Lettre ouverte aux catholiques perplexes

Chapitre 12 - Les puissances occultes contre l’Église

Résumons-nous. Le bon sens chrétien est heurté à tout propos par la nouvelle religion. Le catholique est en butte à une désacralisation générale ; on lui a tout changé, tout adapté. On lui fait comprendre que toutes les religions apportent le salut, l'Église accueille indistinctement les chrétiens séparés et même l'ensemble des croyants, qu'ils s'inclinent devant Bouddha ou devant Krishna. On explique que les clercs et les laïcs sont des membres égaux du "Peuple de Dieu", si bien que des laïcs désignés à des fonctions particulières prennent les tâches cléricales (on en voit célébrer seuls les enterrements et se charger du viatique aux malades), tandis que les clercs prennent les tâches des laïcs, s'habillent comme eux, vont travailler en usine, s'inscrivent dans les syndicats, font de la politique. Le nouveau droit canon renforce cette conception. Il confère des prérogatives inédites aux fidèles, réduisant la différence entre ceux-ci et les prêtres et instituant ce qu'il appelle des "droits" : des théologiens laïcs peuvent accéder aux chaires de théologie dans les universités catholiques, les fidèles participent au culte divin pour ce qui était réservé à certains ordres mineurs, et à l'administration de certains sacrements : distribution de la communion, partage du témoignage ministériel dans les cérémonies de mariage.

On y lit d'autre part que l'Église de Dieu "subsiste" dans l'Église catholique, formule suspecte car la doctrine de toujours enseigne que l'Église de Dieu "est" l'Église catholique. Si l'on prend cette formulation récente, il semblerait que les communautés protestantes et orthodoxes en fassent également partie, ce qui est faux, puisqu'elles se sont séparées de la seule Église fondée par Jésus-Christ : Credo in unam sanctam Ecclesiam.

Si, père de famille, il a le souci de bien élever ses enfants, pratiquant assidu lui-même ou éloigné de la pratique des sacrements, les déceptions l'attendent. Les écoles catholiques ont dans de nombreux cas adopté la mixité, on y fait de l'éducation sexuelle, l'enseignement religieux disparaît dans les grandes classes, il n'est pas rare de trouver des professeurs aux orientations socialistes, sinon communistes. Lors d'une affaire qui a fait grand bruit dans l'ouest de la France, un des ces éducateurs, éliminé par les parents puis réintégré par la direction diocésaine, présentait ainsi sa défense : "Six mois après être rentré à Notre-Dame, un parent d'élève a voulu m'éliminer simplement car, au début de l'année, je m'étais présenté sous tous les points de vue, politique (de gauche), social, religieux... Il n'était pas possible d'après lui d'être professeur de philo et socialiste dans un établissement privé."
Un autre cas, qui se passe dans le Nord : un nouveau directeur est nommé dans une école par la direction diocésaine ; les parents s'aperçoivent au bout de quelque temps qu'il milite dans un syndicat de gauche, qu'il s'agit d'un prêtre réduit à l'état laïc et marié, que ses enfants ne semblent pas être baptisés. A Noël, il organise une fête pour les élèves et les parents, avec la participation du Secours populaire qui est, comme l'on sait, une organisation communiste. Alors les catholiques de bonne volonté se demandent s'il est utile de faire des efforts pour mettre leurs enfants à l'école libre.
Dans une institution pour jeunes filles du centre de Paris, la catéchète se présente un matin avec l'aumônier de Fresnes, qu'accompagne un jeune détenu de dix-huit ans. Ils expliquent aux élèves que les prisonniers se sentent bien seuls, qu'ils ont besoin d'affection, de contacts avec l'extérieur et de courrier. Si l'une ou l'autre des élèves veut devenir marraine, elle peut donner son nom et son adresse. Mais surtout il ne faut pas en parler aux parents, car ils ne comprennent pas ces choses ; cela doit rester une affaire de jeunes.
Ailleurs, c'est une institutrice qui se fait réprimander, cette fois par un groupe de parents, pour avoir fait apprendre à ses élèves des formules de catéchisme et l'Ave Maria. Elle est soutenue par l'évêque, chose on ne peut plus normale mais qui semble si inhabituelle que la lettre est reproduite dans La Famille éducatrice et fait figure d'événement.

Est-ce faire de la politique que de vouloir écarter le socialisme et le communisme de nos écoles ? Le catholique a toujours pensé que l'Église était opposée à ces doctrines, à cause de l'athéisme militant qu'elles professent. Il a en cela parfaitement raison sur le principe et sur les applications : l'athéisme détermine des façons radicalement différentes de concevoir le sens de la vie, le destin des nations, les orientations de la société. On est d'autant plus étonné de lire dans Le Monde du 5 juin 1984 que Mgr Lustiger, répondant aux questions de ce journal et exprimant du reste plusieurs idées fort justes, se plaint d'avoir vu échapper une chance historique avec le vote du Parlement sur l'école libre. Cette chance, explique-t-il, consistait à trouver, en accord avec les socialo-communistes, un certain nombre de valeurs fondamentales pour l'éducation des enfants. Quelles valeurs fondamentales communes peut-il y avoir entre la gauche marxiste et la doctrine chrétienne ? C'est tout l'opposé.
Mais le catholique voit avec surprise le dialogue s'intensifier entre la hiérarchie ecclésiastique et les communistes. Les dirigeants soviétiques, ainsi que des terroristes comme Yasser Arafat, sont reçus au Vatican. Le concile a donné le ton en refusant de renouveler la condamnation du communisme. N'en trouvant pas trace dans les schémas qui leur étaient soumis, quatre cent cinquante évêques, rappelons-le, avaient signé une lettre réclamant un amendement dans ce sens. Ils s'appuyaient sur les condamnations passées et, en particulier, sur l'affirmation de Pie XI qui qualifiait le communisme d' "intrinsèquement pervers", signifiant par là qu'il n'y avait pas dans cette idéologie des aspects négatifs et des aspects positifs, mais qu'il fallait le rejeter dans son intégralité. On se souvient de ce qu'il en advint : l'amendement ne fut pas transmis aux pères, le secrétariat général du concile déclara n'en avoir pas eu connaissance, puis la commission admit qu'elle l'avait reçu mais trop tard, ce qui n'était pas exact. Ce fut un scandale, qui se termina par l'adjonction, sur ordre du pape, à la constitution Gaudium et Spes, d'un passage allusif sans grande portée.
Que de déclarations d'évêques pour justifier, sinon encourager, la collaboration avec les communistes, indépendamment de l'athéisme affiché ! "Ce n'est pas à moi, c'est aux chrétiens, qui sont des adultes responsables, disait Mgr Matagrin, à voir dans quelles conditions ils peuvent collaborer avec les communistes." Pour Mgr Delorme, les chrétiens doivent "lutter pour plus de justice dans le monde avec tous ceux qui sont épris de justice et de liberté, y compris les communistes". C'est le même son de cloche chez Mgr Poupard, qui incite à "travailler avec tous les hommes de bonne volonté sur tous les chantiers de la justice où se construit inlassablement un monde nouveau". Dans un bulletin diocésain, l'oraison funèbre d'un prêtre ouvrier est ainsi tournée : "Il a pris parti pour le monde des travailleurs à l'occasion des élections municipales. Il ne pouvait être le prêtre de tous. Il a choisi ceux qui faisaient le choix de société socialiste. Ce fut dur pour lui. Il s'est fait des ennemis, mais aussi beaucoup de nouveaux amis. Tit-Paul était un homme situé." Un évêque dissuadait, il y a peu de temps, ses prêtre de parler dans leurs paroisses de l'œuvre "Aide en détresse" en disant : "Mon impression est que cette œuvre se présente sous des dehors trop exclusivement anticommunistes."
On constate avec effarement que l'excuse donnée à ce genre de collaboration repose sur la notion, elle-même fausse, que le parti communiste aurait pour but d'instaurer la justice et la liberté. Il faut rappeler à ce sujet les paroles de Pie IX : "Si les fidèles se laissent tromper par les promoteurs des manœuvres actuelles, s'ils consentent à conspirer avec eux pour les systèmes pervers du socialisme et du communisme, qu'ils le sachent et le considèrent sérieusement : ils amassent pour eux-mêmes et auprès du divin Juge des trésors de vengeance au jour de la colère ; et en attendant, il ne sortira de cette conspiration aucun avantage temporel pour le peuple, mais bien plutôt un accroissement de misères et de calamités."
Il suffit, pour voir la justesse de cet avertissement lancé en 1849, il y a près de cent quarante ans, d'observer ce qui se passe dans tous les pays placés sous le joug communiste. Les événements ont donné raison au pape du Syllabus et, malgré cela, l'illusion demeure vivace et même elle s'accentue. Même en Pologne, pays catholique entre tous, les pasteurs ne donnent plus la question de la foi catholique et du salut des âmes comme primordiale et devant faire accepter tous les sacrifices, y compris celui de la vie. Ce qui importe le plus dans leur esprit est de ne pas provoquer de rupture avec Moscou, ce qui permet à Moscou de réduire à un esclavage encore plus complet le peuple polonais, sans rencontrer de véritable résistance.
Le père Floridi[1] montre avec clarté les compromissions de l'Ostpolitik vaticane : "Il est connu que les évêques tchécoslovaques consacrés par Mgr Casaroli sont les collaborateurs du régime, comme le sont les évêques dépendant du patriarcat de Moscou... Heureux d'avoir pu donner un évêque à chaque diocèse hongrois, le pape Paul VI rendit hommage à Janos Kadar, premier secrétaire du parti communiste hongrois, "principal promoteur et le plus autorisé de la normalisation des relations entre le Saint-Siège et la Hongrie". Mais le pape ne disait pas le prix élevé dont avait été payée cette normalisation : l'installation en des postes importants de l'Église de "prêtres de la paix"... De fait, grande fut la stupeur des catholiques quand ils entendirent le successeur du cardinal Mindszenty, le cardinal Laszlo Lekai, promettre d'intensifier le dialogue entre catholiques et marxistes." Parlant de la perversité intrinsèque du communisme, Pie XI ajoutait : "et l'on ne peut admettre sur aucun terrain la collaboration avec lui de la part de quiconque veut sauver la civilisation chrétienne".
Cette rupture de l'enseignement de l'Église, s'ajoutant à celles que j'ai énumérées, nous oblige à affirmer que le Vatican est occupé par des modernistes et des hommes de ce monde croyant trouver dans les astuces humaines et diplomatiques plus d'efficacité pour le salut du monde que ce qui a été institué par le divin fondateur de l'Église.

Les mêmes rapprochements ont lieu avec la franc-maçonnerie, malgré la déclaration dépourvue d'ambiguïté de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi en février 1981, qu'avait précédée une déclaration de la Conférence épiscopale allemande en avril 1980. Mais le nouveau droit canon n'en fait pas mention et ne formule expressément aucune sanction. Les catholiques ont appris antérieurement que les maçons B'nai B'rith avaient été reçus au Vatican et, à une date récente, l'archevêque de Paris accueillait, pour un entretien, le grand maître d'une loge, cependant que certains ecclésiastiques n'en finissent pas de vouloir réconcilier la Synagogue de Satan avec l'Église du Christ.

On rassure les catholiques en leur disant, comme pour le reste : "La condamnation des sectes était peut-être fondée hier, mais les frères trois-points ne sont plus ce qu'ils étaient." Voyons-les donc à l'œuvre. Le scandale de la loge P2, en Italie, est encore tout frais dans les mémoires. En France, il ne fait pas de doute que la loi laïque contre l'enseignement libre est avant tout l'œuvre du Grand Orient, qui a multiplié les pressions auprès du président de la République et de ses affiliés présents dans le gouvernement et dans les cabinets ministériels, pour que se réalise enfin le "grand service unique de l'Education nationale". Ils ont même, pour cette fois, agi au grand jour ; des journaux comme Le Monde ont fait régulièrement le compte rendu de leurs démarches, leur plan et leur stratégie ont été publiés dans leurs revues.

Les francs-maçons ont pénétré l'Église. En 1976, on apprenait que celui qui avait été l'âme de la réforme liturgique, Mgr Bugnini, était franc-maçon. On peut juger, d'après cette révélation, qu'il n'était pas le seul. Le voile qui couvrait la plus grande mystification dont les clercs et les fidèles ont été l'objet commençait à se déchirer. On y voit plus clair avec le temps, et les adversaires séculaires de l'Église aussi : "Il y a quelque chose de changé dans l'Église, écrit Jacques Mitterrand, les réponses formulées par le pape aux questions les plus brûlantes, comme le célibat des prêtres ou la régulation des naissances, sont ardemment contestées au sein de l'Église elle-même ; la parole du Souverain Pontife est mise en cause par certains évêques, par des prêtres, par les fidèles. Pour le franc-maçon, l'homme qui discute le dogme est déjà un franc-maçon sans tablier."

Je voudrais encore vous citer un texte propre à éclairer cette question et montrant qui espère être le vainqueur de l'autre dans le rapprochement préconisé par l'abbé Six et le père Riquet. Il est extrait de la revue maçonnique Humanisme, numéro de novembre-décembre 1968 : "Parmi les piliers qui s'effondreraient le plus facilement, citons le pouvoir doctrinal doté d'infaillibilité qu'avait cru solidifier, voici cent ans, le premier concile du Vatican, et qui vient de supporter des assauts conjugués à l'occasion de la parution de l'encyclique Humanæ Vitæ ; la présence réelle eucharistique, que l'Église avait réussi à imposer aux masses médiévales et qui disparaîtra avec le progrès des intercommunications et des concélébrations entre prêtres catholiques et pasteurs protestants ; le caractère sacré du prêtre, qui découlait de l'institution du sacrement de l'Ordre et qui cédera la place à un caractère électif et temporaire ; la distinction entre l'Eglise dirigeante et le clergé noir, le mouvement s'opérant désormais de la base vers le sommet, comme dans toute démocratie ; la disparition progressive du caractère ontologique et métaphysique des sacrements et, à coup sûr, la mort de la confession, le péché étant devenu dans notre civilisation l'une des notions les plus anachroniques que nous ait léguées la sévère philosophie du Moyen-Age, héritière elle-même du pessimisme biblique."

On remarquera que les francs-maçons sont prodigieusement intéressés par l'avenir de l'Église, mais que c'est pour la dévorer. Les catholiques doivent le savoir, malgré les sirènes qui cherchent à les endormir, et toutes ces forces destructrices sont étroitement dépendantes les unes des autres. La maçonnerie se définit comme la philosophie du libéralisme, dont la forme aiguë est le socialisme. L'ensemble se regroupe assez bien sous le terme employé par Notre-Seigneur : «les Portes de l'enfer».


  1. R.P. Ulisse Floridi, Moscou et le Vatican, Ed. France-Empire.

 

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