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Gaude, Maria Virgo, cunctas hæreses sola interemisti.

(Tractus Missæ Salve Sancta Parens)

samedi 29 septembre 2007

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Madiran : « La Messe revient »… avec l’indult de 1984 !!?

Les abbés de Suresnes tentent de remettre à l’honneur Jean Madiran qui attaqua Mgr Lefebvre à l’occasion des sacres en 1988. Il est particulièrement éclairant de relire les écrits de ce rallié qui déjà en 1984 tentait de faire croire aux fidèles que l’indult de 1984 annonçait le « retour de la Messe » !

A mesure que les mois s’effilent, les véritables intentions du petit clan moderniste (abbés Celier, Duverger, de La Rocque, Lorans, Sélégny, Wuilloud, Schmidberger etc) qui a pris le contrôle de la FSSPX, deviennent de plus en plus évidentes. Désormais, c’est le site officiel du District de France de la FSSPX qui répand largement les écrits de Jean Madiran, l’homme qui attaqua Mgr Lefebvre au moment des sacres et qui est devenu l’archétype, le symbole même du ralliement. C’est pourquoi il est bon de rappeler les écrits de cet homme qui, dès 1984, bien avant les sacres de 1988, exultait comme il le fait aujourd’hui pour le Motu Proprio, et à l’époque pour l’indult de Wojtyla-Jean-Paul II. Ce retour en arrière de 23 ans discrédite complètement Jean Madiran et le petit clan des infiltrés (abbés Celier, Duverger) qui en assure aujourd’hui la promotion.

Continuons le bon combat

Abbé Michel Marchiset

ITINERAIRES Décembre 1984, n° 288

LA MESSE REVIENT

CHRONOLOGIE

Quinze ans de guerre religieuse contre la messe traditionnelle

1969

3 avril : — CONSTITUTION APOSTOLIQUE Missale romanum de Paul VI approuvant une nouvelle messe[1].

La fabrication et l'institution par Paul VI d'une nouvelle messe, en 1969, est un commencement : le commencement d'une nouvelle période de la guerre dans l'Eglise. Mais bien sûr cette nouvelle messe n'est pas un commencement absolu. Elle est elle-même un aboutissement. Il y a eu de longue date le mouvement liturgique anti-traditionnel. Il y a eu la constitution liturgique de Vatican II et son astuce sournoise (elle ordonnait explicitement de conserver le latin, le grégorien, les rites traditionnels, mais c'était de sa part une feinte, on l'a bien vu par la suite). Il y a eu les premières modifications de septembre 1964, supprimant le psaume 42 au début de la messe et à la fin le dernier évangile et les prières de Léon XIII à la suite des messes basses ; il y a eu la formule «Corpus Christi» à laquelle répondre «Amen» à la communion des fidèles ; et le Notre Père récité ou chanté par l'assistance en vernaculaire. Ces modifications figuraient dans l'«Ordo Missae» de janvier 1965 ; elles entraient en vigueur à partir du 7 mars 1965, avec le décret du même jour sur le rite de la concélébration et celui de la communion sous les deux espèces. Il y a eu le décret du 4 mai 1967: le canon à haute voix, la suppression d'un grand nombre de signes de croix et de génuflexions du célébrant, etc., pour exercer prêtres et fidèles à des changements encore limités mais incessants. Il y a eu l'épisode de la «messe normative», ballon d'essai raté au synode épiscopal de 1967. Il y a eu le décret du 23 mai 1968 instituant trois nouveaux canons. Tout cela eut sa fonction et son importance. On était déjà en plein drame. Nous commençons cependant la présente chronologie en cette terrible année climatérique 1969. C'est le moment où - entre autres violences, au premier rang desquelles il faut compter le nouveau catéchisme en France - l'institution d'une nouvelle messe va être le moyen de PRÉTENDRE INTERDIRE la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V.

19 juin : — NOTE du conseil permanent de l'épiscopat introduisant en France la communion dans la main.

Septembre : — LETTRE DES CARDINAUX OTTAVIANI ET BACCI présentant à Paul VI un Bref examen critique de la nouvelle messe et demandant l'abrogation de cette messe nouvelle.

Publiés en France par la Contre-Réforme Catholique de l'abbé Georges de Nantes et par la revue ITINÉRAIRES, cette lettre des cardinaux et ce Bref examen critique ont fait ensuite l'objet d'un tiré à part d'ITINÉRAIRES, puis d'un reprint chez DMM.

24 septembre : — Premier article de Louis Salleron, dans l'hebdomadaire Carrefour, contre la nouvelle messe.

25 septembre : — Premier article (anonyme) de l'abbé Raymond Dulac contre la messe nouvelle, dans le Courrier de Rome.

Octobre : — Fondation à Fribourg (Suisse) par Mgr Marcel Lefebvre, avec neuf séminaristes, de la FRATERNITÉ SACERDOTALE SAINT‑PIE X.

— Prise de position très détaillée de l'abbé Georges de Nantes, dans la Contre-Réforme Catholique, contre la nouvelle messe.

20 octobre : — Circulaire du saint-siège sur l'application progressive de la constitution apostolique Missale romanum.

Novembre : — La revue ITINÉRAIRES publie des «précisions théologiques», selon la doctrine commune de l'Eglise, «sur quelques questions actuellement controversées» : I. - Le pontife romain, tête de l'Eglise. II. - Les défaillances éventuelles du pontife romain. III. - Le cas d'un «mauvais pape». IV. - Le cas d'un «pape hérétique». V. - Le cas d'un «pape schismatique» (selon Suarez, un pape peut être schismatique en «renversant tous les rites traditionnels»).

1er novembre : — Imprimatur donné au premier Nouveau missel des dimanches (annuel) patronné par l'épiscopat français et contenant page 332, à titre de «rappel de foi indispensable», l'affirmation qu'à la messe «il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli».

12 novembre : — ORDONNANCE DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS rendant obligatoire à partir du 1er janvier 1970 la célébration de la nouvelle messe et l'utilisation de la traduction française établie par la commission épiscopale.

Cette ordonnance était juridiquement schismatique : en effet l'épiscopat français y prétendait décider lui-même, en ne se référant qu'a son propre pouvoir, le changement de rite en France. Il n'invoquait ni la constitution apostolique Missale romanum, ni la circulaire romaine du 20 octobre 1969.

Par cette ordonnance, l'épiscopat français interdisait en fait, à partir du er janvier 1970, le rite traditionnel de la messe et, quel que soit son rite, le latin à la messe.

Décembre : — Dans la revue ITINÉRAIRES, éditorial de Jean Madiran contre l'interdiction de la messe traditionnelle : «Un petit livre rouge».

1970

Janvier : — Déclaration du P. Calmel O. P. dans ITINÉRAIRES : «Je m'en tiens à la messe traditionnelle, celle qui fut codifiée mais non fabriquée par saint Pie V, au XVIè siècle, conformément à une coutume plusieurs fois séculaire. Je refuse donc l'ORDO MISSAE de Paul VI».

Février : — Dans ITINÉRAIRES, l'abbé Raymond Dulac publie contre la nouvelle messe : «Les raisons d'un refus».

26 mars : — Décret de la congrégation romaine du culte divin promulguant l'édition dite «typique» (c'est-à-dire officielle) de la nouvelle messe (en latin). L'épiscopat français, comme on l'a vu, n'avait pas attendu cette promulgation officielle pour en rendre obligatoire une traduction à sa façon.

Octobre : — Ouverture à ECONE, par Mgr Marcel Lefebvre, du SÉMINAIRE INTERNATIONAL SAINT-PIE X, où seront instruits et ordonnés de jeunes prêtres pour célébrer la messe traditionnelle.

Décembre : — =Première édition du livre de Louis Salleron sur (et contre) La nouvelle messe, un volume de 188 pages aux Nouvelles Editions Latines.

1971

9 juin : — DÉCLARATION DU CARDINAL OTTAVIANI (publiée dans l'hebdomadaire Carrefour par Louis Salleron qui est allé à Rome interviewer le cardinal) :

«Le rite traditionnel de la messe selon l'Ordo de saint Pie V n'est pas, que je sache, aboli».

14 juin : — Notification de la congrégation romaine du culte divin pour la mise en place de la nouvelle messe (notification superfétatoire pour la France, où les évêques ont déjà devancé et dépassé Rome).

Novembre : — Le cardinal Heenan, à la demande de la Latin Mass Society, «association pour le rite tridentin» (adhérente à la Fédération internationale Una voce), fait connaître l'autorisation donnée par Paul VI aux Anglais d'utiliser occasionnellement le rite traditionnel de la messe.

1972

10 octobre : — Imprimatur à nouveau décerné au Nouveau missel des dimanches (annuel) de l'épiscopat qui, en sa page 383, réitère le «rappel de foi indispensable» de la première édition, selon lequel à la messe «il s'agit simplement de faire mémoire de l'unique sacrifice déjà accompli».

27 octobre : — LETTRE A PAUL VI de Jean Madiran :

«Rendez-nous l'Ecriture, le catéchisme et la messe (...). Rendez-nous la messe catholique traditionnelle, latine et grégorienne selon le missel romain de saint Pie V. Vous laissez dire que vous l'auriez interdite. Mais aucun pontife ne pourrait, sans abus de pouvoir, frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Eglise catholique, canonisé par le concile de Trente. L'obéissance à Dieu et à l'Eglise serait de résister à un tel abus de pouvoir, s'il s'était effectivement produit, et non pas de le subir en silence (...). Très Saint Père, confirmez dans leur foi et leur bon droit les prêtres et les laïcs qui, malgré l'occupation étrangère de l'Eglise par le parti de l'apostasie, gardent fidèlement l'Ecriture sainte, le catéchisme romain, la messe catholique (...). Laissez venir jusqu'à vous la détresse spirituelle des petits enfants ; rendez-leur, Très Saint Père, rendez-leur la messe catholique, le catéchisme romain, la version et l'interprétation traditionnelles de l'Ecriture. Si vous ne les leur rendez pas en ce monde, ils vous les réclameront dans l'éternité... »

Novembre : — Première édition de La messe, état de la question, par Jean Madiran.

— Contre la nouvelle messe, Henri Charlier publie dans ITINÉRAIRES : «La messe ancienne et la nouvelle», texte qui sera en 1973 édité en opuscule (24 p.) par DMM.

1973

Janvier : — «Mise au point» de Mgr Adam, évêque de Sion (Suisse), affirmant qu'«il est interdit, sauf indult, de célébrer selon le rite de saint Pie V, qui a été aboli (sic) par la constitution Missale romanum du 3 avril 1969». Mgr Adam précise : «La présente déclaration est faite sur renseignement authentique et indication formelle de l'Autorité».

Juillet : — Communiqué de l'Assemblée plénière des évêques suisses : «Il n'est plus permis de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V».

Octobre : — Au nom de Mgr Badré, évêque de Bayeux et de Lisieux, le doyen d'Orbec publie un communiqué affirmant : «Le souci d'obéissance à l'Eglise interdit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V dans quelques circonstances que ce soit».

14 novembre : — COMMUNIQUÉ DE L'ÉPISCOPAT FRANÇAIS qui, pour la première fois, cinq ans après coup, déclare explicitement interdite la messe traditionnelle (l'ordonnance du 12 novembre 1969 l'avait effectivement interdite, mais implicitement et par voie de conséquence, en rendant obligatoire la messe nouvelle en français).

Au communiqué est jointe l'ORDONNANCE ÉPISCOPALE du 14 novembre 1974, qui «confirme sa décision antérieure», celle du 12 novembre 1969, mais cette fois «en application» de la notification romaine du 14 juin 1971 et non plus de sa propre autorité.

21 novembre : — Déclaration de Mgr Marcel Lefebvre : «Nous refusons de suivre la Rome de tendance néo-moderniste et néo-protestante qui s'est manifestée clairement dans le concile Vatican II et après le concile dans toutes les réformes qui en sont issues».

1975

Mai : — «Condamnation» (la «condamnation sauvage») du Séminaire international d'Ecône et de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondés par Mgr Lefebvre.

29 juin : — Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre : «Le deuxième concile du Vatican ne fait pas moins autorité, il est même sous certains aspects plus important que celui de Nicée».

11 octobre : — Lettre du cardinal Villot, secrétaire d'Etat, approuvant au nom de Paul VI l'édition française du nouveau Missel, et assurant que par sa constitution apostolique Missale romanum de 1969, le pape a «prescrit que le nouveau Missel doit remplacer l'ancien».

Novembre : — Louis Salleron publie La nouvelle messe en quoi (suivie de : Solesmes et la messe), un opuscule de 64 pages (édité par ITINÉRAIRES). En reprint chez DMM.

1976

24 mai : — DISCOURS CONSISTORIAL de Paul VI réclamant que la messe traditionnelle ne soit plus jamais célébrée : «L'adoption du nouvel Ordo Missae n'est certainement pas laissée à la libre décision des prêtres ou des fidèles... Le nouvel Ordo a été promulgué pour prendre la place de l'ancien».

Juin : — Cinquième édition, revue et augmentée, de : La messe, état de la question, par Jean Madiran (un opuscule de 80 pages).

25 juin : — Mgr Benelli, de la secrétairerie d'Etat, écrit au nom de Paul VI à Mgr Lefebvre pour exiger «la fidélité véritable à l'Eglise conciliaire» (sic).

22 juillet — Paul VI frappe Mgr Lefebvre de suspense a divinis.

8 septembre : — A Jean Guitton qui lui demande d'autoriser en France la célébration de la messe traditionnelle, Paul VI répond «sévèrement» : — «Cela, jamais !»

(Cette violente répartie ne sera rendue publique qu'après la mort de Paul VI, dans le livre de Jean Guitton paru en décembre 1979 : Paul VI secret, p. 158.)

11 septembre : — A Castelgandolfo, Mgr Lefebvre est reçu par Paul VI. Il demande au pape de «laisser faire l'expérience de la Tradition», c'est-à-dire notamment de lever l'interdiction qui prétend frapper la messe traditionnelle. Le pape répond qu'il réfléchira et consultera la curie.

29 septembre : — Achevé d'imprimer de la seconde édition (augmentée) du livre de Louis Salleron : La nouvelle messe, un volume de 256 pages aux Nouvelles Editions Latines.

11 octobre : — Lettre de Paul VI à Mgr Lefebvre exigeant (entre autres) l'abandon total et définitif de la messe traditionnelle.

1977

27 février : — Premier dimanche de Carême : Mgr Ducaud-Bourget, l'abbé Louis Coache, l'abbé Vincent Serralda et les fidèles du rite de saint Pie V s'installent dans l'église SAINT-NICOLAS-DU-CHARDONNET à Paris, ainsi rendue depuis ce jour au culte traditionnel.

1978

16 juin : — Le cardinal Seper, préfet de la congrégation romaine de la doctrine, intervient de manière pressante auprès de Mgr Lefebvre pour qu'il renonce à ordonner des prêtres fidèles à la messe traditionnelle.

Malgré pressions, menaces et sanctions, Mgr Lefebvre procède aux ordinations, chaque année à Ecône, le jour ou aux environs de la fête des saints apôtres Pierre et Paul (29 juin). Ainsi les célébrations habituelles de la messe traditionnelle se multiplient. Le nombre des prieurés de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X et des jeunes prêtres y exerçant leur ministère augmente régulièrement.

1980

19 juin : — La congrégation romaine du culte (dans une communication qu'elle aurait voulu garder secrète) demande à tous les évêques d'ouvrir une enquête sur la permanence éventuelle d'un attachement à la célébration de la messe en latin et selon le rite traditionnel. Jean Madiran révèle l'existence et le contenu de cette enquête dans ITINÉRAIRES, numéro 246 de septembre-octobre 1980, p. 153 et suiv.

L'enquête sera systématiquement faussée par le fait que les évêques vont omettre ou même refuser d'entendre justement les personnes et les groupes qui demeurent attachés à la messe traditionnelle.

1981

Novembre : — Mgr Antonio de Castro-Mayer, évêque de Campos, rend publique sa réponse à l'enquête liturgique en la publiant dans ITINÉRAIRES (numéro 257). Il y déclare :

1° que conformément à la constitution conciliaire de Vatican Il sur la liturgie, n° 54 et n° 36, les prêtres de son diocèse «maintiennent la coutume de célébrer la sainte messe en latin» ;

2° que conformément au n° 4 de la même constitution conciliaire, qui veut que «tous les rites légitimement reconnus soient conservés et favorisés de toutes les manières», la messe traditionnelle, dite «tridentine», est «célébrée d'une manière générale dans les paroisses du diocèse».

Décembre : — Publication à Rome des résultats (faussés) de l'enquête liturgique. Conclusion officielle : il n'existe plus aucun problême concernant la messe traditionnelle, presque complètement disparue et presque complètement oubliée.

1983

21 novembre : — «MANIFESTE ÉPISCOPAL». — Dans une «lettre ouverte au pape Jean-Paul II», Mgr Marcel Lefebvre et Mgr Antonio de Castro-Mayer contestent (entre autres) la «conception protestante de la messe» qui est celle de la messe nouvelle de Paul VI : «La désacralisation de la messe, sa laïcisation entraînent la laïcisation du sacerdoce, à la manière protestante. La réforme liturgique de style protestant est l'une des plus grandes erreurs de l'Eglise conciliaire...»

1984

3 octobre : — Déclarant obtempérer à un désir personnel du pape («ipse summus pontifex»), la congrégation romaine du culte, par une lettre aux présidents des conférences épiscopales, donne aux évêques la faculté de permettre, s'ils le veulent, des célébrations de la messe traditionnelle.

Mais la congrégation pose à l'octroi d'une telle permission cinq conditions absurdes : cinq conditions qui reviennent en somme à ne consentir la messe traditionnelle qu'aux prêtres et aux fidèles qui ne la désirent pas ou ne la souhaitent guère.

La circulaire du saint-siège 3 octobre 1984

Il s'agit d'une lettre de la congrégation romaine pour le culte divin. Elle est signée de son pro-préfet Mgr Augustin Mayer et de son secrétaire, Mgr Virgilio Noé, farouche ennemi de la messe traditionnelle.

La lettre de la congrégation du culte est qualifiée de «lettre circulaire» par l'édition française de «L'Osservatore romano» et elle est adressée aux présidents des conférences épiscopales.

Romae, die 3 octobris 1984

E. me Domine,

quattuor abhinc annos, iubente Summo Pontifice Ioanne Paulo II, universae Ecclesiae Episcopi invitati sunt ad relationem exhibendam :

- circa modum, quo sacerdotes et christifideles in suis dioecesibus Missale auctoritate Papae Pauli VI promulgatum          recepissent, statutis Concilii Vaticani Il rite obsequentes ;

- circa difficultates in liturgica instauratione exsequenda evenientes;

- circa renisus forte superandos.

Exitus consultationis notus factus est omnibus Episcopis (cf. Notitiae, n. 185, decembri 1981). Eorum responsionibus attentis, fere in totum solutum visum est problema illorum sacerdotum atque christifidelium, qui ritui «Tridentino» nuncupato inhaerentes manserant.

Cum autem problema idem perduret, ipse Summus Pontifex, coetibus istis obsecundare desiderans, Episcopis dioecesanis facultatem concedit utendi Indulto, quo sacerdotes et christifideles, qui in petitione proprio Episcopo exhibenda explicite indicabuntur, Missam celebrare valeant Missale Romanum adhibendo iuxta editionem typicam anni 1962, servatis autem normis, quae sequuntur :

a) Sine ambiguitate etiam publice constet talem sacerdotem et tales fideles nullam partem habere cum iis qui legitimam vim doctrinalemque rectitudinem Missalis Romani, anno 1970 a Paulo VI Romano Pontifice promulgati, in dubium vocant.

b) Haec celebratio fiat tantummodo ad utilitatem illorum coetuum qui eam petunt ; item in ecclesiis et oratoriis quae Episcopus dioecesanus deputaverit (non autem in templis paroecialibus, nisi Episcopus in casibus extraordinariis id concesserit) ; iisque diebus atque condicionibus ab ipso Episcopo, sive per modum consuetudinis, sive per actus, adprobatis.

c) Huiusmodi celebratio secundum Missale anni 1962 flat et quidem liugua latins.

d) Nulla habeatur commixtio interritus et textus alterutrius Missalis.

e) Unusquisque Episcopus banc Congregationem certiorem faciet de concessionibus ab ipso datis atque, expleto anno ah hoc Indulto tributo, de exitu quem eius applicatio obtinuerit.

Concessio huiusmodi, sollicitudinis signum qua Pater comunis omnes suos prosequitur filios, adhibenda erit sine ullo praeiudicio liturgicae instaurationis observandae in vita uniuscuiusque Communitatis ecclesialis.

Iuvat me vero hac uti opportunitate me E. tiae Tuae Rev. mae addictissimum in Domino profitendi.

Aucune traduction française intégrale, à notre connaissance, n'a été publiée ni communiquée par les services de l'épiscopat français. La première qui ait paru est celle de «L'Osservatore romano», édition hebdomadaire en langue française, numéro du 23 octobre parvenu aux abonnés français dans les premiers jours du mois de novembre. Cette traduction nous a semblé non point inexacte, mais maladroite et plusieurs fois assez floue, c'est pourquoi nous l'avons refaite,

Traduction française intégrale et annotée par Jean Madiran

Il y a quatre ans, à la demande du pape Jean-Paul II, les évêques de toute l'Eglise furent invités à faire une enquête :

- sur la manière dont, dans leur diocèse, prêtres et fidèles avaient reçu le missel promulgué par le pape Paul VI en        vertu des décisions du concile Vatican II ;

- sur les difficultés rencontrées ;

- sur les résistances qu'il avait éventuellement fallu surmonter[2].

Le résultat de cette enquête fut communiqué à tous les évêques (cf. Notitiae, n° 185 de décembre 1981)[3]. D'après leurs réponses, on semblait avoir presque complètement résolu le problème des prêtres et des fidèles qui demeuraient attachés au rite dit «tridentin».

Mais puisque ce problème subsiste, le souverain pontife en personne, désirant se montrer favorable à ces groupes, accorde aux évêques des diocèses la faculté de consentir par indult[4] que les prêtres et les fidèles qui en feront nommément la demande à leur évêque puissent célébrer la messe en utilisant le missel romain dans son édition officielle de 1962, mais en respectant les règles suivantes :

a) Qu'il soit établi saris ambiguïté et même publiquement que ce prêtre et ces fidèles se tiennent à l'écart de ceux[5] qui mettent en doute la légitimité et l'orthodoxie du missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI.

b) Que cette célébration se fasse seulement pour les groupes qui la demandent[6] ; qu'elle ait lieu dans les églises et oratoires désignés par l'évêque du diocèse (mais non point dans les églises paroissiales, à moins que l'évêque ne le permette pour des occasions exceptionnelles) ; et seulement les jours et dans les conditions que l'évêque lui-même aura approuvés soit en laissant se développer une coutume, soit par décrets[7].

c) Que cette célébration soit faite selon le missel de 1962 et en latin.

d) Qu'il n'y ait aucun mélange des deux missels quant au texte ou au rite.

e) Que chaque évêque fasse connaître à la congrégation du culte les autorisations qu'il aura données et, un an après cet indult, les résultats qu'il aura ainsi obtenus.

Une telle concession est le signe de la sollicitude du Père commun pour tous ses enfants[8]. Elle devra être utilisée sans causer aucun préjudice au renouvellement liturgique qui doit être respecté par chaque communauté ecclésiale.

Je suis heureux de profiter de cette circonstance pour exprimer à Votre Eminence mon extrême dévouement dans le Seigneur.

Communiqué du secrétariat de l'épiscopat 15 octobre 1984

Le pape, par souci des personnes attachées à la messe de saint Pie V, donne aux évêques la possibilité de permettre la messe en latin selon le missel de 1962 à une condition, celle de la reconnaissance publique par ceux qui feront la demande de cette permission, de la légitimité et de la rectitude de la messe de Paul VI et donc aussi de l'enseignement même du concile.

De plus est demandé :

— que les célébrations aient lieu dans les églises et oratoires désignés à cet effet par l'évêque mais non dans les églises paroissiales sauf cas extraordinaire ;

— que cela se fasse au jour et aux conditions approuvés par l'évêque lui-même et que cela ne porte aucun préjudice à l'observation de la réforme liturgique dans la vie de chaque communauté ecclésiale.

Le texte ci-dessus est, semble-t-il, l'intégralité du seul texte officiel du communiqué, tel qu'il a été publié ensuite dans le bulletin du SNOP (secrétariat national de l'opinion publique).

Toutefois l'AFP (Agence France-Presse) avait obtenu le jour même des précisions complémentaires sur les sentiments de «l'Eglise de France» et des 6 «évêques français». Voici le texte intégral de sa dépêche du 15 octobre à 21 h 30, intitulée : «Mise au point de l'Eglise de France».

L'autorisation donnée de nouveau par le pape Jean-Paul II pour la célébration de la messe en latin selon le rite de saint Pie V est subordonnée à une condition : «la reconnaissance publique de la légitimité et de la rectitude de la messe de Paul VI et donc aussi de l'enseignement même du concile» de Vatican II, indique lundi soir l'Eglise de France dans une mise au point.

Ainsi, les évêques français tiennent à souligner que le pape, «par souci des groupes attachés à la messe de saint Pie V», a certes fait un geste envers les traditionalistes, mais tout en exigeant d'eux la reconnaissance des acquis conciliaires, ce que, jusqu'à présent, le porte-drapeau des traditionalistes, Mgr Marcel Lefebvre, a toujours refusé.

A l'appui de cette mise au point, le secrétariat général de l'épiscopat français cite un paragraphe de la lettre adressée par la congrégation pour le culte divin aux présidents des conférences épiscopales de chaque pays, paragraphe qui, implicitement, vise les partisans de Mgr Lefebvre et explicite la condition essentielle posée par le Vatican à la célébration de messes en latin :

«Que soit manifesté sans ambiguïté et même publiquement que ce prêtre (NDLR : celui qui célèbre la messe en latin) ou ces fidèles n'ont aucune connivence avec ceux qui mettent en doute la valeur légitime et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI».

De plus, la congrégation pour le culte divin souligne dans cette lettre qu'une «telle concession, qui est la preuve du souci que le Père commun porte à tous ses fils, devra être utilisée sans porter la moindre atteinte à l'application des règles liturgiques qui doivent être observées par toute communauté ecclésiale».

A la suite du communiqué du secrétariat de l'épiscopat, le bulletin du SNOP, paru le 17 octobre, donnait un texte intitulé : «Contenu de la lettre adressée aux présidents des conférences des évêques du monde». En voici la teneur intégrale

La congrégation pour le culte divin vient d'adresser une lettre à tous les présidents des conférences des évêques de chaque pays. Après avoir rappelé la consultation faite il y a quatre ans et le résultat publié en décembre 1981 cette lettre poursuit : «Ce résultat fut porté à la connaissance de tous les évêques. Compte tenu de leurs réponses il apparaît que le problème est presque partout résolu chez les prêtres et les fidèles qui étaient demeurés attachés au rite «tridentin».

Cependant, puisque ce problème dure encore, le souverain pontife, pour aider ces quelques groupes de personnes, a concédé aux évêques diocésains la possibilité d'user d'un indult par lequel les prêtres et les fidèles qui se signaleront par une demande adressée explicitement à leur évêque propre, puissent célébrer la messe en utilisant le missel romain selon l'édition typique de 1962, et en étant observées aussi les règles suivantes :

1) Que soit manifesté sans ambiguïté et même publiquement que ce prêtre ou ces fidèles n'ont aucune connivence avec ceux qui mettent en doute la valeur légitime et la rectitude doctrinale du missel romain promulgué en 1970 par le pape Paul VI.

2) Que cette célébration se fasse uniquement pour l'utilité des personnes qui en ont ainsi fait la demande, uniquement dans les églises et oratoires désignés par l'évêque du diocèse (et non pas dans les églises paroissiales sauf si l'évêque l'a permis dans des cas extraordinaires), aux seuls jours et aux seules conditions approuvés par l'évêque soit de façon habituelle soit pour un cas extraordinaire.

3) Cette célébration devra se faire selon le missel de 1962 et en latin.

4) Il n'y aura aucun mélange avec les rites et les textes de l'autre missel.

5) Chaque évêque informera la congrégation pour le culte divin des permissions qu'il aura accordées et, après un an de cet indult, des résultats que son application aura obtenus. Une telle concession, qui est la preuve du souci que le Père commun porte à tous ses fils, devra être utilisée sans porter la moindre atteinte à l'application des règles liturgiques qui doivent être observées par toute communauté ecclésiale».

Déclarations de l'abbé Aulagnier 16 octobre 1984

Interrogé par Rémi Fontaine pour le quotidien PRÉSENT, l'abbé Paul Aulagnier, supérieur pour la France de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, fit les réponses suivantes :

—    Que pensez-vous du geste de Jean-Paul Il ?

—    Je me réjouis de cette annonce. Evidemment, il faut attendre de connaître la teneur du texte de l'instruction et donc sa promulgation pour savoir quelles sont les conditions de cette autorisation.

Mais ce qui était scandaleusement interdit par l'épiscopat vient d'être reconnu et autorisé par Rome, à savoir qu'il est possible de dire la messe ancienne. C'est là l'essentiel. C'est comme une brèche dans la forteresse progressiste, contre toute raison imposée contre la célébration de cette messe. Les évêques sont obligés de changer d'attitude.

—    Et les conditions ?

—    Tout en nous réjouissant de cette nouvelle, il nous faut montrer, de toute façon, l'ambiguïté de la nouvelle messe qui s'écarte dangereusement de la foi comme l'ont dit les cardinaux Bacci et Ottaviani.

Nous ne pouvons pas accepter n'importe quelles conditions. En réalité, nous n'avons pas besoin de cet indult pour avoir le droit de célébrer la messe tridentine. Nous avons la bulle Quo primum de saint Pie V qui n'a pas été abolie.

Malgré tout, il y a un mouvement de recul de Rome qui reconnaît l'impossibilité d'interdire la messe de toujours. Et l'opinion l'a fort bien compris. Ce qui peut changer beaucoup de choses.

Déclaration de Louis Salleron 17 octobre 1984

Comme on le sait, Louis Salleron est l'auteur du principal ouvrage sur «La nouvelle messe» (deuxième édition, un volume de 256 pages aux Nouvelles Editions Latines).

Dans notre livre La nouvelle messe nous écrivions en conclusion :

«Nous n'assistons ni à I'éclosion d'une messe nouvelle, ni à la fin d'une messe ancienne. Nous assistons à l'éclipse de la messe éternelle. «Les éclipses ne durent qu'un temps».

A la vérité, connaissant les lenteurs de l'Eglise, nous pensions que l'éclipse durerait longtemps. Or elle est terminée.

Certes on nous explique qu'il faudra des tas de conditions pour obtenir le droit de célébrer la messe selon le rite de saint Pie V. Mais la percée est faite. Il ne sera plus possible de revenir en arrière.

Bien sûr nos évêques vont tout faire pour mettre des bâtons dans les roues. Mais encore une fois ils ne pourront aller contre la décision romaine.

Rappelons une fois de plus que la messe de saint Pie V ne pouvait pas être légalement interdite. Parce que la Tradition est la loi première de l'Eglise et que la messe de saint Pie V ne fait que consacrer une tradition multiséculaire.

La nouvelle messe était-elle donc hérétique ? Non, puisqu'elle avait été régulièrement promulguée et conservait l'essentiel du sacrifice eucharistique. Mais elle était mauvaise parce qu'elle atténuait, estompait le sacrifice au bénéfice du repas (la cène) et de la valeur de l'assemblée des fidèles. L'Institutio generalis avait été si loin dans ce sens qu'il fallut en corriger le texte où, en certains passages, l'hérésie même était patente.

Il va y avoir des luttes, contestations, chinoiseries, mais c'est trop tard. La messe authentique est restaurée.

Communiqué de l'abbé Schmidberger 18 octobre 1984

L'abbé Franz Schmidberger est le successeur de Mgr Marcel Lefebvre au poste de supérieur général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X. Il a publié le 18 octobre le communiqué suivant (texte intégral) :

Par son décret du 3 octobre 1984 la congrégation romaine pour le culte divin a de nouveau permis la célébration publique de la messe de toujours, à certaines conditions.

Quiconque lira ce décret comprendra que les conditions qui y sont formulées sont pour nous inacceptables et que, de ce fait, son contenu n'est que difficilement applicable à notre œuvre. Malgré tout, nous nous réjouissons de cette décision du saint-siège car d'une part elle est un premier pas vers un changement notable dans la voie désastreuse où l'Eglise avait été engagée et, d'autre part, les prêtres et les fidèles qui, jusqu'à présent, étaient liés à la nouvelle messe par une fausse conception de l'obéissance, peuvent maintenant revenir sans trop de difficultés au saint sacrifice de la messe de toujours. Nous voyons dans ces deux faits un grand profit pour la vie de l'Eglise et le salut des âmes.

Nous demandons instamment à nos fidèles de continuer à défendre courageusement la cause de Dieu et de rester, sous la protection de la Très Sainte Vierge, inébranlablement fidèles à notre œuvre afin que l'Eglise puisse enfin retrouver sa vraie identité.

EDITORIAL

La messe revient

par Jean Madiran

La messe a survécu. Ils ne l'ont pas tuée. Ils n'ont pas pu. La messe catholique, interdite par l'Eglise catholique depuis quinze ans, la MESSE CATHOLIQUE TRADITIONNELLE, LATINE ET GRÉGORIENNE SELON LE MISSEL ROMAIN DE SAINT PIE V est toujours célébrée à travers le monde, et elle l'est de plus en plus. Le saint-siège avait déclaré en 1981 que son sort était désormais réglé, qu'elle avait disparu, qu'elle était oubliée. Deux mille évêques avaient été invités à participer à cette tromperie, à la construire eux-mêmes, à la contresigner. L'enquête qui leur avait été impérée en juin 1980, on ne savait pas sur le moment, nous ne savions pas, Saventhem lui-même ne savait pas quelle était son arrière-pensée, et si elle nous était secrètement favorable ou défavorable. Mais les évêques, informés de première main, surent très vite ce que la bureaucratie vaticane attendait d'eux, et la plupart le firent docilement. On leur demandait de s'informer comme s'ils recherchaient partout des prêtres et des fidèles attachés à la messe traditionnelle, mais en tout cas de n'en trouver aucun. Ils n'en trouvèrent effectivement aucun, en évitant systématiquement d'interroger les personnalités et les groupes bien connus qui militaient publiquement pour le rite traditionnel, pour le latin et pour le grégorien. Ceux d'entre eux qui prirent l'initiative de se faire entendre de leur évêque, leur évêque refusa de les écouter. Les paisibles fidèles et les dirigeants circonspects de l'Una Voce française - circonspects et paisibles mais d'une piété indomptable - furent éconduits comme des trublions : ils l'ont raconté dans leur bulletin, et l'histoire saura retrouver leur témoignage, pour la honte des évêques truqueurs. La vérité truquée fut proclamée à Rome par la congrégation du culte tripotant aveu gourmandise les résultats de son enquête : no prob, plus de problème, la messe traditionnelle, ce n'est même plus la peine d'en parler.

Ils avaient tout fait depuis 1969 (et même avant) : raconté que c'était la messe des vieux, la messe des nantis, la messe des nostalgiques et des esthètes, ce fut une immense campagne de diffamation et de démoralisation qui trouvait son origine dans les consignes du stratège Hannibal Bugnini. Celui-ci s'était même vanté d'avoir, avec la nouvelle messe, réalisé un chef-d'œuvre d'une splendeur sans précédent, qui écrasait la pauvre liturgie millénaire issue des âges obscurs. Toutes ces sottises avaient leur chance en une époque qui les aime d'un amour de prédilection et par connaturalité ; et toutes ces sottises avaient pour elles, en outre, la totalité des plus puissants media obsessionnels, audio-visuels, télévisés ou imprimés, magazines et journaux. Cela aurait pu leur suffire. Dès le début, ils avaient estimé que la persuasion par diffamation ne suffisait pas. Ils pouvaient compter pourtant sur l'intimidation sociologique, sur la psychose de masse, sur la mort des vieillards nostalgiques et sur la montée d'une jeunesse sauvage, qui n'était plus instruite de rien, une jeunesse mentalement désarmée, offerte et vendue comme esclave aux princes de ce monde.

Mais non. Ils y ont ajouté l'INTERDICTION. Ayant tout fait, et avec quelle efficacité temporelle, pour que la messe traditionnelle tombe en désuétude, pour qu'elle soit méprisée et pour qu'elle devienne un grimoire incompréhensible aux générations nouvelles, ils ont en outre, dès le premier jour de la messe nouvelle, décidé d'INTERDIRE l'ancienne. Je me suis longtemps interrogé sur cette mesure qui, compte tenu de ce qu'ils pensaient, aurait forcément dû leur paraître superfétatoire. j'en suis venu à comprendre que l'INTERDICTION, ce n'était point par tactique, ce n'était pas en fonction d'une stratégie ou d'une pédagogie ; c'était gratuit, c'était pour se faire plaisir : c'était par cruauté, c'était par haine. C'était la signature du Diable.

* * *

Le plus condamnable en effet, le plus honteux dans toute l'affaire, c'est bien qu'ils aient osé interdire le rite millénaire de la messe catholique.

Et c'est ce qui subsiste de plus honteux, de plus condamnable dans la lettre-circulaire du saint-siège en date du 3 octobre 1984.

La messe traditionnelle n'est plus tout à fait interdite, il y a un progrès, ou plutôt un léger moindre mal ; elle demeure cependant une messe suspecte soumise à autorisation préalable, c'est un scandale énorme et insensé.

Je le dis aujourd'hui comme je le dis depuis quinze ans et comme je l'ai écrit en 1972 au pape Paul VI : aucun pontife ne peut valablement frapper d'interdiction le rite millénaire de l'Eglise catholique.

S'il me fallait ne dire qu'une seule chose sur cet immense sujet de la guerre révolutionnaire à l'intérieur de l'Eglise et de sa liturgie, c'est celle-là que je dirais.

* * *

Est-ce une consolation latérale ou un motif de consternation supplémentaire ? La circulaire du saint-siège, dans la forme et dans le fond, est pleine de malfaçons, de méprises et de contradictions.

La méprise ou la malfaçon la plus criante, mais non la seule, est de faire référence à l'enquête liturgique de 1980 en des termes radicalement inexacts, comme si l'on avait oublié quelles questions au juste elle posait aux évêques.

La contradiction la plus violente est entre le dispositif, quasiment d'excommunication, institué à l'encontre des traditionalistes, et les sentiments attribués par deux fois au pape Jean-Paul II. A la fin de son texte, la circulaire du saint-siège se donne comme le signe de la sollicitude du souverain pontife pour tous ses fils ; au début, elle précise même que le pape a voulu se montrer favorable aux groupes de prêtres et de fidèles qui demeurent attachés au rite traditionnel : ce qui a fait dire à La Croix du 17 octobre que c'était une «main tendue aux chrétiens traditionalistes». Et simultanément, par la première des cinq conditions édictées, il est ordonné de n'avoir nullam partem avec eux. NULLAM PARTEM ! Toutes les traductions disent : «rien de commun», «rien à voir» ou «aucune connivence» avec ceux qui doutent de la messe de Paul VI. J'ai opté, on l'a vu, pour une traduction un peu moins écrasante : les tenir à l'écart, ou s'en tenir à l'écart. De toutes façons, des parias. Ce n'est pas ce qu'on appelle habituellement une «main tendue».

Il faut bien voir, au demeurant, qui est ainsi écarté du bénéfice d'une autorisation éventuelle. Pas seulement ceux qui contestent la messe de Paul VI : mais jusqu'à ceux qui doutent. Et pas seulement ceux qui doutent : mais jusqu'à ceux qui pourraient avoir quelque liaison ou quelque rapport avec eux. Cela peut aller fort loin. Exemple : Marcel Clément s'efforce depuis vingt ans de multiplier les preuves publiques qu'il n'a plus aucune «connivence», qu'il n'a désormais «rien à voir» avec moi, nullam partem. Mais il n'est pas assuré d'avoir convaincu tout son monde, dans le monde ecclésiastique où il aspire à un petit fauteuil et où il n'a pas encore gagné (en vingt ans) le moindre strapontin. Il demeure suspect. Qu'il s'en aille maintenant demander (hypothèse gratuite) l'autorisation de la messe traditionnelle, même à lui on pourrait la refuser, en faisant jouer la condition draconienne numéro 1.

La seconde condition draconienne, prise au pied de la lettre, édicte que la célébration de la messe traditionnelle sera strictement réservée aux fidèles mentionnés sur la liste nominative de la demande d'autorisation. La première condition supposait une inquisition incessante des sentiments intimes, la seconde exige des contrôles d'identité permanents. Par quoi ces deux conditions sont plus absurdes encore que draconiennes, plus inapplicables que cruelles. En outre elles sont vicieuses : elles ne consentent en somme l'autorisation qu'à ceux qui n'ont aucun doute sur la messe de Paul VI ni aucune connivence avec les douteurs. Mais ceux qui n'ont aucun doute n'ont aucune raison pressante de demander la messe traditionnelle.

— Si vous n'avez aucun doute, pourquoi donc iriez-vous abandonner notre superbe messe nouvelle ? Ce n'est pas raisonnable. Ou alors vous nous cachez quelque chose. Vous doutez en secret. Vous avez sans doute un peu trop écouté ceux avec qui vous ne devriez avoir. NULLAM PARTEM. Ou bien vous n'êtes pas logique, ou bien vous n'êtes pas sincère...

Car il faut bien un motif à la demande.

Le motif acceptable sera d'être un vieillard nostalgique qui voudrait retrouver les souvenirs de sa lointaine enfance : on lui répondra que la messe n'est pas faite pour cela, mais qu'enfin, par grande condescendance, on pourra le lui permettre deux ou trois fois par an, dans quelque oratoire isolé, avec un vieux prêtre bien malade dont on n'attend plus rien.

Le schéma est soigneusement bouclé.

* * *

D'un côté, les seuls admis à demander l'autorisation sont ceux qui n'ont aucun motif de le faire : en tout cas aucun motif religieux.

De l'autre côté, ceux qui reçoivent la faculté de donner l'autorisation sont ceux qui n'ont, pour la plupart, aucune intention de la donner : les évêques de la nouvelle messe et du nouveau catéchisme.

* * *

En effet, la circulaire du saint-siège n'est pas un décret autorisant, fût-ce sous conditions, la messe traditionnelle. Elle décrète autre chose. Elle concède aux évêques la faculté de l'autoriser ou de ne pas l'autoriser, selon leur bon plaisir pastoral. Or ils ont dans leur grande majorité manifesté depuis quinze ans une hostilité hargneuse à la messe de leur ordination. Ils ont, par la parole, par l'exemple, par toutes sortes de mesures et sanctions administratives, montré qu'ils tenaient la messe nouvelle de Bugnini et de Paul VI en beaucoup plus haute estime. Ils n'ont aucune envie de se déjuger et d'autoriser une messe qu'ils ont déclarée dépassée, désuète, périmée, obstacle à l'évangélisation et masquant ce qu'ils nomment «l'esprit de l'Evangile». Aux cinq conditions universellement obligatoires édictées par la circulaire du saint-siège, ils ont au demeurant la faculté d'ajouter des conditions de leur cru, comme s'est empressé de le faire dès le 16 octobre Mgr Mamie, l'écœurant évêque de Fribourg, Lausanne et Genève.

Bref, la circulaire romaine donne à ceux qui ont voulu supprimer la messe traditionnelle la faculté d'en autoriser la célébration à ceux qui font la preuve qu'ils n'ont aucun motif de la désirer.

* * *

Si ce n'est pas une excommunication des catholiques traditionnels, c'est à tout le moins un apartheid : NULLAM PARTEM. Cette exclusion qui vient par l'Eglise ne vient pas de l'Eglise. Son dispositif révèle son identité. Elle est ce pluralisme ouvert à toutes les consciences, à toutes les opinions, à toutes les religions, sauf au dogme catholique et à la tradition catholique. Une telle exclusion ne vient pas de l'Eglise mais du monde : du monde maçonnique, libéral-socialiste, rêvant d'union de la gauche avec le communisme. Mais une telle exclusion vient par l'Eglise, parce que l'Eglise est elle-même pénétrée, noyautée, occupée.

Dans le même document du saint-siège, donc, dans cette même circulaire du 3 octobre coexistent d'une part un tel renforcement des mesures administratives de discrimination et de persécution, d'autre part l'énoncé d'une paternelle bienveillance personnelle du souverain pontife, qui déclare vouloir se manifester par une concession concrète.

C'est un autre «cas majeur et particulièrement manifeste» de ce que le P. Joseph de Sainte-Marie nomme «la division intérieure du Magistère»[9].

* * *

Concernant la nouvelle messe de Paul VI en elle-même, dont la circulaire du saint-siège cherche à nous imposer de proclamer sine ambiguitate etiam publice, sans ambiguïté et même publiquement, que nous n'avons nullam partem avec ceux qui «mettent en doute» (in dubium vocant) sa valeur juridique et doctrinale, nous répondrons d'abord à cette invitation par une observation préalable

— Heureusement qu'il y eut dès 1969 des théologiens et des cardinaux pour mettre en doute la rectitude de cette messe nouvelle. Cette contestation provoqua quelques corrections indispensables, notamment celle de l'article 7 de l'Institutio generalis, et ainsi «cela évita», comme dit le P. Joseph de Sainte-Marie, «le scandale d'un missel romain introduit par une définition hérétique de la messe». J'ajoute que cette messe nouvelle était le plus grand bouleversement jamais subi d'un seul coup par la liturgie de l'Eglise, et que cette «réforme» d'une ampleur sans précédent était approuvée, y compris la «définition hérétique», par Paul VI dans sa constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969. Les nouveaux textes, y compris toujours la définition hérétique, étaient publiés sous la signature de Paul VI. J'ai fait remarquer déjà plusieurs fois et, puisque la remarque n'a été ni entendue ni contestée, je répète aujourd'hui à la cantonade que ce plus grand bouleversement jamais subi par la messe, Paul VI, DANS L'HYPOTHÈSE LA PLUS BIENVEILLANTE, l'avait donc signé sans lire, ou bien avait lu sans comprendre. Il n'y a donc aucunement lieu de mettre tant de hauteur à vouloir nous écraser sous l'argument qu'il s'agit de «la messe promulguée par Paul VI». L'argument n'a rien d'écrasant, quand il s'agit de la promulgation par un tel pontife dans de telles conditions. Quand il est établi, comme c'est le cas, que le souverain pontife a forcément signé sans lire ou bien lu sans comprendre une «définition hérétique de la messe», il ne suffit pas de corriger cette définition. Il faut prendre acte de l'anomalie et ne pas fermer les yeux sur les conséquences. C'est tout le nouvel Ordo, c'est toute la messe nouvelle qu'il avait en 1969 signé sans lire ou lu sans comprendre. Dans l'hypothèse la plus bienveillante. N'invoquez donc plus, de grâce, l'«autorité» de Paul VI. Vous finiriez par faire davantage que nous faire hausser les épaules.

* * *

Après cette observation préalable, mais non point subsidiaire, sur la dénommée «messe promulguée par Paul VI», il n'est pas inutile de préciser en outre que ce n'est point d'abord l'orthodoxie ou la légitimité de son texte que nous mettons en doute, c'est son existence : son existence en tant que rite défini, stable, identique à lui-même à travers l'espace et le temps.

Dès son premier refus de cette messe nouvelle, le P. Calmel déclarait :

«Je refuse l'Ordo Missae de Paul VI parce que, en réalité, cet Ordo Missae n'existe pas. Ce qui existe, c'est une révolution liturgique universelle et permanente, prise à son compte ou voulue par le pape actuel, et qui revêt pour le quart d'heure le masque de l'Ordo Missae du 3 avril 1969».

Le P. Calmel avait vu juste dès 1969. Il ajoutait :

«Commencée par le pape, puis abandonnée par lui aux Eglises nationales, la réforme révolutionnaire de la messe ira son train d'enfer».

Il n'y a pas, dans les faits, de messe de Paul VI ayant des contours définis et respectés. Il y a eu tout de suite, sous ce nom, ce que Louis Salleron a désigné comme «la messe évolutive».

Le saint-siège lui-même n'arrive plus aujourd'hui à savoir exactement de quelle messe il parle quand il parle de la messe «promulguée par Paul VI». La circulaire romaine du 3 octobre mentionne la légitimité et l'orthodoxie du missel romain «promulgué par Paul VI en 1970». Mais c'est le 3 avril 1969 que Paul VI, par sa constitution apostolique Missale romanum, a déclaré promulguer sa nouvelle messe. C'est le 12 novembre 1969 que l'épiscopat français a prétendu la rendre obligatoire : il ne pouvait rendre obligatoire en 1969 une messe qui ne serait promulguée qu'en 1970. Le brouillard juridique est complet. D'avril 1969 à mars 1970, la nouvelle messe a connu au moins trois éditions vaticanes distinctes, avec des versions différentes, et deux définitions successives de la messe elle-même, par les deux versions du fameux article 7 de cette Institutio generalis qui énonçait les intentions et la doctrine de la messe nouvelle. A s'en tenir aux textes officiels, l'évolution continuelle et la «créativité» incessante y sont déjà visibles, comme le montrent (entre vingt autres exemples) les nouveaux canons suisses, introduits en 1980 dans les diocèses d'Italie, et adoptés en 1983 dans la nouvelle édition officielle du missel romain en langue italienne. Les textes officiels bougent lentement, mais ils bougent : dans le sens d'un effacement progressif du caractère sacrificiel de la messe, d'une accentuation rampante du rôle de l'assemblée dont le prêtre n'est plus que le président. Quant aux faits, c'est-à-dire les célébrations telles qu'elles ont lieu en réalité, la révolution liturgique s'y donne libre cours. Il ne s'agit pas d'excès isolés. Il s'agit de manifestations exemplaires, voulues comme telles, ayant en effet valeur et fonction d'exemple, la messe télévisée, les cérémonies de cirque et de music-hall organisées en présence du pape, sans que personne veuille ou puisse rétablir l'«ordre de la messe», l'ordo missae, fût-ce celui de 1970, qui est de plus en plus méconnu, méprisé, tenu pour inexistant. C'est bien compréhensible. La révolution liturgique s'était engagée contre la liturgie figée des anciens rites ; elle ne respecte pas davantage le fixisme des nouveaux. Il n'y a pas une messe nouvelle : il y a les stades successifs et mouvants d'une décomposition de la messe catholique.

On avait voulu faire croire au peuple chrétien et au clergé catholique que la messe traditionnelle était abolie, qu'elle était interdite, qu'elle était morte. Cette imposture contre laquelle nous bataillons depuis quinze ans avait une sorte de cohérence globale, une brutale simplicité, qui s'imposait aux prêtres et aux fidèles peu instruits ou mal informés. Il va être beaucoup plus difficile de faire croire que la messe n'est qu'à moitié abolie, frappée d'une interdiction à éclipses, et qu'elle est tantôt morte et tantôt non.

A la nouvelle, lâchée sur les antennes à partir du 15 octobre, d'une circulaire datée du 3, l'opinion mondiale a compris que l'interdiction était levée et que la messe traditionnelle était à nouveau d'actualité : ni désuète ni enterrée. On avait voulu la supprimer, on y avait échoué. L'opinion ne s'est pas trompée, elle a seulement anticipé sur la dynamique de la messe retrouvée, sans entendre ni vouloir entendre rien aux chinoiseries ésotériques que l'on prétend opposer encore à une libre célébration. La messe a survécu, la messe revient.

Jean Madiran.

Les vandales et la messe

par Alexis Curvers

Pages de Journal : dimanche 27 mai 84. — Je réentends à la radio la Messe de Notre-Dame, de Guillaume de Machault (XIVè siècle). Joie indicible. Emotion profonde où le sentiment du beau s'unit à la piété religieuse, l'un et l'autre vibrant ensemble dans l'âme de l'auditeur, comme bien certainement ils ne faisaient qu'un dans l'inspiration toute chrétienne de ce musicien de génie.

J'avoue m'être laissé surprendre par l'éclatante confirmation d'une vérité dont pourtant je n'ai jamais douté, mais que déjà la triste expérience de ces dernières années tendrait à effacer de nos mémoires : c'est que cette messe d'il y a cinq siècles était exactement la même que l'Eglise a continué de célébrer et qu'elle célébrait encore dans le monde entier jusque sous Jean XXIII. Mensongèrement appelée tridentine par ceux qui l'ont enfin détruite, cette messe était simplement la messe de toujours, bien antérieure donc à saint Pie V qui l'a seulement codifiée au XVIè siècle sans y rien ajouter ni changer. Le texte latin des prières, la mélodie grégorienne que Guillaume de Machault y a conservée sont identiques à ce que nous-mêmes entendions, récitions et chantions dans toutes les églises il n'y a guère plus de vingt ans. Cette tradition séculaire et presque immémoriale, fidèlement maintenue, au besoin quelquefois restaurée, il nous était réservé de la voir fouler aux pieds et brusquement mettre au rebut par ceux-là mêmes qui en avaient la garde.

Certes, Guillaume de Machault et nombre de grands musiciens dans les siècles suivants ont apporté à la liturgie primitive l'enrichissement accru de toutes les splendeurs de la polyphonie. Mais tous en ont respecté l'esprit et le caractère sacré. Aucun n'a modifié les paroles rituelles, et tous les ont musicalement traitées en harmonie avec le grégorien originel. Cela m'a vivement frappé : les incipit de Guillaume de Machault ne diffèrent pas d'avec ceux du Kyrie, du Gloria, du Sanctus ou de l'Agnus Dei tels que les prêtres les entonnaient du temps que je servais la messe. Les variations polyphoniques permises aux choristes n'intervenaient que dans le développement du thème grégorien initial.

Une rage d'indignation me monte au cœur et jusqu'aux lèvres, tandis que se réveille en moi le souvenir quasi extatique de ces merveilles qu'on croyait immortelles et dont nous voici frustrés : merveilles de la religion et de l'art coalisés dans un même élan de spiritualité pure. Il paraît, que le mot salopard, d'origine militaire, est entré dans l'usage vers 1924 ou 25. C'était prématuré. On aurait dû attendre à l'inventer dans les années 60. Il aurait trouvé à s'appliquer parfaitement, dans sa pleine acception, aux vandales qui, mitrés ou non, se sont alors employés à la ruine du sublime édifice qu'était la liturgie catholique. L'entreprise fut si habilement concertée, si brutalement conduite que le succès n'a pas tardé : la ruine est désormais irréparable, et ceux qui s'obstinent à la maudire n'ont plus que leurs yeux pour pleurer silencieusement sur les trésors perdus, presque déjà tombés dans l'oubli.

Les produits de remplacement que les vandales ont à nous offrir en échange se peuvent assez juger par eux-mêmes pour qu'il soit inutile de les commenter à nouveau : quant au texte, pseudo-traductions en jargon vernaculaire, beaucoup plus inintelligibles que le latin n'a jamais été pour personne (même pour ceux des fidèles qui n'avaient pas appris le latin, mais à qui la fréquentation des offices le rendait vite familier et facile) ; quant à la musique, niaises et fades gélinotteries au-dessous du médiocre, dont les auteurs ont improvisé au pied levé plus qu'il ne leur en fallait pour s'égaler aux créateurs d'une tradition musicale abolie par leurs soins, après que l'eut modestement illustrée et pieusement servie, au cours des siècles, une lignée qui s'étend de saint Grégoire le Grand à Mozart, à Schubert et au-delà. Nos fabricants de musiquettes, dans leurs froides églises dégarnies, s'entendent bien mieux, n'est-ce pas ? à faire battre les cœurs...

Il est vrai que, bannis des églises, le latin et le grégorien prennent leur revanche avec une singulière vitalité dans les salles de concert, sur les ondes et sur les écrans, voire dans certaines églises, pourvu que ce soit en dehors des offices et de l'ancien rituel. Une fois laïcisés pour l'usage profane, latin et grégorien sont plus à la mode que jamais, tout de même que les objets et ornements du culte font fureur, pour leur effet décoratif, dans le mobilier des mécréants, (Phénomène classique : comme hier les acquéreurs de «biens nationaux», les antiquaires et brocanteurs d'aujourd'hui ont été les premiers à tirer profit du sacrilège légalisé). Il n'est d'ailleurs pas impossible que ces choses, même ainsi désacralisées, mais demeurant imprégnées de la foi dont elles furent les témoins ou les instruments, soient mystérieusement destinées à redevenir, un jour ou l'autre, porteuses de message et véhicules de grâce divine, conformément à ce qui fut leur vocation trahie. «Les pierres crieront», a dit le Seigneur (Luc, XIX, 40). Sur l'un des murs de l'abbaye désaffectée de Pontigny, j'ai vu la belle inscription latine que Paul Desjardins avait composée pour commémorer l'histoire de cet ancien monastère : sa fondation, ses fastes et son passé religieux ; la Révolution qui n'en avait laissé que des bâtiments en ruine (épargnant toutefois l'admirable église cistercienne) ; enfin la restauration partielle que Desjardins lui-même en avait entreprise et menée à bien pour héberger les hôtes des célèbres décades. Ces rencontres et confabulations d'intellectuels n'avaient certes rien de particulièrement catholique. Pourtant, à la dernière ligne de l'inscription, une petite phrase d'une netteté lapidaire avertissait le visiteur que le présent ne voulait pas être infidèle au passé Nec pristina periit pietas. Et le plus fort est que c'était vrai, en un sens. Les pierres mêmes le criaient - dans ce reste d'abbaye réduit à l'état laïque, mais sans que la piété d'autrefois y soit tout à fait morte.

C'est ce que je me redisais en écoutant la messe de Guillaume de Machault. Les interprètes et exécutants, les éditeurs et réalisateurs de l'enregistrement, les programmateurs et techniciens de l'émission radiophonique n'étaient probablement chrétiens qu'en petit nombre, ou ne l'étaient qu'à un degré médiocre. Ils avaient eu en vue la mise en valeur de l'ouvrage, la qualité artistique de leurs travaux respectifs, la délectation de l'auditeur et le succès du disque plutôt que la gloire de Dieu. Tous cependant avaient consacré à l'œuvre commune le meilleur de leurs talents et de leur conscience professionnelle ; ce qui n'est pas la moins bonne façon de servir Dieu, fût-ce même sans le savoir. Le résultat était là pour m'en fournir la preuve : la sereine fulguration de cette liturgie, où s'exprime toute pure la foi d'un génie chrétien du XIVè siècle, agissait encore assez puissamment pour transporter, illuminer et pénétrer l'âme d'un piètre chrétien du XXè, malgré l'obstacle des dégradations et des turpitudes que le malheur des temps n'a cessé d'accumuler entre l'un et l'autre. Il n'y a d'ailleurs point de bonne musique, de quelque époque et nature qu'elle soit, où ne résonne l'écho de la voix de Dieu. Comme il n'est aucune forme de beauté véritable où ne se rende sensible au moins un reflet de son inconcevable Présence.

Le communiste Théodorakis serait bien étonné d'apprendre qu'il m'a une fois ému jusqu'aux larmes, certain soir où, dans un café grec, une de ses chansons a soudain retenti en moi comme une prière, que j'aurais peu s'en faut répétée à genoux. Cette chanson a pour titre et pour refrain Doxa tô Theô (gloire à Dieu) - oraison jaculatoire qui, dans le contexte révolutionnaire des couplets, se colorait d'une ironie volontairement blasphématoire. Or elle produisait un effet précisément contraire. Loin qu'elle se pliât aux intentions impies de l'auteur, celui-ci n'avait réussi qu'à y confesser, par la mélodie, le souvenir et la nostalgie d'un christianisme ancestral. Conformément au sens premier des mots, c'était vraiment la gloire de Dieu qu'il chantait malgré lui, sur le mode quasi byzantin d'un alléluia rituel et candide. La parodie sacrilège se reconvertissait en doxologie, et son accent le plus sincère était celui de l'adoration. L'art est meilleur conducteur du divin en veilleuse que de l'humain en révolte. C'est que la mèche qui fume encore est longue à s'éteindre. Elle jette parfois d'étranges lueurs, furtives mais assez vives pour traverser l'opacité même de l'athéisme marxiste.

* * *

La messe de Guillaume de Machault me parvenait à travers une ombre assurément moins épaisse. Elle ressuscitait dans tout l'éclat d'une jeunesse qu'elle ne reniait pas, et n'accusait ni dépaysement ni fatigue au sortir du tombeau où la musique du Moyen âge n'était qu'endormie depuis quelques siècles. Grand est le mérite de ceux qui ont soulevé la pierre et frayé passage au miracle. L'un des tout premiers, je crois, fut l'Anglais Safford Cape. Fixé en Belgique, il y forma dès les années 30 l'admirable groupe Pro Musica Antiqua, auquel nous dûmes la révélation de bien des trésors inouïs : chants religieux et profanes, motets et madrigaux, psaumes et danses populaires, témoins revivifiés de la science, de l'art, en un mot de l'âme d'un passé merveilleux. Depuis cinquante ans, des ensembles de chanteurs et d'instrumentistes, animés du même zèle pour la restauration de la grande tradition musicale, n'ont cessé de se multiplier, de rivaliser et de progresser dans tous les pays d'Europe.

Ne nous y trompons pas cependant. Le soin, le respect, l'enthousiasme, le talent des restaurateurs, quelque enchantement qu'ils nous dispensent, ne suppléent pas au tarissement de ce qui fut la source et la substance de cette tradition, à savoir la foi dont elle s'est jadis inspirée et nourrie. Aucun concert ne nous restituera jamais l'essentiel de ce que la célébration du culte, des offices et des fêtes offrait quotidiennement au peuple fidèle.

L'essentiel, c'est-à-dire le sens profond de la. musique sacrée, tant grégorienne que polyphonique. Même exécutée avec toute la perfection possible, comment comprendre cette musique sans bien connaître les paroles et les rites dont elle n'était que l'ornement ? Comment saisir, même avec toute l'attention dont est capable une oreille profane, le mystère où cette musique a puisé sa raison d'être et l'aliment de sa fécondité ? Nous ne ressentons que superficiellement la beauté d'une chanson dont le sujet nous fait défaut.

C'est ce qui arrive le plus souvent dans ces émissions, d'ailleurs généralement remarquables, que la radio consacre à l'ancienne musique religieuse. La pleine signification de celle-ci échappe nécessairement à ceux des auditeurs qui, de plus en plus nombreux de nos jours, ignorent tout de la liturgie et n'entendent pas le latin. On ne propose à leur admiration que des opéras qui n'auraient pas de livret, des chants d'amour qui ne s'adresseraient à personne, des hymnes qui n'acclameraient que des gloires anonymes.

Abondants en explications et détails techniques habituellement fastidieux, les musicologues de service ne prennent même plus la peine de traduire du latin les titres, encore moins les textes des œuvres qu'ils présentent. Ils annoncent un Stabat mater, un Tantum ergo, un Dies irae, un Magnificat sans indiquer seulement l'intention ni le contenu de ces prières qui n'ont pas laissé de traces dans les nouveaux missels. Les commentateurs savent-ils eux-mêmes de quoi ils parlent ? Affectée ou non, leur ignorance est contagieuse. Ils en sont les propagateurs, si le clergé en est le premier responsable. Elle frustre les amateurs de musique autant qu'elle déçoit les derniers fidèles de ce que fut l'Eglise.

Dans l'ordinaire de la messe, par exemple, tous les musiciens ont marqué d'un accent de tendresse particulière les passages où intervient en personne le Christ vrai Dieu et vrai homme : ainsi le triple Christe du Kyrié-éléison (d'ailleurs inexécutable depuis que Paul VI a massacré le divin symbolisme des trois invocations qu'il a réduites à deux) ; dans le Credo, les mots : Et incarnatus est de Spiritu Sancto ex Maria Virgine, et homo factus est; après le triomphant Sanctus, le suave, l'accueillant Benedictus qui venit in nomine Domini, aussi doux qu'aurait dû être le baiser que Jésus se plaignit de n'avoir pas reçu de Simon le pharisien ; enfin la triple supplication à l'Agnus Dei qui tollis peccata mundi... L'émotion dont la voix de tous les compositeurs a tremblé, chaque fois qu'ils ont eu à interpréter ces paroles d'amour, nous gagne au plus intime du cœur. Mais elle perd le plus précieux de sa valeur à ne se transmettre que par la musique seule, au mépris du sens des paroles. On assiste à un récital, sans participer à la communion spirituelle qui en était le principal objet.

C'est le moment de relire un article de Proust (La mort des cathédrales, une conséquence du projet Briand sur la Séparation), heureusement recueilli dans le volume de ses Chroniques édité par Gallimard en 1927, mais qui avait paru dans le Figaro du 16 août 1904, - il y a donc tout juste quatre-vingts ans.

«Supposez pour un instant, disait Proust, que le catholicisme soit éteint depuis des siècles, que les traditions de son culte soient perdues. Seules, monuments devenus inintelligibles, mais restés admirables, d'une croyance oubliée, subsistent les cathédrales, muettes et désaffectées. Supposez ensuite qu'un jour, des savants, à l'aide de documents, arrivent à reconstituer les cérémonies qu'on y célébrait autrefois, pour lesquelles elles avaient été construites, qui étaient proprement leur signification et leur vie, et sans lesquelles elles n'étaient plus qu'une lettre morte ; et supposez qu'alors des artistes, séduits par le rêve de rendre momentanément la vie à ces grands vaisseaux qui s'étaient tus, veuillent en refaire pour une heure le théâtre du drame mystérieux qui s'y déroulait au milieu des chants et des parfums, entreprennent, en un mot, pour la messe et les cathédrales, ce que les félibres ont réalisé pour le théâtre d'Orange et les tragédies antiques.

Nous n'en sommes pas tout à fait là, Dieu merci. Il est encore possible, quoique souvent difficultueux, d'accéder à quelques vraies églises et chapelles en activité, où de vrais prêtres, sur de vrais autels, continuent à dire, à chanter la vraie messe. j'appelle «vrais prêtres» ceux qui croient à la Présence réelle, car de cela, tout dépend, et qui agissent en conséquence. Les autres, qui sont le grand nombre, s'emploient à donner aux suppositions de Proust les meilleures chances de se réaliser beaucoup plus vite que celui-ci ne pouvait le prévoir en 1904 : il imaginait dans un lointain avenir le catholicisme «éteint depuis des siècles» ; nous le voyons en bonne voie d'extinction depuis à peine un quart de siècle, et l'extinction est déjà fort avancée.

Mais la conjecture que Proust fondait sur le futur prestige des cathédrales abandonnées, et sur l'éventuelle initiative d'une postérité d'artistes «séduits par le rêve de rendre momentanément la vie» à l'architecture sacrée, cette conjecture n'en est plus une pour la musique sacrée : c'est un fait bel et bien accompli. La musique sacrée est morte avec le latin d'église dont elle était l'épouse ; elle est morte avec la liturgie dont elle était la translation sonore, comme l'architecture en était la translation en pierre.

Proust, hélas meilleur prophète qu'il ne s'en doutait, n'a pourtant pas prévu le plus incroyable : que la désaffectation des cathédrales ne résulterait pas du projet Briand, mais d'une décision spontanée des gens d'Eglise eux-mêmes. Eux seuls avaient en poche le moyen le plus rapide et le plus sûr d'arriver à cette fin. Le moyen était simple comme bonjour : il suffirait de répudier le latin comme langue universelle du culte. Il s'ensuivrait inévitablement que la musique adaptée à cette langue tomberait avec elle en désuétude, entraînant du même coup la ruine de la liturgie dont elles étaient les auxiliaires privilégiés, et par conséquent aussi la dégradation de l'architecture catholique imposée par cette liturgie et réglée tout entière sur elle. On aura beau alors étudier et goûter comme des chefs-d'œuvre d'art profane les monuments survivants de cette architecture et de cette musique organiquement sacrées, l'âme et le secret en seront perdus sans retour, aussi impénétrables que le sont devenues pour nous les réalités qui habitèrent et suscitèrent jadis les pyramides d'Egypte ou les temples grecs.

Il est vrai que nos gouvernants férus de «culture» se piquent volontiers de préserver, voire de réanimer les derniers vestiges de ces monuments dont ils semblent avoir plutôt le respect que l'intelligence. L'entreprise est favorisée par les immenses progrès de la technique moderne et de l'industrie touristique, lesquelles contribuent puissamment à réparer autant qu'à tuer tout ce qu'elles touchent. Anticipant sur son époque et sur la nôtre, Proust ne péchait donc pas contre la vraisemblance en promettant l'appui des pouvoirs publics aux artistes qui peut-être, dans quelques siècles, organiseront dans une cathédrale désertée un spectacle «son et lumière» qui reproduise aussi exactement que possible une ancienne cérémonie catholique. A moins qu'il n'y ait trop d'optimisme à prêter aux artistes et aux gouvernements de demain et d'après-demain les mêmes dispositions dont quelques-uns de leurs prédécesseurs auront donné le méritoire exemple - aujourd'hui sous le patronage de l'UNESCO... - nous ne demandons qu'à partager la belle confiance de Proust quand il poursuit :

«Est-il un gouvernement un peu soucieux du passé artistique de la France qui ne subventionnât largement une tentative aussi magnifique ? Pensez-vous que ce qu'il a fait pour les ruines romaines, il ne le ferait pas pour des monuments français, pour ces cathédrales qui sont probablement la plus haute mais indiscutablement la plus originale expression du génie de la France ? (... )

«Ainsi donc (je reprends mon hypothèse), voici des savants qui ont su retrouver la signification perdue des cathédrales : les sculptures et les vitraux reprennent leurs sens, une odeur mystérieuse flotte de nouveau dans le temple, un drame sacré s'y joue, la cathédrale se remet à chanter. Le gouvernement subventionne avec raison, avec plus de raison que les représentations du théâtre d'Orange, de l'Opéra-Comique, et de l'Opéra, cette résurrection des cérémonies catholiques, d'un intérêt historique, social, plastique, musical, dont rien que la beauté est au-dessus de ce qu'aucun artiste a jamais rêvé, et dont seul Wagner s'est approché, en l'imitant, dans Parsifal».

Je crains qu'ici, dans le choix des précédents sur lesquels s'appuient ses espérances, Proust n'ait cédé à certaines illusions, justifiées par la mode de son temps plus qu'elles ne le sont par l'expérience du nôtre. Ni les récentes vicissitudes du théâtre lyrique subventionné ni le souvenir des académiques solennités d'Orange ne sont tellement encourageants. Je confesse à ma honte que le sublime de Wagner m'a toujours échappé. Mais pour peu que ce grand homme soit informé du traitement qu'infligent à son œuvre les nouveaux metteurs en scène de Bayreuth, il y a de quoi se retourner dans sa tombe. Cependant, admettons avec Proust que les éventuels metteurs en scène du «drame sacré» de la messe, en dépit du temps écoulé, seront capables de mieux. Quel sera l'effet de leurs travaux, de leur compétence, de leur zèle ? Proust répond sans risque d'erreur :

«Des caravanes de snobs vont à la ville sainte (que ce soit Amiens, Chartres, Bourges, Laon, Reims, Rouen, Paris, la ville que vous voudrez, nous avons tant de sublimes cathédrales !) et une fois par an ils ressentent l'émotion qu'ils allaient autrefois chercher à Bayreuth et à Orange : goûter l'œuvre d'art dans le cadre même qui a été construit pour elle. Malheureusement, là comme à Orange, ils ne peuvent être que des curieux, des dilettanti ; quoi qu'ils fassent, en eux n'habite pas l'âme d'autrefois. Les artistes qui sont venus exécuter les chants, les artistes qui jouent le rôle de prêtres, peuvent être instruits, s'être pénétrés de l'esprit des textes ; le ministre de l'instruction publique ne leur ménagera ni les décorations ni les compliments. Mais, malgré tout, on ne peut s'empêcher de dire : «Hélas ! combien ces fêtes devaient être plus belles au temps où c'étaient des prêtres qui célébraient les offices, non pour donner aux lettrés une idée de ces cérémonies, mais parce qu'ils avaient en leur vertu la même foi que les artistes qui sculptèrent le jugement dernier au tympan du porche, ou peignirent la vie des saints aux vitraux de l'abside. Combien l'œuvre tout entière devait parler plus haut, plus juste, quand tout un peuple répondait à la voix du prêtre, se courbait à genoux quand tintait la sonnette de l'élévation, non pas comme dans ces représentations rétrospectives, en froids figurants stylés, mais parce qu'eux aussi, comme le prêtre, comme le sculpteur, croyaient. Mais hélas ! ces choses sont aussi loin de nous que le pieux enthousiasme du peuple grec aux représentations du théâtre et nos «reconstitutions» ne peuvent en donner une idée».

«Voilà ce qu'on dirait si la religion catholique n'existait plus et si des savants étaient parvenus à retrouver ses rites, si des artistes avaient essayé de les ressusciter pour nous».

Le propos était parfaitement plausible en 1904, et l'eût encore été cinquante ans plus tard. Rien jusqu'alors ne permettait de le révoquer en doute. Personne, il y a trente ans, sous le règne finissant de Pie XII, ne se figurait que les pressentiments de Proust allaient être si brusquement dépassés par l'événement, ou pour mieux dire par la catastrophe qui pour nous, en 1984, les relègue au rang des paris téméraires et des anachronismes démentis. Bien digne d'envie nous paraît la rassurante certitude avec laquelle cet écrivain de génie ajoute immédiatement, parlant toujours de la religion catholique :

«Mais précisément elle existe encore et n'a pour ainsi dire pas changé depuis le grand siècle où les cathédrales furent construites. Nous n'avons pas besoin, pour nous imaginer ce qu'était, vivante et dans le plein exercice de ses fonctions sublimes, une cathédrale du treizième siècle, d'en faire comme du théâtre d'Orange, le cadre de reconstitutions, de rétrospectives exactes peut-être, mais glacées. Nous n'avons qu'à entrer à n'importe quelle heure du jour où se célèbre un office. La mimique, la psalmodie et le chant ne sont pas confiés ici à des artistes sans «conviction». Ce sont les ministres mêmes du culte qui officient, non dans une pensée d'esthétique, mais par foi, et d'autant plus esthétiquement. (...) On peut dire que grâce à la persistance dans l'Eglise catholique des mêmes rites et, d'autre part, de la croyance catholique dans le cœur des Français, les cathédrales ne sont pas seulement les plus beaux ornements de notre art, mais les seuls qui vivent encore leur vie intégrale, qui soient restés en rapport avec le but pour lequel ils furent construits».

Voilà qui n'est plus vrai du tout. Proust, lui aussi, n'a qu'à se retourner dans sa tombe, s'il voit à quel point la religion et les rites catholiques immuables ont soudainement changé, combien les cathédrales sont loin de vivre encore leur vie intégrale, et au prix de quels chagrins la foi catholique persiste dans le cœur des Français (et non pas seulement des Français) malgré les efforts que déploie, pour l'en déraciner, la majeure partie du magistère et du clergé. Pour ma part, s'il m'arrive d'éprouver encore à l'église quelque pure émotion religieuse, c'est à condition d'y entrer «à n'importe quelle heure» en dehors des offices. Les metteurs en scène de la messe reconstituée n'ont plus un jour à perdre, s'ils veulent garder des chances de se documenter à bonne source.

Notre ami l'éminent et regretté chanoine Marcel Kuppens avait eu l'idée de tourner, pour l'instruction des séminaristes de Liège, un film ayant pour titre et pour sujet «la messe basse». Avec les moyens de fortune dont on disposait pendant la guerre, sans autre assistance que celle d'un cinéaste amateur mais fervent, et moyennant plusieurs répétitions nocturnes et laborieuses, il célébra donc devant la caméra une «messe sèche», autrement dit un simulacre sans consécration ni communion effectives, tout le reste du rituel étant rigoureusement et minutieusement observé. L'ami cinéaste nous a laissé le récit complet de l'aventure. Le résultat fut magnifique. Nous possédons ce film, ainsi que le texte des leçons qu'il servit à illustrer. Il suffirait de synchroniser les deux pour obtenir ce qui serait, dès à présent, un document historique de premier ordre, voire un monument archéologique à léguer à la postérité. - Bien entendu, les futurs prêtres à qui le film était destiné savaient que son auteur effectuait chaque matin la réelle et véritable messe, à défaut de quoi la messe factice du film pédagogique n'aurait jamais eu qu'un intérêt de curiosité. - Privée aussi du secours de la musique, la messe basse, bien qu'elle soit par elle-même un insigne chef-d'œuvre de théologie condensée, risquera toujours de séduire par son austérité moins d'amateurs et de snobs que n'aura chance d'en attirer, selon Proust, une grand'messe solennelle artistement recomposée en «son et lumière».

Pourtant, c'est au cinéma et à la télévision que revient provisoirement l'honneur de restituer quelquefois au grand public (celui qui n'a pas le bonheur d'habiter dans le voisinage d'un Ecône ou d'un Saint-Nicolas-du-Chardonnet) une fragmentaire mais juste image de l'ancienne liturgie, enregistrée selon les besoins du scénario dans certains films antérieurs au concile. Ces films se reconnaissent immédiatement à ce que les acteurs d'alors, parlant français, savaient encore se faire entendre ; pour le latin et le rituel, s'il leur fallait se perfectionner, ils n'avaient qu'à suivre le conseil de Proust : entrer dans n'importe quelle église «à n'importe quelle heure du jour où se célèbre un office». Les acteurs d'aujourd'hui n'ont plus cette ressource, et les nouveaux prêtres eux-mêmes seraient généralement aussi incapables de les instruire que de jouer à leur place.

Or, l'avez-vous remarqué ? Chaque fois qu'un de ces vieux films, fussent-ils par ailleurs drolatiques ou même impies, comporte une scène de baptême, de mariage ou de funérailles religieuses, et que paraît sur l'écran un prêtre dans l'exercice de ses fonctions sacrées, aussitôt le cercle des téléspectateurs se recueille dans un silence dont la qualité ne trompe pas. Croyants et incroyants redoublent d'attention, les sourires s'éteignent et plus d'un œil se mouille. Pour moi, je n'ai retenu de La dolce vita que la courte séquence où, comme dit Baudelaire, «les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux». Dans la lumière blafarde du petit matin, le héros du film ramène au palais familial son cortège de fêtards avinés, quand tout à coup survient, au haut de l'escalier, l'aumônier qui va dire la messe dans la chapelle de l'aïeule ; il est vêtu des ornements traditionnels, coiffé de la barrette classique, et porte le calice recouvert du voile ; l'acolyte marche devant. Les deux groupes s'arrêtent net, cloués sur place par la stupeur et par la honte. La rencontre ne dure qu'un moment, sans paroles. Seul un échange de regards la traverse. Et aussitôt le prêtre détourne la tête et gagne la porte de la chapelle, avec une humilité qui dégrise et démasque soudain les épaves de la Dolce vita, les écrasant de tout le poids de la dignité sacerdotale. C'est, dans ce film abject, l'unique moment de vérité profonde.

* * *

J'ai gardé meilleure impression des messes dominicales télévisées, à l'enregistrement desquelles collaborait, sous Pie XII, le maître photographe que fut André Vigneau. Celui-ci, par souci de réalisme, braquait la caméra sur les moindres gestes du prêtre à l'autel, même pendant la consécration de l'hostie et du calice. On était à la fois très ému et un peu effrayé de si bien tout découvrir. L'intention était bonne. Mais je ne suis pas sûr qu'une telle divulgation du sacré, quelque respectueuse qu'elle fût, ait avantagé plus que distrait la piété des spectateurs. Le sentiment du mystère y perdait ce que la claire vue des choses avait à y gagner. Ce n'est pas sans raison que l'ancien ordo prescrivait au célébrant de prononcer à voix basse les prières du canon. Entre le Sanctus et le Per ipsum s'étendait, comme en dehors du temps, un temps de silence interrompu seulement par la clochette de l'acolyte qui marquait de sept sonneries successives le point culminant de l'office : la première annonçait le prélude à la consécration, le Hanc igitur oblationem que le prêtre récitait en imposant les mains aux oblats qui allaient devenir le corps et le sang du Christ ; puis les six autres ponctuaient les deux élévations de l'hostie et du calice, chacune précédée et suivie d'une génuflexion également signalée d'un coup de cloche. Ce signal sonore était nécessaire pour avertir les fidèles agenouillés qu'ils avaient alors à courber la tête, ne la redressant que pour contempler l'hostie puis le calice dans l'instant même où le prêtre les élevait. Je me souviens d'un film où Pierre Fresnay, dans un rôle d'amnésique, revenait pour la première fois assister à la messe dominicale qu'il avait oubliée comme tout le reste. Une parente le guidait discrètement, tous deux se tenant debout dans un coin de nef latérale d'où ils ne pouvaient voir l'autel. Quand retentit la sonnerie du Hanc igitur, la jeune femme se pencha vers l'infirme et lui dit à mi-voix : «Inclinez-vous, c'est l'élévation». Et Fresnay s'inclinait, avec la docilité d'un enfant et cet air de noblesse inconsciente qui n'était qu'à lui.

Dès à présent, cette scène serait parfaitement archaïque. Il n'y a plus de sonnette avertisseuse, plus de génuflexions, plus d'autel à proprement parler, presque plus d'élévation, et la consécration passe tellement inaperçue que souvent tout le monde reste assis. Le prêtre lui-même, qui d'ailleurs n'est plus qu'un président bavard, s'est bientôt dispensé de l'unique génuflexion que l'ordo de Paul VI l'obligeait encore d'exécuter après chaque élévation. Et cela non sans raison : fléchir le genou face au peuple, de derrière une table, c'était d'un effet guignolesque. Ainsi le dernier signe d'adoration supprimé par la force des choses, comment ne pas douter de la Présence divine ?

L'ancienne liturgie était un chef-d'œuvre de cohérence, monument où il était impossible de déranger une pierre sans ébranler tout l'édifice, sans déconcerter par le fait même la foi qui en était le fondement.

Avis donc aux éventuels restaurateurs qui, dans quelques siècles, entreprendraient de reproduire le spectacle de la messe dans ce qui subsistera de son décor primitif, mais ne connaîtront plus, dans l'hypothèse de Proust, les réalités profondes et déterminantes sur lesquelles ce décor fut bâti. Elles sont d'ores et déjà peu accessibles aux catholiques de la nouvelle Eglise. Proust imagine que de futurs savants et artistes réussiront au moins à replanter le décor et à remonter le spectacle, grâce à des «documents» dont il ne précise pas la nature. Il ne prévoyait pas que beaucoup de ces documents, et non les moins utiles, seront à chercher dans Ies archives de la télévision et des cinémathèques, s'il en reste. A condition toutefois de ne pas se tromper sur les dates. Les seules sources d'information visuelle qu'il y aura lieu de prendre au sérieux devront s'arrêter aux années 60 du XXè siècle.

* * *

J'ai récemment assisté, par deux fois, à des funérailles religieuses. Dans les deux cas, les défunts, gens notables, avaient formellement exigé qu'on remît en usage le vrai rituel de la messe de Requiem, chantée en latin et en grégorien. C'était à prendre ou à laisser. Or que vîmes-nous ?

Dans l'un de ces cas, le curé de la paroisse voulut bien prêter son église mais refusa d'y paraître. La famille recourut à un prêtre du dehors, très qualifié pour l'occurrence, car il a gardé l'habitude de célébrer l'ancien rite en privé, alternant avec le nouveau selon les circonstances. Encore fut-il forcé de célébrer face au peuple, à bonne distance d'un très beau maître autel qui ne sert plus à rien. Il observa soigneusement toutes les règles ci-devant prescrites. Mais c'était l'église et, comme on dit, «l'environnement» qui ne s'y adaptaient plus. Point d'acolyte, partant plus de sonnerie pour annoncer l'élévation ; j'ai compté en tout deux fidèles qui s'agenouillèrent à même le pavé, de confortables fauteuils inamovibles ayant remplacé les prie-Dieu. Point d'assistant non plus pour l'offertoire et le Lavabo, ni pour aucun des mouvements que le prêtre avait peine à exécuter sans aide ; il n'eut qu'à se débrouiller tout seul avec les burettes, le missel, etc. Pour les répons, il y avait un seul chantre dont les interventions se produisaient plus ou moins à propos, et plus ou moins dans le ton, à défaut d'orgue accompagnateur. Bref, ce Requiem sans le moindre appareil semblait être un anachronisme laborieusement improvisé, en avance ou en retard, on ne savait, sur l'évolution de l'usage (l'usage lui-même étant, comme tout le reste, «en perpétuelle mutation»). On eût dit l'une des premières répétitions d'une pièce mise à l'essai dans le décor du spectacle précédent, avant que l'acteur principal soit pourvu des partenaires et des accessoires dont il aura besoin ; ou peut-être la soirée d'adieu donnée par l'acteur principal sur le plateau où tout est déjà en place pour le spectacle suivant. (Que le lecteur croyant me pardonne de comparer la sainte liturgie au théâtre profane : j'emprunte ainsi le point de vue de Proust, lequel cependant montre, dans la suite de son article, une étonnante connaissance et un grand respect de l'essence même de la liturgie).

L'autre cas était différent, bien que le contretemps fût égal. Le décor ici était à peu près intact (sauf inévitablement, en guise d'autel, la table derrière laquelle les célébrants ressemblent à des serveurs déclarant que le buffet est ouvert). L'église était une des plus vénérables basiliques liégeoises, celle où naquit jadis la solennité de la Fête-Dieu. L'i mmense nef gothique menace ruine, mais tout s'y est conservé précisément parce que tout y est désaffecté, dans un épouvantable état d'abandon et de misère lépreuse ; le nouveau culte s'est aménagé pour local mieux approprié une petite salle attenante. On emploie quelquefois la grande église à des expositions, musée temporaire où des cimaises-paravents brillamment illuminées masquent à point nommé le délabrement des murs, du mobilier et des vitraux noircis. L'argent manque maintenant pour rafistoler provisoirement l'édifice, comme on le souhaite, en vue de la prochaine visite du pape. Celui-ci tiendra sans doute à saluer ce qui fut le haut lieu de la dévotion au Saint-Sacrement. Il s'étonnerait de n'y pas trouver sur l'autel un ostensoir devant lequel s'agenouiller un instant. Déception qu'on s'occupe à lui épargner, en lui arrangeant, aussi beau que possible, un pèlerinage à la Potemkine.

Mais revenons à nos funérailles. Ici encore, le curé s'était laissé arracher la permission nécessaire ; mais il était en vacances lorsque survint le décès. La famille avait des relations à la campagne ; elle y recruta deux curés de villages assez éloignés, qui voulurent bien se compromettre. Un seul vicaire de la paroisse accepta de se joindre à eux, comme maître de cérémonie et maître de chapelle. Car on avait même obtenu le concours d'une chorale de «jeunes», maigrelette il est vrai quoique fort gentille, reléguée qu'elle était dans un petit coin du chœur et comme intimidée par la hauteur des voûtes, tel un groupe de moineaux tombés là par hasard. Les voix étaient inexercées, hésitantes et mal réglées. La faute n'en était pas aux exécutants pleins de bonne volonté : ils balbutiaient le grégorien, langue étrangère et nouvelle pour eux, comme des débutants ânonnent leurs premières leçons de solfège.

Les deux prêtres à l'autel étaient, eux aussi, pleins de bonne volonté, peut-être même heureux de réitérer, dans cette exceptionnelle occasion, l'acte sacerdotal par excellence, le vrai sacrifice de la messe qui avait été l'idéal de leur jeunesse et l'objet capital de leur vocation. Leur embarras pourtant n'était pas moins visible. Côte à côte derrière la table, ils esquissaient gauchement les gestes rituels, ou ne s'y hasardaient qu'après s'être consultés du regard : «qu'est-ce qu'on fait maintenant ?» La distribution des rôles était d'ailleurs fort indécise ; rien ne distinguant plus les fonctions de diacre ni de sous-diacre, tout se confondait au petit bonheur dans une sorte de concélébration mâtinée d'archaïsme. Au moins l'assistance, fort nombreuse, ne fut-elle pas dans l'impossibilité de s'agenouiller pour la consécration : cette basilique est tellement délaissée que le clergé n'a pas jugé utile d'en ôter les vétustes prie-Dieu. Mais, bien entendu, communion debout et généralement dans la main. Fût-ce à contrecœurs, les mauvaises habitudes se prennent aussi vite que les bonnes se perdent.

«A quoi l'homme ne s'habitue-t-il pas ? demandait Paul VI dans l'un des discours où il tenta de justifier ses prétendues réformes liturgiques. Question purement oratoire, mais étrangement révélatrice de la part d'un pape. Elle suppose admis que le bon, le beau et le vrai des choses ne soit qu'affaire d'accoutumance. L'exemple des deux cérémonies funèbres que je viens de citer - elles étaient «funèbres» dans tous les sens du terme - prouve assez que les bonnes habitudes se perdent encore plus facilement que les mauvaises ne se prennent.

* * *

S'il a suffi d'une vingtaine d'années pour que des clercs et des laïques restés fidèles s'embrouillent déjà dans le souvenir des usages qu'ils pratiquaient naguère avec le plus de constance et de ferveur, comment imaginer que des gens de théâtre auraient le désir et les moyens d'en recréer le simulacre exact, après que «plusieurs siècles» d'ignorance en auront complètement recouvert la source ? J'entends bien que cette folle entreprise bénéficiera, selon Proust, de l'appui des pouvoirs publics. Ce n'est pas inconcevable, puisque dès à présent ces mêmes pouvoirs, quelque irréligieux qu'ils soient, patronnent volontiers certaines soirées musicales et autres «manifestations culturelles» ayant pour cadre une église.

Ce furent d'abord ce que l'on appelait des «concerts spirituels» : oratorios, récitals d'orgue, musique classique. J'assistai, il y a longtemps, à l'un des premiers de ces festivals, donné dans une autre fort belle église de Liège. Emu par la nouveauté de la circonstance, le curé monta en chaire et, en termes élevés, expliqua à la foule des auditeurs que la musique ainsi honorée gardait son plein caractère religieux, et rappela qu'en pareil cas, dans nos pays, la règle était de ne pas applaudir. La petite lampe rouge brillait toujours au-dessus du maître autel. Et le silence de l'auditoire fut pour les musiciens une récompense plus éloquente que n'eût été n'importe quelle ovation. Mais aux concerts qui suivirent, la consigne était levée. Non seulement des applaudissements, mais des turbulences de tous genres ont bientôt envahi les plus augustes cathédrales, désormais complaisamment ouvertes comme lieux d'exhibition à des chansonniers révolutionnaires ou à des virtuoses du rock. Pas plus que le clergé, les pouvoirs publics ne semblent voir là aucun inconvénient.

Parfois même, au contraire, les pouvoirs publics (ou assimilés) semblent voir tout avantage à s'emparer des lieux sacrés qu'ils restaurent à grands frais, mais pour les réaffecter à des fins exclusivement profanes, commerciales, politiques ou, pis encore. Que de chapelles, que d'oratoires anciens transformés en salles de gymnastique, en «centres culturels», en sanctuaires du laïcisme et de la soi-disant libre-pensée ! Avec soin, on remet en état le décor, les peintures, les boiseries, les vitraux, on rétablit jusqu'aux pieuses appellations propres à rehausser de quelque vestige de prestige divin les manifestations de l'athéisme et de la subversion les plus déclarés (modèle du genre : le festival d'Avignon). Nul doute que les auteurs de telles entreprises usurpatrices ne trouvent dans cette forme raffinée de vandalisme une volupté particulière.

Reste donc à savoir si les pouvoirs publics du prochain millénaire montreront plus de discernement que ceux d'aujourd'hui dans la distribution des encouragements, compliments et décorations que Proust fait espérer à leurs éventuels bénéficiaires ; et si les gens de théâtre ainsi favorisés auront plus de conscience professionnelle que la plupart des gens d'Eglise n'en montrent aujourd'hui dans la défense et illustration de la foi catholique.

A la vérité, on ne peut rien prévoir. L'intervention tant des pouvoirs publics que des ecclésiastiques est à double tranchant. Leur reconversion n'est pas plus impossible que leur aberration. Ce projet Briand, cette loi de Séparation dont Proust augurait le pire, nous avons lieu de nous féliciter de leur conséquence la plus inattendue : la mainmise de l'Etat sur les trésors de l'art sacré aura du moins servi à les sauver d'une dilapidation totale. Le ministre Viviani se vantait d'avoir éteint au ciel des lumières qui ne se rallumeraient pas. Il eût été fâché d'apprendre qu'il s'engageait par là même à laisser debout sur la terre, à peu près intactes, quelques lampes à la disposition de la Providence. Un proverbe portugais dit que Dieu écrit droit avec des jambages tors. Un autre, polonais, que le diable est plus malin mais que Dieu est plus intelligent. Il arrive souvent que le diable, malgré qu'il en ait, finisse par porter pierre à Dieu.

Mais d'autre part, que vaudront intrinsèquement les reconstitutions futures d'une religion qui n'existerait plus qu'à titre de curiosité historique ? Marie Delcourt me disait que la tragédie grecque était morte, du jour où les municipalités athéniennes, dans la meilleure intention du monde, s'avisèrent de remettre en scène les pièces de Sophocle et d'Euripide qui n'intéressaient plus que des philologues, des professeurs, voire «des caravanes de snobs». Ces représentations étaient subventionnées et méticuleusement organisées. Mais les sources de l'enthousiasme qui avait inspiré les auteurs, les acteurs et le public du siècle de Périclès étaient à jamais taries. Les chœurs ne dansaient plus qu'en service commandé. Les âmes ne vibraient plus. Et c'est à cette époque qu'un vieux Grec indigné se leva un jour dans le théâtre et s'écria : «Il n'y a plus rien ici pour Dionysos !» Cet homme, aussi bien que Proust, avait senti qu'il n'est art si parfait qui ne devienne artifice, une fois séparé de son principe divin.

C'est donc à Dieu qu'il faut revenir si l'on veut restaurer et revivifier quoi que ce soit, dans l'ordre de l'art comme dans tous les autres. Et principalement dans les arts qui n'ont fleuri que pour Sa gloire, ne cherchez pas de maître-d'oeu­vre qui ne soit Dieu, ni d'autre ressort que la foi.

Relisant le début de cet article, j'ai failli supprimer le mot salopards, qui risque de paraître un peu bien dur. Mais me retombe sous les yeux ce que Bernard Bouts, grand sage et grand artiste français, écrivait dans ITINÉRAIRES de juin dernier (n° 284) : «Le fait d'avoir établi, ici, dans les églises du Brésil, la musiquette glin glin type cabaret est une faute aussi grave pour la civilisation chrétienne que le serait la destruction des cathédrales à coups de canon».

Il me semble que mon salopards n'est pas trop fort pour qualifier les canonniers.

Alexis Curvers.

Dom Gérard invoque le témoignage des convertis

Oui, nous «mettons en doute», oui, nous contestons que la messe de Paul VI soit BONNE. Nous constatons qu'elle est MAUVAISE. Au début du mois d'octobre, juste avant le document de la congrégation romaine pour le culte, Dom Gérard, prieur du monastère Sainte-Madeleine du Barroux, écrivait dans sa «Lettre aux amis du monastère» :

Il m'en coûte, je vous l'avoue, de vous parler des événements actuels de l'Eglise, parce que selon nous, il n'existe au monde qu'un événement auquel nous essayons d'adapter notre vie : c'est la Présence infinie, aimante et suprêmement active de Dieu dans notre âme, vingt‑quatre heures sur vingt-quatre. Pourtant, vos lettres m'invitent à poursuivre sur ma lancée : je vous avais promis de vous communiquer le témoignage de prêtres et de laïcs convertis. Je le fais.

Pourquoi les écouter spécialement eux ? Parce que, avec une lucidité et une logique d'autodéfense souvent supérieures aux nôtres (appelez cela l'instinct de la foi), ils découvrent que la nouvelle religion - celle de l'Eglise Conciliaire, pour reprendre l'expression du cardinal Benelli - les ramène au protestantisme. Voici, sur le sujet de la messe, ce que pense notre voisin et ami le Father Bryan Houghton, prêtre catholique venu de l'anglicanisme :

«Vous me demandez pourquoi je suis incapable de célébrer la messe selon le nouvel ordo ! Je réponds : c'est une question d'orientation. L'ancienne messe exprime une action divine à laquelle assistent les êtres humains, anéantis dans l'adoration. Elle est théocentrique. Le nouveau rite s'exprime précisément comme la synaxis ou assemblée du peuple de Dieu... dans laquelle ces paroles du Seigneur sont éminemment vérifiées : quand deux ou trois seront assemblés en Mon Nom, Je serai parmi eux. C'est une action humaine à laquelle assiste Jésus. L'orientation a totalement changé. La messe, d'une action divine qu'elle était, est devenue action humaine ; de théocentrique, elle est devenue anthropocentrique. Toutes ces niaiseries de face au peuple, du vernaculaire et surtout ce ridicule réflexif de se communier par la main ne sont pas théologiquement fausses. Ce sont des poteaux qui indiquent la mauvaise direction, la direction exactement et précisément contraire à celle de ma conversion. Mon Dieu, m'avez-Vous trompé ? Impossible ! Me serais-je trompé ? Mais alors, vers qui me tourner ?... Non, non ! Cela ne peut pas être plus d'un demi-siècle s'est écoule depuis ma pauvre conversion, dont 44 ans comme prêtre !»

Voici maintenant le témoignage d'un autre excellent ami, Father Quintin Montgomery-Wright, curé de Chamblac, en Normandie, ancien pasteur anglican. Je lui demandais trois choses : ce qu'il pensait : 1 - de la messe face au peuple, 2 - de l'abandon du latin, 3 - de la communion dans la main. Il me répond :

«J'ai toujours répudié la messe face au peuple, adoptée par l'aile la plus protestante de l'Eglise anglicane, tandis que le mouvement d'Oxford, qui a amorcé le mouvement de conversion vers l'Eglise romaine, était partisan de l'eastward position (tournée vers l'Orient). Après mon ordination sacerdotale en 1952, j'ai constaté le caractère anti-sacrificiel de cette messe-spectacle (show), et j'éprouvais une vraie désolation à célébrer ma messe quotidienne face à une église vide, plutôt que face au Crucifié. Le livret du docteur Fournée La messe face à Dieu m'a fourni les raisons justifiant mon retour à la position normale. En plus, vous n'imaginez pas l'effet que produit sur nous, anciens protestants, le spectacle de cet autel, relégué au profit d'une table : c'est exactement ce qu'ont fait les réformateurs du XVIè siècle ! Le latin ? A l'âge de 16 ans, j'avais assisté pour la première fois à une messe catholique. C'était à l'église Holyrood de Watford. L'assistance, qui chantait merveilleusement le Vidi Aquam, m'a convaincu que la langue latine et le chant grégorien pouvaient être parfaitement populaires. Quant à la communion dans la main, cela a toujours été considéré par les anglicans comme une négation de la transsubstantiation. Figurez-vous qu'à Walsingham, paroisse anglicane, je faisais visiter l'église à un groupe de paroissiens français venus avec leur curé : quel ne fut pas leur étonnement de voir, pendant la messe anglicane, tous les anglicans communier à genoux et recevoir l'hostie sur la langue !»

L'abbé Christian Wyler, calviniste converti, récemment ordonné, a commencé par célébrer dans le nouveau rite. Mais il ne put persévérer, tant cette messe ressemblait à un culte protestant. De passage dans notre monastère, il nous déclara au cours d'un entretien :

«Dans l'ancien rite, auquel je resterai désormais toujours fidèle, les gestes et les attitudes évoquent le mystère de l'action sacrée, bien plus encore que les paroles. C'est pourquoi l'Eglise les a consignés dans des rubriques extrêmement précises, où la personnalité du célébrant s'efface pour laisser toute sa place à la vérité objective de l'œuvre accomplie (le renouvellement non sanglant du sacrifice de la croix). Dans le nouveau rite, il y a une possibilité de choix qui introduit une part prépondérante d'éléments humains subjectifs : ce qui compte alors, c'est l'accent avec lequel on lit les textes, la présence humaine, les talents du prêtre qui devient ainsi un animateur et non plus l'instrument qui s'efface pour laisser toute la place à l'influx du Christ souverain prêtre».

On remarquera à quel point ces témoignages se corroborent mutuellement : la messe est devenue une entreprise humaine, tournée vers les hommes, où le silence, le mystère, l'adoration ont totalement disparu. Comment ne pas évoquer ici le terrible avertissement de Julien Green, protestant converti et écrivain célèbre, dans La bouteille à la mer, journal qui couvre les années 72 à 76 : «Le danger est que l'ennemi ne frappe pas l'Eglise du dehors mais bien de l'intérieur. Il y a dans l'Eglise une autre Eglise qui est l'Eglise de Satan». Et ceci, à la date du 31 mars 1974, au sujet de la messe : «A la T.V., parfois, elle prend de plus en plus nettement un caractère protestant. Je suis bien placé pour flairer la chose, le tour de passe-passe qui s'opère pour faire glisser la messe romaine sur le plan luthérien, de manière que le fidèle peu éclairé et peu averti ne s'aperçoive pas de la subtilité».

Enfin voici le témoignage émouvant de Mme Patricia Douglas Viscomte (lettre adressée à l'abbé Sulmont)

«C'est le dogme de la Présence réelle de Notre Seigneur Jésus-Christ dans l'Eucharistie, qui a été l'élément premier de ma conversion. J'assistai à la messe pour la première fois quelques années plus tard, en cachette. Ce fut dans une chapelle d'un pensionnat et en semaine. J'étais encore très ignorante des rites de la messe, je ne connaissais pas le latin et c'était une messe basse. Eh bien, je suis heureuse de témoigner, aujourd'hui, que cette messe m'a donné la certitude que j'assistais non plus à un culte fait par l'homme (et où l'on parle, on prie, on lit sans cesse à haute voix, ainsi que cela se passait dans le temple où nous allions), mais que j'assistais à un Mystère, à l'acte sacrificiel par excellence, où était représenté pour nous le sacrifice sanglant du Calvaire dans toute sa réalité, et que devant cet acte il suffisait d'adorer, de remercier et de s'unir. Jamais je ne me suis sentie aussi unie avec des inconnus comme à la messe catholique. Si d'ailleurs aujourd'hui, depuis quelques années, je ne peux plus assister à la nouvelle messe c'est parce que j'y retrouve l'atmosphère du culte protestant - un culte digne peut-être, mais sans vie -. C'est l'homme penché sur lui-même, sur ses difficultés, et non plus l'homme qui s'humilie, se prosterne et adore Quelqu'un qui est là».

Ce qu'il y a d'exceptionnel chez les convertis, c'est leur instinct, leur sûreté de jugement : ils distinguent souvent mieux que nous ce qui est catholique de ce qui ne l'est pas. Pourquoi ? Parce que la plupart du temps, c'est au prix de grandes souffrances et de grands arrachements qu'ils ont conquis les vérités de la foi sur la déroute de leurs propres erreurs : ils saisissent alors dans un même regard, et la vérité et l'hérésie qui s'y oppose ; d'où leur intransigeance, leur loyauté absolue, et la place de choix qui leur revient dans le combat spirituel. Ce sont des confesseurs de la foi. Puissent-ils nous réveiller de cette mortelle accoutumance dont parle saint Augustin : «A force de tout voir, on finit par tout accepter, à force de tout accepter, on finit par tout approuver».

Voyez avec quelle unanimité les convertis nous exhortent à retrouver le caractère hautement sacré du saint sacrifice de la messe. Ils nous conseillent tous de reprendre concrètement le silence du canon, l'usage du latin et du grégorien, l'orientation du célébrant face au crucifix, lequel sera placé au centre de l'autel et non de côté ; la communion à genoux, l'hostie déposée sur la langue. Il existe déjà, hélas !, toute une génération de jeunes chrétiens (entre 1960 et 1980) dont le sentiment religieux a été faussé par la désacralisation. Au moment où j'écris ces lignes, me parvient la lettre d'un ami du monastère, répondant à notre Lettre 24. Je vous cite le dernier paragraphe : «Merci de votre dernière, Lettre aux Amis du Monastère. Ce que vous écrivez du protestantisme dont je suis issu : sans mystique, sans rite et sans poésie m'est allé droit au cœur ; vous avez tout compris. Soyez remercié pour votre charité à l'égard de ces gens que je ne puis m'empêcher d'aimer bien que je les aie quittés par la grâce de saint Benoît. Et maintenant je me retrouve dans une Eglise qui fait le parcours inverse, en plus médiocre ! C'est vexant. Vous comprendrez que je me raccroche de toutes mes forces à Sainte-Madeleine du Barroux !»

LA MESSE REVIENT

Table des matières

CHRONOLOGIE

— Quinze ans de guerre religieuse

DOCUMENTS

— La circulaire du saint-siège (texte latin)

— Sa traduction intégrale et annotée par Jean Madiran

— Communiqué du secrétariat de l'épiscopat

— Déclarations de l'abbé Aulagnier

— Déclaration de Louis Salleron

— Communiqué de l'abbé Schmidberger

EDITORIAUX

— Jean MADIRAN : La messe revient

— Alexis CURVERS : Les vandales et la messe…

— Dom GERARD OSB : Le témoignage des convertis

Prions Notre-Dame pour notre combat pour la Foi catholique

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[1] note sur la portée juridique de la constitution apostolique «missale romanum» du 3 avril 1969.

A) Nous disons bien : approuvant et non pas promulguant. La «promulgation» (une «promulgation»... sans publication !) fut opérée trois jours après, le 6 avril, par un décret de la congrégation des rites. Le texte lui-même de la messe ainsi approuvée puis «promulguée» ne fut publié que quelques semaines plus tard par l'imprimerie vaticane, accompagné d'une Institutio generalis qui en expliquait les intentions, les principes et les normes.

B) La bulle Quo primum de saint Pie V n'était pas abolie par ces décrets : son abolition éventuelle n'aurait pu être qu'explicite, elle ne peut être implicite. Par cette bulle, saint Pie V avait codifié en 1570 la messe traditionnelle. Juridiquement, donc, la nouvelle messe de Paul VI ne peut être considérée que comme une dérogation particulière aux prescriptions non abrogées de la bulle Quo primum.

C) La nouvelle messe de Paul VI et son Institutio generalis furent plusieurs fois retouchées après l'«approbation» du 3 avril et la soi-disant «promulgation» du 6 avril 1969 ; l'édition «typique», c'est-à-dire officielle, ne parut qu'en mars 1970.

D) Encore tout récemment, le P. Joseph de Sainte-Marie OCD est revenu sur cette cascade d'anomalies (La Pensée catholique, n° 212 de septembre-octobre 1984) : «Le début de cette instruction [celle du 20 octobre 1969] parle de la constitution apostolique Missale romanum comme ayant simplement «approuvé le nouveau missel romain» : approuvé et non promulgué. Et comment aurait-elle pu promulguer un missel qui n'existait pas encore ? II reste déjà suffisamment anormal qu'elle ait couvert de son autorité le livre fondamental de la liturgie catholique selon une édition qui fut retouchée plusieurs fois entre cette «approbation», qui lui était donnée comme un chèque en blanc, en quelque sorte, et sa publication effective (...). C'est l'un des autres aspects de ce drame : les nombreuses irrégularités de toutes sortes qui entachent ces documents. La précipitation et le désordre dans lesquels ils furent publiés le fait soupçonner; leur analyse attentive le confirme. C'est ainsi que la constitution du 3 avril «approuvait» un Ordo Missae et une Institutio generalis qui n'étaient publiés que plusieurs semaines après et qui subissaient entre temps de nombreuses retouches. Mais surtout, cette constitution «approuvait» un missel dont la première édition typique ne voyait le jour qu'un an plus tard, au terme d'une lutte intense...»

E) Le titre même de la constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969 disait pourtant bien sa volonté de PROMULGUER : «Constitutio apostolica qua missale romanum ex decreto concilii oecumenici Vaticani II instauratum PROMULGATUR». - Mais lorsque le 26 mars 1970 un «décret» de la congrégation du culte PROMULGUE l'édition officielle du nouveau missel, la première phrase de ce décret indique que la constitution apostolique Missale romanum du 3 avril 1969 avait APPROUVÉ les textes du missel en question : approuvé et non promulgué. Le décret figure à la première page de ladite édition officielle ; à la seconde, la constitution apostolique avec son titre inchangé et son «PROMULGATUR» démenti mais maintenu…

[2] GRANDE SURPRISE : l'enquête de 1980 n'était pas celle-là. Elle ne comportait aucune de ces trois questions. Elle en comportait deux autres (la première subdivisée en deux), portant 1) sur les messes en langue latine, 2) sur le rite tridentin. Il est aberrant que la congrégation romaine du culte divin ne sache même plus, à seulement quatre années de distance, quelles questions au juste elle avait posées aux évêques. C'était bien elle pourtant qui les avait posées : elle n'a fait que changer légèrement de nom depuis lors. Elle s'appelait «congrégation pour les sacrements et le culte divin», elle s'appelle maintenant «congrégation pour le culte divin», assurément c'est toujours elle. - D'autre part cette demande d'enquête d'octobre 1980 était adressée non point à tous les évêques, mais seulement aux 2.317 évêques (alors encore dits) de rite latin. - Sur toute cette enquête et sur ses «résultats», voir l'étude très complète de Louis Salleron dans ITINÉRAIRES, n° 262 d'avril 1982. - L'anomalie extraordinaire que nous venons de relever est-elle un exemple supplémentaire de l'invraisemblable je m'en fichisme avec lequel sont établis maintenant les documents officiels du saint-siège ? ou bien au contraire un signal volontaire, un signe pour initiés ? ou un sabotage délibéré ? Je n'ai pas la réponse à ces questions. Mais elles se posent.

[3] Les Notitiae sont le bulletin qui sert d'organe apparemment officiel à la congrégation du culte. Cette publication de décembre 1981 fut spécialement analysée en détail par Louis Salleron dans l'article cité à la note précédente.

[4] Indult : dérogation, permission ou privilège ; en général révocable, consenti pour un temps limité.

[5] Nullam partem habere cum iis... Le secrétariat de l'épiscopat traduit : «n'ont aucune connivence avec ceux...», mais «connivence», en français, signifie «entente secrète», ou au moins «accord tacite» : voilà une traduction qui ouvre la voie à des inquisitions poussées fort loin, s'il faut enquêter sur les sentiments secrets des personnes... L'Osservatore romano traduit : «n'ont rien à voir», ce qui reste vague. Le camarade Joseph Vandrisse, dans le Figaro, a compris qu'il fallait n'avoir «rien de commun», ce qui est une traduction possible, mais qui ouvre la voie à une autre manière d'aller passablement loin...

[6] C'est-à-dire qu'il s'agira d'une célébration fermée, comme une célébration maçonnique. La célébration de la messe catholique était, jusqu'ici ouverte à tous, même aux incroyants, à la seule condition de se tenir, convenablement. Il n'en sera plus ainsi : la messe traditionnelle devra être strictement réservée aux personnes qui en auront fait nommément la demande à leur évêque, comme il était spécifié plus haut : «christifideles qui in petitione proprio episcopo exhibenda EXPLICITE INDICABUNTUR». Cette condition est tellement exagérée qu'elle en devient davantage absurde que draconienne.

[7] L'Osservatore romano et le secrétariat français de l'épiscopat comprennent autre chose. Le premier : «qu'il s'agisse de célébrations habituelles ou exceptionnelles». Le second : «soit de façon habituelle soit pour un cas extraordinaire».

[8] Pour tous ses enfants, - sauf ceux avec lesquels il ne faut avoir nullam partem.

[9] Dans la Pensée catholique, n° 212 de septembre-octobre 1984, spécialement p. 31-34, à propos de «la concélébration dans la réforme liturgique», le P. Joseph de Sainte-Marie évoque le «cas majeur et particulièrement manifeste de la division intérieure du Magistère» constitué par les anomalies, ambiguïtés et erreurs, de forme et de fond, qui ont marqué en 1969-1970 la «promulgation» de la nouvelle messe.