles qu'il est interdit à ceux dont la conscience est chargée d'un péché mortel, lorsqu'il y a la possibilité de recourir à un confesseur, de s'abstenir de propos délibéré ou par négligence, de satisfaire à l'obligation de la confession individuelle, en attendant l'occasion où une absolution collective sera donnée». - Il est dit de plus que la confession individuelle doit rester le mode ordinaire.

Mais ce paragraphe n'est pas cité dans l'Ordo Poenitentiae de 1973, et il est caractéristique de l'esprit des réformes actuelles, qui, ayant ouvert une porte, feignent ensuite de la refermer ; ou bien ayant feint de fermer une porte, s'efforcent ensuite de la rouvrir ! Et si l'on est moins méchant, l'on dira seulement que, s'apercevant qu'ils ont ouvert une porte, les auteurs des réformes crient à l'abus de leurs directives et s'efforcent en vain de refermer la porte ; ou bien qu'ayant fermé pour de bon une porte, ils se croient obligés ensuite de la rouvrir un peu ! C'est ce perpétuel jeu de balancier qu'on observe ici.

Voici un autre texte qui s'efforce en vain de refermer la porte : il s'agit d'une lettre du 8 février 1977 adressée par Mgr Bernardin, président de la Conférence Episcopale, aux évêques des Etats-Unis, leur faisant part de précisions données par la S. Congrégation pour la Doctrine de la Foi au sujet de l'absolution collective (Documentation Catholique n° 1716 du 20 mars 1977) ; et voici le passage intéressant :

«Les exemples explicitement mentionnés à l'article 3 (des N.P.), de situations pastorales qui ne justifient pas le recours à l'absolution collective - un grand afflux de pénitents prévu à l'occasion d'une grande fête ou d'un grand pèlerinage, alors qu'il est possible de prendre des dispositions pour assurer les confessions -, doivent a fortiori exclure implicitement la convocation de grandes foules dans le but premier de donner l'absolution collective».

La S.C. pour la Doc. de la Foi voulait, par ce commentaire de ses N.P., désavouer l'interprétation «large» de celles-ci, qui avait donné récemment lieu à deux graves abus du sacrement aux Etats-Unis. Mais ne s'illusionne-t-elle pas sur l'efficacité de ses restrictions à l'interprétation d'un texte ambigu ? Les N.P. de 1972 prévoient explicitement le cas des cérémonies pénitentielles - qui sont l'occasion des abus en question -, dans leur paragraphe 10 :

«- Les rites pénitentiels collectifs. On doit enseigner soigneusement aux fidèles que les célébrations liturgiques et les rites pénitentiels collectifs sont très utiles pour une préparation plus fructueuse à la confession... Si les pénitents font leur confession individuelle au cours de telles célébrations, chacun doit recevoir personnellement l'absolution du confesseur auquel il s'adresse. Au cas où l'absolution sacramentelle devrait être donnée de façon collective, elle doit toujours être administrée selon le rite particulier établi par la Congrégation pour le Culte Divin...»

On encourage donc les fidèles à accourir aux cérémonies pénitentielles, où, s'il se trouve peu de prêtres - et ce sera le plus souvent, car les prêtres qui veulent bien confesser sont rares -, les conditions pour permettre l'absolution collective sembleront facilement être remplies ! Ceci, sans que le but «premier» de la célébration ait été de donner l'absolution collective. Dans la pratique, les organisateurs des célébrations pénitentielles s'empresseront de «constater» le cas urgent, vu l'afflux trop important de fidèles, sans s'enquérir de ce que les fidèles n'ont vraiment pas d'autre possibilité de recevoir la grâce sacramentelle avant longtemps. Ainsi dans la pratique est introduit, à la faveur d'un texte ambigu qu'on s'efforce ensuite en vain de restreindre, un mode de procéder opposé à la pratique traditionnelle de l'Eglise, et qui est un grave abus du sacrement de Pénitence.

Troisième argument.

Si on devait interpréter ce texte de 1972 strictement, il ne devrait pas y avoir plus d'absolutions collectives qu'il n'y en avait depuis 1944 ; or ce n'est pas le cas ! Les absolutions collectives à l'issue de cérémonies pénitentielles tendent à être le cas général. Citons trois cas récents, où l'absolution collective a été abusivement donnée à la foule des fidèles après une cérémonie pénitentielle : pendant l'Avent 1976 aux Etats-Unis avec 11.500 personnes réunies à Memphis, puis avec 2.000 personnes à Jackson, avec grand renfort de publicité ; c'est pour empêcher que se renouvellent des scènes aussi déplorables, que la S.C. pour la Doc. de la Foi écrivit ce commentaire des N.P. publié par Mgr Bernardin (cf. ci-dessus, p. 97). Mais ce document reste impuissant à endiguer des aberrations semblables : quelques mois après, avait lieu la «fameuse» absolution collective de Lourdes, le 12 septembre 1977, pour les pèlerins du diocèse de Vannes, sous la présidence de leur évêque.

L'interprétation stricte du texte ambigu de 1972 reste donc lettre morte, et tous les rappels n'y pourront rien faire, aussi vrai est-il que lorsqu'on a entrouvert une porte, en ces matières, on n'arrive plus à la refermer.

5. Validité des absolutions collectives abusives.

Le texte de 1944, comme celui de 1972, disent qu'en dehors des cas indiqués, les absolutions sacramentelles générales doivent être tenues pour des abus graves, «que tous les prêtres doivent éviter avec soin, conscients de leur responsabilité personnelle envers le bien des âmes et de la dignité du sacrement de Pénitence» (N.P., n° 8). Ces abus sont donc gravement illicites et atteignent la dignité du sacrement. Touchent-ils à sa validité ? On peut répondre : non, pas ipso facto, mais oui dans certains cas.

Le commentaire de la «Bonne Presse» à propos de l'Instruction de 1944 disait :

«En dehors des cas prévus, l'absolution donnée de façon collective est illicite, il y a abus grave de la part du ministre, mais l'absolution est valide si les dispositions du pénitent sont ce qu'elles doivent être».

Dans quel cas l'absolution abusive ne serait-elle pas valide ? Dans le cas où les fidèles, parce qu'ils n'en auraient pas été suffisamment avertis par les prêtres, n'auraient pas l'intention requise de confesser dans la prochaine confession chacun de leurs péchés graves.

Mais de plus, à notre avis, on peut se demander si les absolutions collectives abusives ne rendent pas ipso facto le sacrement invalide, du fait que de facto, qu'on le veuille ou non, manque la cause excusante de l'intégrité de la confession. En effet, le précepte divin de l'intégrité de la confession regarde la validité même du sacrement de Pénitence. Si l'ensemble des théologiens reconnaissent l'existence de causes, physiques et morales, excusantes de l'intégrité[21], et avec eux le Magistère pour certains cas (en 1915, 1939, 1940 et 1944), et par conséquent reconnaissent dans ces cas la vraie sacramentalité et la validité de l'absolution générale, ils ne peuvent que conclure à l'abus sacrilège du sacrement et à son invalidité, lorsque l'absolution générale est donnée en l'absence de cause excusante de l'intégrité de la confession.

Donc, dans bien des cas, les absolutions générales qui suivent les cérémonies pénitentielles semblent être invalides, soit par manque d'intention requise chez le pénitent, de suppléer à l'intégrité de la confession dans la prochaine confession, soit par défaut de cause excusante réelle.

6. Valeur pastorale de la pratique autorisée par les Normes Pastorales de 1972.

La proposition 59 condamnée par Innocent XI l'est comme «au minimum scandaleuse et en pratique pernicieuse». Que dire d'un document qui favorise, bien que l'on s'en défende ensuite, la pratique ainsi réprouvée ?

L'Osservatore Romano commentait, le 14 juillet 1972, la discipline de l'absolution collective en disant :

«C'est un document pastoral ; qui par conséquent n'apporte aucune innovation en matière de doctrine et laisse substantiellement inchangée la discipline en vigueur, mais en même temps pourvoit à certains cas urgents».

Il nous semble au contraire qu'un déplacement d'accent est introduit au niveau doctrinal : on présente maintenant comme permis dans certains cas ce qui était jusqu'alors interdit sauf dans certains cas ; la discipline antérieure serait inchangée si on appliquait les normes de 1972 dans le sens «strict», mais de facto, c'est l'inverse qui se produit, malgré les rappels impuissants de l'autorité romaine ; enfin on nomme «cas urgent», d'une manière ambiguë en théorie, mais claire en pratique, ce qui ne l'était nullement, dans la discipline antérieure.

Nous pouvons donc conclure en disant que, bien loin d'être «un document pastoral», les «Normes Pastorales» sont une discipline «antipastorale», dans leur instauration de l'absolution collective à l'issue des cérémonies pénitentielles, comme un des rites possibles d'absolution sacramentelle. En fait, il semble bien que là comme souvent, la S.C. pour la Doctrine de la Foi n'ait pu qu'entériner, en cherchant d'en limiter les «dégâts» et d'y apporter le poids de son autorité, les nouveautés émanées de la S.C. pour le Culte Divin.

Réponses aux assertions plus générales

1. — Les Déclarations à l'égard du Concile Vatican Il

Les réponses données aux divers points évoqués ci-dessus manifestent pourquoi et dans quelle mesure nous faisons des réserves plus ou moins graves vis-à-vis de certains textes du Concile, en particulier au sujet des documents de la «Liberté Religieuse», de «L'Eglise dans le monde» et des «Religions non chrétiennes».

Or comment expliquer que ces textes du Concile puissent contenir des expressions contraires à l'enseignement traditionnel de l'Eglise sinon parce que de mauvaises influences se sont exercées au cours du Concile et avant le Concile. Certaines séances de la Commission centrale préconciliaire manifestaient ces fâcheuses influences.

Est-ce devenir schismatique que de maintenir fermement le magistère traditionnel et officiel de l'Eglise ? Est-ce être schismatique que dénoncer les influences modernistes et libérales qui ont eu lieu dans le Concile ? N'est-ce pas, au contraire, rendre service à l'Eglise ? N'est-ce pas manifester notre profonde union avec les Evêques et le Pape, qui ne peuvent pas et ne doivent pas se séparer de leurs prédécesseurs, mais qui ne sont pas exempts d'influences dangereuses, conséquences de cet esprit d'ouverture au monde, d'œcuménisme exagéré, qui recherche l'union au lieu de l'unité dans la Vérité, que seule détient l'Eglise ?

2. — L'autorité du Pape Paul VI

Nous ne contestons pas l'autorité du Pape Paul VI et nous la respectons, beaucoup mieux et beaucoup plus profondément que la plupart des Evêques du monde entier qui ont désobéi et désobéissent encore dans les matières dans lesquelles le Pape ne faisait que confirmer l'enseignement de ses prédécesseurs. Et ces Evêques ne sont jamais publiquement importunés.

Pour nous, nous pensons qu'il est de notre devoir de ne pas obéir lorsqu'on veut nous obliger à rompre avec l'enseignement traditionnel de l'Eglise. Cet enseignement est clair en ce qui concerne la «Liberté Religieuse» et ses conséquences, il est clair en ce qui concerne la Liturgie.

Nous nous référons aux principes évidents de la loi naturelle et éternelle. Comme l'exprime le Pape Léon XIII :

«Dès que le commandement est contraire à la raison, à la vie éternelle, à l'autorité de Dieu, alors il est légitime de désobéir, nous voulons dire aux hommes, afin d'obéir à Dieu» (Libertas praestantissimum, 20 juin 1888).

Il ajoute :

«Supposons donc une prescription d'un pouvoir quelconque qui serait en désaccord avec les principes de la droite raison et avec les intérêts du bien public, elle n'aurait aucune force de loi».

Or les interdictions qui nous sont faites le sont pour nous obliger à accepter de diminuer et d'attenter à notre foi. C'est pourquoi nous sommes convaincus que ces prescriptions n'ont aucune force de loi.

L'autorité dans l'Eglise est donnée pour transmettre fidèlement et exactement le «dépôt de la foi». User de cette autorité dans un sens nuisible au dépôt de la foi, c'est perdre le droit à l'obéissance. Cela ne signifie pas que l'on perde toute autorité. Nous respectons fidèlement les autorités de l'Eglise lorsqu'elles agissent conformément au but pour lequel l'autorité leur a été donnée.

S'il ne s'agissait que de pure discipline sans rapport avec la foi, nous n'hésiterions pas à sacrifier nos préférences ou pensées personnelles, mais dès lors que la foi est en jeu, c'est notre vie éternelle qui est en jeu.

C'est le salut des âmes qui est en péril. Les faits nous le prouvent amplement d'une manière douloureuse et angoissante. C'est le Règne de Notre Seigneur Jésus-Christ en ce monde qui est en cause. Nous ne pouvons pas collaborer à sa disparition.

Raisons profondes de ce changement radical intervenu dans l'Eglise

depuis le Pape Jean XXIII et le Pape Paul VI et par le Concile.

Le Pape Paul VI l'a souvent affirmé dans ses discours : désormais l'Eglise modifie sa manière de juger le monde moderne, l'homme moderne, elle l'aime, l'estime tel qu'il est, elle voit dans cet homme, ce frère, sa dignité humaine, la liberté de ses choix, religieux, culturels. Elle ne veut plus s'opposer à ses choix, bien plus elle voudrait s'en approcher, les assumer parce qu'elle y voit une recherche de la vérité, une contribution à la construction du monde, moyennant quoi, dans la pratique elle ne veut plus imposer son message, elle le propose comme celui qu'elle pense le plus efficace à la construction de ce monde. Elle n'impose plus la conversion, mais fraternise avec les groupes hors de l'Eglise tels qu'ils sont, sauf avec ceux qui s'opposent à cette nouvelle vision du monde.

D'où un œcuménisme libéral qui, ne voyant plus le monde comme Notre Seigneur et l'Eglise à sa suite l'ont toujours vu et jugé, ne distingue plus le vrai du faux, le bien du mal. Les documents du Concile sur les religions non chrétiennes et la pratique du Saint-Siège depuis le Concile vis-à-vis des fausses religions en sont un exemple éclatant et ruineux pour la Vérité de l'Eglise.

La «dignité humaine» mal définie, ayant perdu son vrai critère qui est la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ reçue par l'Eglise (même hors de l'Eglise), est un sujet de confusion sans fin. Les démons eux-mêmes seraient dignes. Car en vérité l'homme n'est digne que dans la mesure où il est réellement uni à Notre Seigneur Jésus-Christ par la grâce et dans la mesure où il est encore capable de l'être. Il est indigne dans la mesure où il s'oppose à cette grâce. C'est ainsi que seront jugés tous les hommes par Notre Seigneur Jésus-Christ Lui-même. Il n'y a pas deux critères.

Modifier ce jugement pour plaire au monde de l'erreur et du péché, en établissant des ententes avec ce monde représenté par les francs-maçons, les communistes, les socialistes et toutes les fausses religions, c'est ruiner totalement l'Eglise dans ce qu'elle a de plus cher : le règne de Notre Seigneur Jésus-Christ «sur la terre comme au Ciel», c'est supprimer l'esprit missionnaire.

Cette entente avec les protestants dans l'œcuménisme libéral a produit la nouvelle Liturgie, équivoque, bâtarde, qui donne la nausée aux vrais catholiques, même si elle est parfois valide. La ruine de la vraie Liturgie royale de Notre Seigneur a entraîné la fin des vocations sacerdotales et religieuses.

L'Eglise ne peut pas se permettre de porter sur le monde d'hier, d'aujourd'hui et de demain un autre jugement que celui de Notre Seigneur, qui a été gardé fidèlement pendant vingt siècles. Les documents de «l'Eglise dans le monde», de la «Liberté religieuse», des «Religions non chrétiennes» sont les témoins de cette vision nouvelle, et toute l'activité du Saint-Siège depuis le Concile a été inspirée par ce changement de vision totalement opposé à celui de Notre Seigneur et de l'Eglise.

Les malheurs de l'Eglise, désormais évidents, connus de tous, affirmés par le Pape lui-même et par tous les Evêques et les clercs, par les fidèles, malheurs dont se réjouissent les ennemis de l'Eglise, ne peuvent que s'aggraver tant que ceux qui sont à la barre de l'Eglise ne reprendront pas l'orientation et le cap de toujours.

Il faut en finir avec cet œcuménisme libéral contraire au véritable apostolat et à la vraie mission de l'Eglise. Sinon les forces du mal, ne trouvant plus de résistance même dans l'Eglise, auront tôt fait de triompher partout.

Le moyen que Notre Seigneur a préconisé Lui-même c'est la formation de clercs solidement instruits dans la foi catholique, dans la piété, dans la dévotion au Saint Sacrifice de la Messe, apôtres zélés et remplis de l'amour de la Vérité qui est la vraie Charité.

Nous demander de fermer nos Séminaires pour adopter la nouvelle orientation conciliaire et post-conciliaire, serait nous obliger à contribuer à la destruction de l'Eglise, à miner l'autorité du Siège Apostolique de Rome, car c'est parce que nous voulons demeurer fidèles au magistère de l'Eglise, que nous supplions le Saint-Père d'y être fidèle lui-même, de ne pas s'écarter de ses prédécesseurs, en particulier les deux derniers Saints Papes : Saint Pie V et Saint Pie X.

Nous ne demandons qu'à contribuer à l'œuvre apostolique de l'Eglise sous l'autorité du Saint-Siège et des Evêques, mais pas dans un esprit œcuménique libéral destructeur de l'Eglise.

Profession de foi catholique

Nous professons la foi catholique intégralement et totalement telle qu'elle a été professée et transmise fidèlement et exactement par l'Eglise, les Souverains Pontifes, les Conciles, dans sa parfaite continuité et homogénéité, sans en excepter un seul article, spécialement en ce qui concerne les privilèges du Souverain Pontife tels qu'ils ont été définis à Vatican I.

Nous rejetons et anathématisons de même tout ce qui a été rejeté et anathématisé par l'Eglise, en particulier par le Saint Concile de Trente.

Nous condamnons avec tous les Papes du XIXè et du XXè siècles le libéralisme, le naturalisme, le rationalisme sous toutes leurs formes; comme les Papes les ont condamnés.

Nous rejetons avec eux toutes les conséquences de ces erreurs qu'on appelle «les libertés modernes», «le droit nouveau», comme ils les ont rejetées.

C'est dans la mesure où les textes du Concile Vatican II et les Réformes post-conciliaires s'opposent à la doctrine exposée par ces Papes et laissent libre cours aux erreurs qu'ils ont condamnées que nous nous sentons, en conscience, obligés de faire de graves réserves sur ces textes et ces Réformes.

Marcel Lefebvre

Fait à Rome le 26 février 1978.

 



[2] Indifférentisme de l'Etat, du moins vis-à-vis de telle ou telle religion qu'il doive en droit reconnaître comme la seule vraie, ou favoriser par la loi. D.H. veut bien reconnaître : 1) Que l'Etat a des devoirs en matière religieuse : «Faciliter aux citoyens l'accomplissement de leur devoir religieux», ce qui est la doctrine catholique. 2) Que la vraie religion «subsiste dans I'Eglise catholique», ce qui est déjà un recul ; mais il se garde bien de tirer la conclusion que les Papes ont tirée : «l'Etat doit donc reconnaître et protéger la religion catholique comme la seule vraie, etc.».

[3] L'opposition que nous voyons entre la «liberté» et la «royauté sociale de N.S.J.C.» n'est pas une opposition de contradiction, mais une opposition «includentis et inclusi» ; en ce sens que la royauté sociale de N.S.J.C. inclut bien la liberté de l'Eglise par rapport au pouvoir temporel, mais que la seule liberté n'est pas le tout de la doctrine du règne social du Christ !

[4] Certes, même cette formulation extrême du libéralisme de Vatican II n'élimine pas, dans les textes, la doctrine des devoirs de l'Etat envers la religion : «Le pouvoir civil... doit donc certes, reconnaître et favoriser la vie religieuse des citoyens...» (D.FI. 3). Mais le Concile laisse entendre que l'Etat satisfait à son devoir envers la religion quand il assure aux diverses communautés religieuses l'exercice de leurs religions multiples ! Où sont alors les droits de la seule vraie religion ? L'Etat va-t-il honorer Dieu et Lui être agréable par plusieurs cultes disparates ?

[5] Le passage suivant (D) explicite la teneur de (C).

[6] Cf. Commission théologique (Cal Ottaviani), schéma préparatoire à V. II, II° partie, ch. IX : «Dans les cités où une grande partie des citoyens ne professent pas la foi catholique... le pouvoir civil non catholique doit, en matière de religion, se conformer au moins aux préceptes de la loi naturelle. Dans ces conditions, il doit concéder la liberté civile à tous les cultes qui ne s'opposent pas à la religion naturelle».

[7] Un exemple de l'usage de l'argument ad hominem est donné par Pie XI écrivant aux ordinaires de Chine le 15 juin 1926: «Personne n'ignore, et l'histoire de tous les temps est là pour l'attester, que l'Eglise s'accommode des constitutions et des lois qui sont propres à chaque nation..., qu'elle ne demande rien d'autre pour les ouvriers évangéliques et pour les fidèles, que le droit commun, la sécurité et la liberté». Remarquons que Pie XI ne demande pas le droit commun pour l'Eglise en tant que telle et en général, mais pour les missionnaires et les chrétiens, en ce pays particulier qui ne connaît pas encore le Christ.

[8] Voir la réponse à la IVè «remarque» de la S.C.R. pour la Doctrine de la Foi.

[9] Cf. A. Roul, L'Eglise catholique et le droit commun, Casterman, 1931, p. 496.

[10] Cf. J. Courtney Murray, Le développement de la doctrine de l'Eglise, in Vatican II, la liberté religieuse, Unam sanctam n. 60, Cerf, 1967, p. 134.

[11] Hypothèse : comportement lié uniquement à des circonstances historiques, donc non immuable.

[12] Le Rhin se jette dans le Tibre, Cèdre, Paris, 1975, p. 247-248.

[13] D.H. dit en effet : «Si en raison de circonstances particulières dans lesquelles se trouvent les peuples, une reconnaissance civile spéciale est accordée, dans l'ordre juridique de la cité, à une communauté religieuse déterminée». (D.H. n. 4.)

[14] «Dans les limites d'un ordre public juste», ce qui ne limite rien ! Car selon D.H. : 1) l'ordre public ne regarde pas les devoirs de l'Etat envers la vérité, en particulier religieuse, 2) c'est l'arbitraire de l'Etat qui va décider de ce qu'il faut ou non tolérer, et non l'Eglise, à qui pourtant ce droit de jugement appartient en propre.

[15] «La liberté, cet élément de perfection pour l'homme, doit s'appliquer à ce qui est vrai et à ce qui est bon... Si l'intelligence adhère à des idées fausses, si la volonté choisit le mal et s'y attache, ni l'une ni l'autre n'atteint sa perfection, toutes deux déchoient de leur dignité naturelle et se corrompent : sed exciderunt dignitate naturali et in corruptelam ambae dilabuntur».

[16] Cf. Lercher, «Institutiones theologiae dogmaticae», T. I, n. 22.

[17] Au niveau du simple droit naturel. Ainsi, puisque c'est des droits naturels, en particulier de tout droit religieux, que les pays totalitaires (sous domination communiste) font un si terrible massacre, Pie XII a parfaitement le droit d'en réclamer le respect. (Cf. Allocution du Cal Ottaviani à l'Athénée Pontifical du Latran le 3.III.1953, au sujet des «devoirs de l'Etat catholique envers la religion» ; Imp. Polyglotte Vaticane, 1963, p. 285.)

[18] P. Pavan : l.ibertà religiosa et Publici poteri Milano, 1965, p. 357.

[19] Le P. Rouquette écrit : «Je crois savoir de bonne source que le projet (de l'Encyclique) en a été rédigé par Mgr Pavan... l'élaboration en aurait été menée avec grand secret ; le texte n'aurait pas été soumis au Saint-Office... on a voulu ainsi éviter que le Saint-Office ne retardât indéfiniment la publication de l'Encyclique, comme cela s'est produit pour Mater et Magistra. Mais les rédacteurs de l'Encyclique ont pris leurs garanties dogmatiques et ont fait revoir leur texte par le théologien officiel du Pape, consulteur au Saint-Office, qui porte le nom archaïque de «Maître du Sacré Palais» ; le texte a été soumis à quelques autres experts». (Rouquette, Etudes, juin 1963, p. 405.) Si cela est vrai, quelle confiance accorder à l'Encyclique sur le point envisagé ?

[20] Erreur de Mgr Lefebvre ! Il devait juger de «l’intention». Il aurait compris que les ″inventeurs″ du N.O.M. avait une intention toute autre que celle de l’Eglise Catholique. Et que donc l’intention n’étant pas catholique, le N.O.M. était DANS TOUS LES CAS invalide.

[21] Tous les auteurs de Théologie morale comptent, parmi les causes excusantes physiques, le «defectus temporis ob imminens periculum mortis», mais ajoutent que, hors de ce cas, «nunquam angustia temporis excusat ab integritate» (Cf Prummer, Man. Théol. Mor. T III, n. 379).