Table des matières du livre : Ils l'ont découronné

Chapitre 16 - La mentalité catholique libérale

" Il y a des faiblesses tyranniques, des débilités méchantes
et des vaincus dignes de l’être
" .
Charles Maurras

Une maladie de l’esprit
Davantage qu’une confusion, le catholicisme libéral est une " maladie de l’esprit "[1] : l’esprit n’arrive pas à se reposer simplement dans la vérité. L’esprit n’ose rien affirmer, qu’immédiatement se présente à lui la contre-affirmation, qu’il se sent obligé de poser aussi. Le pape Paul VI fut le type même de cet esprit divisé, de cet être à double visage — on pouvait même le lire physiquement sur son visage — perpétuellement ballotté entre les contradictoires et animé d’un mouvement de balancier oscillant régulièrement entre la tradition et la nouveauté : schizophrénie intellectuelle, diront certains ?
Je crois que le P. Clérissac a vu plus profondément la nature de cette maladie. C’est un "manque de l’intégrité de l’esprit" écrit-il[2], d’un esprit qui n’a " pas assez confiance en la vérité ".

" Ce manque de l’intégrité de l’esprit, aux époques de libéralisme, s’explique du côté psychologique par deux traits manifestes : les libéraux sont des réceptifs et des fiévreux ; des réceptifs, parce qu’ils revêtent trop aisément les états d’esprit de leurs contemporains ; des fiévreux, parce que, de crainte de heurter ces divers états d’esprit, ils sont dans une continuelle inquiétude apologétique ; ils semblent souffrir eux-mêmes des doutes qu’ils combattent ; ils n’ont pas assez de confiance en la vérité ; ils veulent trop justifier, trop démontrer, trop adapter ou même trop excuser " .

Se mettre en harmonie avec le monde
Trop excuser ! Comme cela est bien dit : ils veulent tout excuser du passé de l’Église : les croisades, l’inquisition, etc ; justifier et démontrer, c’est très timidement qu’ils le font, surtout s’il s’agit des droits de Jésus-Christ ; mais adapter, cela, pour sûr, ils s’y donnent : c’est leur principe.

" Ils partent d’un principe pratique et d’un fait qu’ils jugent indéniable : ce principe est que l’Église ne saurait être entendue dans le milieu concret où elle doit accomplir sa divine mission, sans se mettre en harmonie avec lui " [3].

C’est ainsi que plus tard les modernistes voudront adapter la prédication de l’Évangile à la fausse science critique et à la fausse philosophie immanentiste de l’époque, " s’efforçant de rendre la vérité chrétienne accessible aux esprits dressés à refuser le surnaturel "[4]. Donc, selon eux, pour convertir ceux qui ne croient pas au surnaturel, il faut faire abstraction de la révélation de Notre Seigneur, de la grâce, des miracles... si vous avez affaire à des athées, ne leur parlez pas de Dieu, mais mettez-vous à leur niveau, à leur diapason, entrez dans leur système ! Moyennant quoi vous allez devenir marxiste-chrétien : ce seront eux qui vous auront converti !
C’est le même raisonnement qu’a tenu la Mission de France et que tiennent actuellement encore de nombreux prêtres vis-à-vis de l’apostolat dans le monde ouvrier : si nous voulons les convertir, il nous faut travailler avec les ouvriers, ne pas se montrer comme prêtres, avoir leurs préoccupations, connaître leurs revendications, nous arriverons ainsi à être le levain dans la pâte... — Moyennant quoi ce sont ces prêtres qui se sont convertis et sont devenus des agitateurs syndicaux ! – " Oui, dira-t-on, mais vous comprenez, il fallait s’assimiler absolument à ce milieu, ne pas le heurter, ne pas lui donner l’impression qu’on veuille l’évangéliser, lui imposer une vérité ! " — Quelle erreur ! Ces gens qui ne croient plus ont soif de la vérité, ils ont faim du pain de la vérité que ces prêtres égarés ne veulent plus leur rompre !
C’est encore ce raisonnement faux qu’on a tenu aux missionnaires : mais non, ne prêchez pas tout de suite Jésus-Christ à ces pauvres indigènes qui avant tout meurent de faim ! Donnez-leur d’abord à manger, puis des outils, apprenez-leur ensuite à travailler, enseignez-leur l’alphabet, l’hygiène... et la contraception pourquoi pas ! Mais ne leur parlez pas de Dieu : ils ont le ventre creux ! — Mais je dirai ceci : c’est précisément parce qu’ils sont pauvres et démunis des biens de la terre, qu’ils sont extraordinairement accessibles au Royaume des Cieux, au " cherchez d’abord le royaume des Cieux " , au Bon Dieu qui les aime et a souffert pour eux, afin qu’eux participent, par leurs misères, à Ses souffrances rédemptrices. Si au contraire vous prétendez vous placer à leur niveau, vous n’aboutirez qu’à les faire crier à l’injustice et à enflammer en eux la haine. Mais si vous leur apportez Dieu, vous les relevez, vous les élevez, vous les enrichissez véritablement.

Se réconcilier avec les principes de 1789
En politique, les catholiques libéraux voient dans les principes de 1789 des vérités chrétiennes, sans doute quelque peu dévergondées, mais une fois purifiés les idéaux modernes sont somme toute assimilables par l’Église : la liberté, l’égalité, la fraternité, la démocratie (idéologie) et le pluralisme. C’est l’erreur que condamne Pie IX dans le Syllabus: " Le Pontife romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme, et la civilisation moderne "[5].
" Que voulez-vous, déclare le catholique libéral, on ne peut pas être indéfiniment contre les idées de son temps, sans cesse ramer à contre-courant, paraître rétrograde ou réactionnaire " . On ne veut plus d’antagonisme entre l’Église et l’esprit libéral laïc, sans Dieu. On veut concilier les inconciliables, réconcilier l’Église et la Révolution, Notre Seigneur Jésus-Christ et le prince de ce monde. Or on ne peut imaginer d’entreprise plus impie, et plus dissolvante de l’esprit chrétien, du bon combat de la foi, de l’esprit de croisade, c’est-à-dire du zèle pour conquérir le monde à Jésus-Christ.

De la pusillanimité à l’apostasie
Il y a dans tout ce libéralisme dit catholique un manque de foi, ou plus précisément un manque de l’esprit de la foi, qui est un esprit de totalité : tout soumettre à Jésus-Christ, tout restaurer, " tout récapituler dans le Christ " , comme dit saint Paul (Eph. I. 20). On n’ose pas revendiquer pour l’Église la totalité de ses droits, on se résigne sans lutte, on s’accommode même fort bien du laïcisme, on en arrive enfin à l’approuver. Dom Delatte et le cardinal Billot caractérisent bien cette tendance à l’apostasie :

" Un large sillon divisait dorénavant (avec Falloux et Montalembert du côté libéral en France au XIXe siècle) les catholiques en deux groupes : ceux qui avaient comme premier souci la liberté d’action de l’Église et le maintien de ses droits dans une société encore chrétienne ; et ceux qui premièrement s’efforçaient de déterminer la mesure du christianisme que la société moderne pouvait supporter, pour ensuite inviter l’Église à s’y réduire " [6].

Tout le catholicisme libéral, dit Billot, est renfermé dans une équivoque entretenue, " la confusion entre tolérance et approbation " :

" La question entre les libéraux et nous (...) n’est pas de savoir si, étant donné la malice du siècle, il faut supporter avec patience ce qui n’est pas en notre pouvoir, et travailler en même temps à éviter de plus grand maux et à opérer tout le bien qui reste possible ; mais la question est précisément s’il convient d’approuver (...) (le nouvel état des choses), de chanter les principes qui sont le fondement de cet ordre de choses, de les promouvoir par la parole, par la doctrine, par les œuvres, ainsi que le font les catholiques dits libéraux " [7].

C’est ainsi qu’un Montalembert par son slogan "l’Église libre dans l’État libre"[8], se fera le champion de la séparation entre l’Église et l’État, refusant d’admettre que cette liberté mutuelle conduirait nécessairement à la situation d’une Église asservie dans l’État spoliateur. C’est ainsi également qu’un de Broglie écrira une histoire libérale de l’Église où les excès des Césars chrétiens l’emportent sur le bienfait des Constitutions chrétiennes. C’est encore ainsi qu’un Jacques Piou se fera le héraut du ralliement des catholiques français à la république : non pas tant à l’état de fait du régime républicain, qu’à l’idéologie démocratique et libérale : voici, cité par Jacques Ploncard d’Assac[9] le cantique de l’Action Libérale Populaire de Piou dans les années 1900 :

Nous sommes d’action libérale
Nous voulons vivre en liberté
Pour , ou non, à volonté.
La liberté, c’est notre gloire
Crions : " Vive la Liberté ! "
Nous voulons croire ou ne pas croire

Refrain

Acclamons l’action libérale
Libérale, libérale
Pour tous que la loi soit égale,
Soit égale.
Vive l’action libérale de Piou.

Les catholiques libéraux de 1984 ne faisaient pas mieux quand ils entonnaient leur cantique de l’école libre dans les rues de Paris

" Liberté, liberté, tu es la seule vérité ! "

Quelle plaie, que ces catholiques libéraux ! Ils mettent la foi en poche et adoptent les maximes du siècle. Quel dommage incalculable ils ont causé à l’Église par leur manque de foi et leur apostasie.
Je terminerai par une page de Dom Guéranger, pleine de cet esprit de la foi dont je vous ai parlé :
" Aujourd’hui plus que jamais (...) la société a besoin de doctrines fortes et conséquentes avec elles-mêmes. Au milieu de la dissolution générale des idées, l’assertion seule, une assertion ferme, nourrie, sans alliage, pourra se faire accepter. Les transactions deviennent de plus en plus stériles et chacune d’elles emporte un lambeau de la vérité (...) Montrez-vous donc (...) tels que vous êtes au fond, catholiques convaincus (...). Il y a une grâce attachée à la confession pleine et entière de la foi. Cette confession, nous dit l’Apôtre, est le salut de ceux qui la font et l’expérience montre qu’elle est aussi le salut de ceux qui l’entendent "[10].

  1. Abbé A. Roussel, Libéralisme et catholicisme, p. 16.
  2. Humbert Clérissac, o.p., Le mystère de l’Église, ch. VII.
  3. DTC. T. IX, col. 509.
  4. Jacques Marteaux, Les catholiques dans l’inquiétude, passim.
  5. Proposition condamnée n. 80, Dz 1780
  6. Vie de Dom Guéranger, T. II, p. 11.
  7. Le cardinal Billot, Lumière de la théologie, p. 58-59.
  8. Discours de Malines, 20 août 1863.
  9. L'Église occupée, D.P.F. 1975, p. 136.
  10. Le sens chrétien de l‘histoire, Nouvelle Aurore, Paris, 1977, p. 31-32.

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