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A. Une loi de droit divin


    Qui est éligible au conclave?

    « Sont éligibles tous ceux qui, de droit divin ou ecclé­siastique, ne sont pas exclus. Sont exclus les femmes, les enfants, les déments, les non-baptisés, les hérétiques et les schismatiques » (Raoul Naz: Traité de droit canonique, Paris 1954, t. 1, p. 375, repris par le Dictionnaire de théologie catholique, article « élection »).

    « C’est une opinion commune que l’élection d’une femme, d’un enfant, d’un dément ou d’un non-membre de l’Église (non-baptisé, hérétique, apostat, schismatique) serait nulle par loi divine ».[1]

    L’opinion selon laquelle un homme hérétique occupant le Siège de Pierre puisse néanmoins être pape est rejeté pratique­ment à l’unanimité par tous les docteurs et théologiens de toutes les époques. « Cette opinion est défendue par un seul théologien, parmi les 136 anciens et modernes dont nous avons pu vérifier la position sur ce sujet. Nous parlons du canoniste français D. Bouix (mort en 1870) » (Arnaldo Xavier da Silveira: La nouvelle messe de Paul VI: Qu’en penser?, p. 246).

    Même les protestants savent que les conclaves sont ré­gis par le principe, de catholicité des candidats à la tiare. « Est éligible tout chrétien (même un laïc) mâle, catholique, non tombé dans 1 ‘hérésie » (Realencyclopädie fiir protestantische Theologie und Kir­che, troisième édition, Leipzig 1904, article « Papstwahf »).

    La clause de catholicité régissant les conclaves est une loi de droit divin. Notre Seigneur a donné l’exemple: avant de mettre saint Pierre à la tête de l’Église, il lui a demandé d’abord de faire sa profession de foi. Ce n’est qu’après s’être as­suré de l’orthodoxie du « papabile » que le Christ le désigne comme pierre de fondement de l’Église. « «Et pour vous», leur dit-il, «qui suis-je?». Simon-Pierre prit la parole: «Tu es le Christ », dit-il, «le Fils du Dieu vivant!». Alors Jésus prit la parole à son tour et lui dit: «Tu es heureux, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux. Et moi, je te déclare: Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle» » (Matthieu XVI, 15 - 18).

    Que la clause de catholicité des candidats à la tiare soit une loi de droit divin fut bien mis en valeur par le jésuite espagnol Francisco Suarez (1548 - 1617). Suarez était célèbre comme philo­sophe, théologien et juriste. Après avoir montré, en se basant sur des passages de l’Écriture, que la foi est le fondement de l’Église, Sua­rez écrit: « C’est pourquoi, si la foi est le fondement de l’Église, elle est aussi le fondement du pontificat et de l’ordre hiérarchique de l’Église. Cela est confirmé par le fait que telle est la raison qu’on donne pour expliquer pourquoi le Christ avait demandé à Saint Pierre une profession de foi avant de lui promettre la papauté (Matthieu XVI, 13 - 20) » (Francisco Suarez: De fide, disputatio X, section VI, no 2, in: Opera omnia, Paris 1858, t. XII, p. 316).

    Parmi les théologiens catholiques, le plus célèbre est sans conteste le docteur angélique. Son ouvrage majeur, la Somme théologique, fut mise sur l’autel lors du concile de Trente. Or dans cette Somme, on trouve deux passages particulièrement intéressants:

    Saint Thomas enseigne que l’élection d’un candidat mauvais (et tout hérétique est mauvais!) est juridiquement contestable: « D’après le droit (in Glos. in ch. Custos) il suffit de choisir ce qui est bon, mais il n’est pas nécessaire qu’on se décide pour ce qu’il y a de mieux. [...] Pour qu’on ne puisse pas attaquer une élection devant le tribunal ecclésiastique, il suffit que celui qui a été élu soit homme de bien, mais il n’est pas nécessaire qu’il soit le meilleur, parce que dans ce cas toute élection pourrait être contes­tée » (Somme théologique, II-II, q. 63, a. 2).

    Ailleurs, le docteur angélique enseigne que ni les schismatiques, ni les hérétiques ne peuvent gouverner l’Église: « Saint Cyprien (Lettre 52) dit que celui qui n’observe ni l’unité de l’esprit, ni l’union de la paix, et qui se sépare de l’Église et de l’assemblée des prêtres, ne peut avoir ni lâ puissance, ni la dignité épiscopale. Quoique les schismatiques puissent avoir le pouvoir d’ordre, ils sont néanmoins privés de celui de juridiction. [...] La puissance de juri­diction [..,] ne s’attache pas d’une manière immuable à celui qui la reçoit. Elle n’existe donc pas chez les schismatiques et les héréti­ques; par conséquent, ils ne peuvent ni absoudre, ni excommunier, ni accorder des indulgences, ni rien faire de semblable. S’ils font ces choses, elles sont nulles. Ainsi, quand on dit que les schismatiques et les hérétiques n’ont pas de puissance spirituelle, on doit entendre par là la puissance de juridiction » (Somme théologique II-II, q. 39, a. 3).

* * *

    Nos ancêtres dans la foi ont parfois contesté l’élection de tel ou tel faux pape. L’histoire ecclésiastique est si riche en en­seignements!

    À l’époque paléochrétienne, les Pères de l’Église sont unanimes au sujet de l’incompatibilité radicale entre l’hérésie et le souverain pontificat. Exemple: l’antipape Novatien, qui était schis­matique et hérétique, fut déclaré déchu de la cléricature par saint Cy­prien. « Il ne peut avoir l’épiscopat, et s’il a été d’abord évêque, il s’est séparé [par son hérésie] du corps épiscopal de ses confrères et de l’unité de l’Église » (Saint Cyprien: livre IV, épître 2).

    Au Moyen Âge, la voie suivie par les catholiques fut la suivante: non pas déposer un pape, mais contester la validité de l’élection d’un antipape intrus. L’historien allemand Zimmer­mann, après avoir analysé une à une les dépositions des antipapes successifs, résume ainsi les principes du procédé: « Il apparaissait comme parfaitement légitime d’éloigner un tel hérétique de sa posi­tion usurpée et de faire abstraction, dans ce cas, de la maxime juri­dique «le premier Siège n’est jugé par personne». Ce que l’on pre­nait à un tel pape, on ne le lui enlevait qu’en apparence, car il ne l’avait en réalité jamais possédé; c’est pourquoi son pontificat était illégitime dès le début et lui-même n’était à considérer que comme un envahisseur [invasor] du Saint-Siège. Dans les sources sur les dépositions de papes, on peut lire - encore plus fréquemment que le soupçon de simonie, et sans doute pas par hasard - le reproche de l’usurpation [invasio], ce qui mettait en doute un pontificat dans sa racine, puisque l’on exprimait ainsi que ledit accusé n’avait ja­mais été occupant légitime du «premier Siège» ou n’aurait jamais eu le droit de se considérer comme tel. C’est pourquoi le mot «invasio» revient régulièrement dans les sources, en tant que terme technique pour un pontificat qu’il faut considérer comme illégitime » (Harald Zimmermann: Papstabsetzungen des Mittelalters, Graz, Vienne et Cologne 1968, p. 175).

    La même remarque est faite dans le Dictionnaire de théologie catholique (article « déposition »): quand on privait des an­tipapes schismatiques de leur office, on ne les déposait pas du pon­tificat, mais, nuance importante, on leur enlevait un pontificat qu’ils n’avaient jamais possédé depuis le début. « En fait, les papes schis­matiques ont été simplement traités comme usurpateurs et dépossé­dés d’un siège qu’ils ne possédaient pas légitimement (cf. le décret contre les simoniaques du concile de Rome de 1059, Hardouin, t. VI, col. 1064; Gratien, dist. LXXIX, c. 9; Grégoire XV: constitution Aeterni Patris (1621), sect. XIX, Bullarium romanum, t. III, p. 446). Les conciles qui les ont frappés n’ont fait qu’examiner leurs titres à la tiare. Ce ne sont pas les papes qu’ils ont jugés, mais l’élection et l’acte des électeurs ».


[1] Arnaldo Xavier da Silveira: La nouvelle messe de Paul VI: Qu’en penser?, Chiré-en-Montreuil 1975, p. 298; l’auteur indique en note ses références: loan­nes-B. Ferreres: Institutiones canonicae, Barcelone 1917, t. J, p. 132; Matthaeus Conte a Coronata: Institutiones iuris canonici, Taurini 1928, volume J, p. 360; Franciscus Schmalzgruber: lus ecclesiasticum universum, Rome 1843, t. l, partie II, p. 376, no 99; Cajetan: De auctoritate..., ch. 26, no 382, p. 167 - 168.



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